«Afin de légitimer leur travail, il faut régulariser le statut des microfermes»

En Suisse, les petites structures maraîchères se multiplient. Une association, présidée par David Bichsel, veut défendre leurs intérêts, offrir un soutien technique et adapter la politique agricole du pays à ce modèle marginal.
26 octobre 2023 Lila Erard
© Matthieu Spohn

Ce matin, l’heure est à la récolte des courges à Thielle-Wavre (NE). Depuis près de trois ans, les maraîchers de Système B cultivent des dizaines de variétés de fruits et de légumes sur une parcelle de 4000 mètres carrés et invitent les membres de l’épicerie coopérative du même nom à venir œuvrer quelques heures par mois. À l’initiative de ce projet: l’ingénieur agronome David Bichsel, spécialiste des microfermes. Après avoir écrit son mémoire sur ces structures agricoles particulières et créé une formation dédiée au micromaraîchage, il est devenu président de l’Association suisse des microfermes, inaugurée le mois dernier.

Comment définissez-vous ce type de domaine?
De manière générale, il s’agit de fermes de petite taille qui cultivent sans intrant chimique et valorisent le travail artisanal. La main-d’œuvre est importante, mais il y a peu d’investissement de base. Ce fonctionnement guère mécanisé vise à obtenir une grande diversité d’espèces et maximiser la rentabilité sur une surface réduite. La vente directe est le canal principal, que ce soit au marché, au domaine, via des abonnements à des paniers ou dans une coopérative. Si ce modèle traditionnel a toujours existé et perdure dans les pays du Sud, il est aujourd’hui marginal en Suisse, où la tendance est à l’agriculture intensive et à l’agrandissement des exploitations.

Il y a toutefois un fort engouement pour ces pratiques ces dernières années…
C’est juste. Plusieurs formations ont été créées dans le but de répondre à une demande toujours plus forte des étudiants, qu’ils soient issus du milieu agricole ou non. En trois ans, une soixantaine de personnes ont été diplômées dans le canton de Vaud et presque toutes ont trouvé un emploi. Aujourd’hui, on comptabilise une centaine de microfermes en Suisse romande. Malgré ce succès, ce phénomène a mis en lumière la situation instable dans laquelle ces structures se trouvent. Elles souffrent d’un manque de reconnaissance au sein de la politique agricole, au point de se trouver dans une zone grise sur le plan légal.

C’est-à-dire?
Selon l’ordonnance sur les paiements directs, la taille d’un domaine est calculée en Unité de main-d’œuvre standard (UMOS), un hectare de maraîchage correspondant à 0,323 personne. Conformément à cette réglementation, il faut atteindre 0,2 UMOS afin d’obtenir les paiements directs. Or, cette méthode de calcul a été développée pour une agriculture mécanisée et ne convient pas aux microfermes, qui remplissent rarement ces critères. Par exemple, à Système B, nous avons besoin d’un temps plein pour s’occuper de 4000 mètres carrés. Ainsi, nous sommes considérés comme de l’agriculture dite «de loisir»! En plus de ne toucher aucun subside, nous n’avons pas l’autorisation de construire les infrastructures dont nous avons besoin, telles qu’une serre ou un abri pour les cochons.

Bio Express

Originaire de Reconvilier, le Bernois a d’abord travaillé dans l’informatique avant de voyager et de s’intéresser aux thématiques environnementales, puis agricoles. Formé en permaculture, il a fait des études en gestion de la nature et un master en agronomie à Zollikofen (BE). En parallèle, David Bichsel s’est engagé dans plusieurs structures de maraîchage, comme Rage de Vert. En 2021, il a cofondé la formation en micromaraîchage U-Farming, reprise par le centre de compétences vaudois Agrilogie depuis cette année.

Comment les microfermes contournent-elles ces problèmes actuellement?
Aujourd’hui, la majorité d’entre elles louent leur terrain à des familles de paysans. Les demandes de permis de construire passent donc souvent par ces dernières, si les relations entretenues sont bonnes. Mais là encore, on flirte avec l’illégalité, car les paysans n’ont normalement pas le droit de sous-louer plus de 2000 mètres carrés de terre, ce qui est rarement respecté. Nous avons besoin de régulariser notre statut.

Est-ce pour cela que l’association a été fondée?
Oui, en partie. L’un de nos buts est de défendre nos intérêts économiques et politiques auprès des autorités locales et des instances gouvernementales. En devenant un acteur visible et organisé, nous souhaitons avoir davantage de poids dans le paysage agricole et médiatique, afin de sensibiliser les consommateurs. L’idée est également de participer à des projets pédagogiques et de devenir un partenaire privilégié des institutions de recherche et de vulgarisation agricole. Enfin, au-delà de ces éléments, nous voulons faire bénéficier nos membres d’avantages concrets.

Lesquels?
Premièrement, ils pourront profiter d’un soutien technique spécifique au micromaraîchage, avec des heures de conseils en compagnie de praticiens, sur des thématiques variées telles que les systèmes d’irrigation, l’outillage ou les associations de culture. Deuxièmement, ils auront accès à une plateforme en ligne permettant de mutualiser les outils, comme une planteuse à poireaux par exemple. Cela aidera à créer de la synergie et de l’entraide entre ces acteurs. Troisièmement, l’adhésion donnera accès au label «Terre durable». Déjà respectée par la plupart des microfermes, cette certification plus contraignante que Bio Suisse met en avant la protection de la biodiversité. L’objectif est de convaincre des fondations, associations et particuliers sensibles à cette thématique de prêter des terres ou de donner des fonds afin de soutenir cette cause. Dans cette même optique, notre entité centralisera et redirigera toutes les annonces et demandes en ce sens, de manière à favoriser l’accès à la terre.

À terme, quel rôle joueront les microfermes selon vous dans l’agriculture du pays?
Le but n’est pas de remplacer les exploitations existantes, mais de montrer que ce modèle à sa place. La demande pour des produits frais et de qualité en circuits courts s’avère croissante. Malgré les freins existants, de nombreuses petites structures sont viables et se portent bien. Par exemple, chez Système B, nous faisons un chiffre d’affaires de 80000 francs par année sans bénéficier des paiements directs. Nous en sommes fiers, car cela montre qu’une autre agriculture est possible. Afin de continuer à aller dans cette direction, il faut faciliter la tâche des micromaraîchers. Nous nourrissons la population locale, nous avons le droit d’être reconnus et légitimés dans nos pratiques.

+ d’infos
Pour devenir membre de l’association, écrire à info@microfermes.ch

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