Reportage
En quête d’une option pour ménager les chevaux et le sol

Des solutions existent pour préserver le terrain sur lequel les équidés s’ébattent, mais elle se heurtent à la loi sur l’aménagement du territoire. Une étude devrait permettre de récolter des données scientifiques précieuses.

En quête d’une option pour ménager les chevaux et le sol

Préserver au maximum les sols est une préoccupation qui doit toucher tous les domaines. Et le milieu équestre ne fait pas exception. Pourtant, force est de constater que les chevaux sont souvent à l’origine d’une dégradation importante des terrains. Et ceci notamment à cause du surpâturage lié à une surface réduite, ainsi que de la nécessité de les sortir au pré quelle que soit, ou presque, la météo. Pour assurer leur bien-être, tout en respectant la loi sur la protection des animaux, il est en effet essentiel qu’ils puissent s’ébattre au grand air. Mais en cas de temps humide, et plus spécifiquement pendant la période hivernale, certaines zones des parcs sont alors complètement détruites.

Ces espaces boueux nuisent aussi aux chevaux, qui pataugent dans la gadoue et risquent un accident en glissant. La solution serait de pouvoir stabiliser les zones les plus touchées, notamment autour des râteliers ou aux endroits de passage fréquentés. «Nous recevons énormément de demandes dans ce sens au Bureau de conseils du Haras national suisse, note Iris Bachmann, responsable du groupe de recherche équidés. Mais la seule réponse que je peux donner est: Désolée, c’est interdit.» Car c’est bien là que le bât blesse. Si nombre de propriétaires aimeraient améliorer les conditions de vie de leurs animaux, la loi sur l’aménagement du territoire limite fortement les infrastructures, même légères, en zone agricole – précisément là où est détenue la majorité des bêtes.

Une structure unique
Conscient de cette problématique, le Haras national suisse a décidé de se pencher sur la question. À cet effet, une étude interdisciplinaire a été conçue, qui résulte d’une collaboration des groupes de recherche d’Agroscope «Qualité et utilisation du sol» et «Équidés» avec la chaire «Ressources du sol» du Département des sciences des systèmes environnementaux de l’EPFZ. «D’une part, les détenteurs aimeraient pouvoir donner la possibilité aux chevaux d’avoir accès à un espace extérieur dans de bonnes conditions, d’autre part, le sol est une ressource limitée en Suisse qu’on doit absolument protéger, souligne Iris Bachmann. Mais peut-être qu’il existe une solution liant ces deux aspects?»

Une installation expérimentale a ainsi été créée à Saint-Aubin (FR), grâce à une autorisation spéciale délivrée pour les besoins de la recherche équine. Sur 2,7 hectares, 20 chevaux répartis en quatre groupes bénéficient d’un aménagement comprenant notamment des bains de sable, des abris de parc et un râtelier à foin. Et surtout, des pistes stabilisées de 5 mètres de large, les équidés pouvant ainsi circuler continuellement sur un bon terrain. L’effet de différentes méthodes et matériaux de stabilisation sur la santé des sols y est analysé depuis le début de l’année. «Un système réversible, qui permet de remettre une surface en culture si nécessaire, préserve peut-être davantage la structure et la fertilité de la parcelle que si l’on ne prenait aucune mesure», s’interroge la spécialiste.

De premiers résultats
Au total, cinq méthodes sont examinées et comparées avec une surface laissée en herbe: deux types de dalles alvéolées – l’une stable et lourde, l’autre légère – ont été mises en place, avec ou sans une sous-couche en copeaux. La végétation peut y pousser au travers. Sous chaque type de piste, des capteurs ont été installés. «Ils mesurent toutes les 15 minutes la température du sol à trois profondeurs différentes, ainsi que l’humidité, explique la doctorante Charlotte Hiltebrand. En complément de ces mesures permanentes, je prends également des échantillons de terre à plusieurs reprises, afin de déterminer, entre autres, la densité du sol, la biomasse microbienne et le pH. Ces données m’aident à avoir une bonne vue d’ensemble sur l’évolution de la qualité du sol pendant les dix-huit mois où les chevaux seront sur ces pistes.»

Les résultats préliminaires indiquent que le terrain sous les plaques, et en particulier celui où une sous-couche supplémentaire de copeaux a été ajoutée, garde davantage l’humidité que les pistes sans aucune couverture, ce qui est avantageux du point de vue microbiologique. «En outre, des prélèvements préalables sur des structures équestres déjà existantes montrent, en toute logique, un effet de protection contre le tassement là où des dalles ont été installées, en comparaison avec la terre laissée nue.»

Reste la question des micropolluants. Cependant, d’après l’expert du sol Rainer Schulin, peu d’abrasion de cette matière plastique, et donc de contamination, est à prévoir. Les résultats finaux sont attendus en 2025. Ils devraient permettre de disposer de données scientifiques, afin, peut-être, de faire évoluer les pratiques.

Texte(s): Véronique Curchod
Photo(s): Johann Marmy

De nombreux travaux en cours

Si le site de Saint-Aubin (FR) a été aménagé avant tout pour la question du sol, le Haras national suisse met à profit cette infrastructure en menant d’autres études en parallèle. Une vétérinaire se penche ainsi sur l’impact du mouvement sur la locomotion des équidés et sur la santé de leurs sabots. Un autre projet évalue le temps d’affouragement optimal et sa répartition au cours de la journée, afin d’éviter les agressions entre les chevaux: à volonté ou par tranches de 1 ou 2 heures. L’influence de la personnalité sur le temps de sommeil est également analysée dans le cadre d’un autre travail. Ces différentes études sont rendues possibles grâce au développement par le Haras national de systèmes de monitorage automatiques, qui indiquent notamment la position de l’animal, debout ou couché, ou permettent de suivre à distance ses déplacements.

Besoin de plus d’espace

La manière de détenir les chevaux a fortement évolué ces dernières décennies. La garde en boxes – avec ou sans terrasses – est actuellement la plus répandue, les animaux bénéficiant en général de quelques heures au pré ou en paddock. Mais de plus en plus de propriétaires souhaitent leur offrir davantage de liberté, dans des structures de type stabulation. Car pour garder un bon équilibre psychique et physique, les équidés doivent pouvoir parcourir chaque jour plusieurs kilomètres. Un nouveau concept, le paddock trail, a ainsi été mis sur pied. L’idée est de créer des cheminements qui mènent à diverses zones: affouragement, abreuvement, repos. En Suisse, les infrastructures s’inspirant de ce modèle se multiplient. Mais dans la pratique, les chemins souvent empruntés par les bêtes se transforment en hiver en bourbier. Actuellement, seule une zone limitée, à proximité de l’écurie, peut être stabilisée, et non des pistes plus éloignées.