La sciure et la plume: l’écrivain qui aime la lutte suisse par-dessus tout

Il a vécu une enfance lacustre. L’amour du cinéma l’a conduit à Paris et à Berlin. Mais l’écrivain né à Vevey n’avait pas encore connu la lutte suisse qui est devenue toute sa vie à son retour en Suisse. Il consacre à ce sport national son dernier roman.
28 juillet 2016 Nicolas Verdan
Jean-Paul Guinnard

Jean-Yves Dubath est né à Vevey l’année de la Fête des vignerons de 1955. Aux premières loges, sa famille habite l’annexe du château de l’Aile, sur la place du Marché. Tout gamin, il déménage avec ses parents à La Tour-de-Peilz, à deux pas du lac: «J’ai été élevé dans un port, avec les bateaux, les régates au Vieux-Rhône et l’odeur des grillades l’été.» Ingénieur, son père est engagé comme chef de service technique de la Compagnie générale de navigation sur le Léman (CGN). Le marin d’eau douce Dubath explore alors les bassins de radoub de Lausanne-Bellerive et il ne s’imagine pas encore d’autre horizon que lacustre.

À travers le cinéma, qui le passionne dès ses 17 ans, l’adolescent s’ouvre au vaste monde. Il rejoint Paris, puis Berlin, où il se fait des toiles jour et nuit. Affûtée au contact des réalisateurs et des acteurs, sa plume s’exerce dans des revues pour cinéphiles. En 1987, il rencontre un certain Serge Gainsbourg au Festival de Valence.

Je n’étais pas préparé à ça, moi le garçon très gentil. La lutte m’a endurci.

Le hasard d’une illumination

Le lac, les feux de la rampe, Paris, Berlin. Mais quel rapport avec la lutte suisse? Oui, parce que pas plus tard que dimanche dernier, Jean-Yves Dubath, écrivain, était à la Fête de lutte de Riaz (FR). Le 26 juin, il n’a pas manqué non plus la Fête cantonale de lutte qui se tenait à Châtel-Saint-Denis (FR). Et aussi loin que l’on remonte, ces vingt dernières années, rares ont été les fêtes auxquelles le Vaudois n’a pas assisté. Et toujours, sur le coup des 8 h du matin, l’écrivain se trouve parmi les premiers spectateurs, tout devant, sur les bords du rond de sciure.

«Les premières passes de la journée sont importantes, elles disent dans quelle disposition sont les lutteurs.»
Jean-Yves Dubath parle volontiers de sa passion, qu’il vit en solitaire: «La lutte est devenue toute ma vie», confie-t-il d’un ton calme et posé. Tout commence en 1986, quand Jean-Yves revient de Paris. En balade à Romanel-sur-Morges (VD), il tombe par hasard sur une fête de lutte. Il est estomaqué par ce spectacle. «Je ne pensais pas que tout cela pouvait encore exister en Suisse: le rond de sciure, le cérémonial de couronnement…» Le souffle coupé, Jean-Yves Dubath entend cette phrase qui le cloue au sol: «Lutteur, à genoux!» Lui, l’intellectuel, découvre une discipline des plus simples: l’un gagne et l’autre perd. «Je n’étais pas préparé à ça, moi le garçon très gentil. La lutte m’a endurci.»

Se fondre dans le paysage

Les jours qui suivent cette illumination, il achète le quotidien La Liberté et il apprend que se tiendra bientôt la 49e fête du Lac-Noir (FR). «Il a plu des cascades, c’était terrible! Je suis resté jusqu’au bout, des heures et des heures, comme dans les salles de cinéma, où j’ai appris la patience.» En 2005, Jean-Yves Dubath témoigne une première fois de cette passion. Il publie son premier livre aux Éditions de l’Aire: Noël, héros très helvète. Quelques pages que l’écrivain ne renie pas. Mais aujourd’hui, il préfère annoncer celles qui sortent tout prochainement chez BSN Press, à Lausanne: Un homme en lutte suisse, soit l’histoire d’un lutteur qui part en retraite et qui raconte «quels furent ses combats et ses faibles gloires». À travers ce livre, Jean-Yves Dubath affirme s’être transformé en lutteur, une occasion de revivre cette profonde amitié qu’il porte à ces figures qu’il a suivies de dimanche en dimanche: le technicien, le costaud, le malin, autant de tempéraments que l’écrivain a su capter, par tous les temps. «C’est aussi ça, la lutte, une manière de se fondre dans le paysage, qu’il vente ou qu’il pleuve, sachant que les fêtes ne sont pas annulées en raison de la météo.»

Esthétique du combat

S’il reconnaît volontiers une sorte d’esthétique virile, qui s’exprime à travers la lutte suisse, Jean-Yves Dubath se distancie de toute forme de fétichisme. Chez lui, il n’y a pas de photos de lutteurs épinglées au mur. Mais il n’en conserve pas moins des bocaux remplis de sciure. En revanche, quand il évoque les combats, ses mots rendent toute la puissance énergétique dégagée sur les ronds de lutte: «Cela peut se transformer en violence totale. Une prise bien faite expédie un homme au sol en une seconde.» Et d’évoquer cette «dextérité folle, avec une puissance jaillissante, assommante». Mais de toutes les phases du combat, Jean-Yves Dubath apprécie tout particulièrement le «Bodenarbeit», quand les deux lutteurs s’affrontent au sol.

Depuis quelque temps, Jean-Yves Dubath consacre de plus en plus d’heures quotidiennes à l’écriture. Il n’est pas exclu qu’il espace les intervalles entre les fêtes de lutte. À côté de son activité d’archiviste des routes cantonales vaudoises, il n’aime rien tant que ce moment où il retrouve un livre en cours d’écriture. Se qualifiant d’écrivain «de chambre», il dit travailler ses textes plus qu’avant. «Je suis arrivé à un âge où je sais que je ne vivrai plus les choses aussi intensément qu’à 20 ans. J’ai le souvenir d’avoir aimé et d’avoir eu du plaisir dans l’existence. L’écriture est ainsi une renaissance.»

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