Ce Fribourgeois se bat pour la qualité de vie de la profession
En cet après-midi, le bruit des enfants qui jouent au ballon masque l’arrivée silencieuse de Damien Rey, à vélo. Le jeune agriculteur, qui habite à 200 mètres du domaine familial, a tout du look d’un prof de gym. Il faut dire que son cœur a balancé entre les deux métiers avant qu’il ne se lance dans l’agriculture. Il a alors emprunté la voie académique: maturité fédérale puis bachelor à la HAFL de Zollikofen.
C’est en tenue de ville qu’il nous reçoit à Châtonnaye (FR), puisqu’il partage son temps entre les bureaux lausannois de Prométerre, où il travaille dans le financement des constructions rurales au sein de l’office de crédit agricole, et la ferme. À cela s’ajoute son mandat de président de la Commission des jeunes agriculteurs (COJA) de l’Union suisse des paysans.
Dans la lignée de ses ancêtres
L’exploitation familiale date de 1776. Elle constituait autrefois une dépendance de la maison de maître qui lui fait face. À tout juste 30 ans, Damien Rey est la cinquième génération œuvrant sur ces terres. Son grand-père produisait déjà du lait pour le gruyère, tout comme son père. Quant à lui, il espère reprendre le domaine d’ici quelques années et poursuivre sur la même lancée.
«Mon père s’est associé en 2003 avec un collègue, qui n’est autre que le conseiller national Pierre-André Page. Les vaches laitières sont basées sur les parcelles de ce dernier, à quelques centaines de mètres. Notre ferme, située au centre du village, ne peut pas être agrandie. Seuls les veaux et les génisses sont encore ici, avec des courettes extérieures.» Pour la suite, le jeune paysan se voit plutôt construire une autre exploitation ailleurs, puisque les possibilités de s’étendre sont limitées.
Pour l’heure, reprendre la ferme familiale implique une transition, qui s’opère progressivement: «Actuellement, c’est toujours mon père le chef d’exploitation. J’ai de la chance qu’il soit très ouvert. On peut discuter de tout et il me suit souvent dans mes propositions, comme celle de pratiquer un système de pâtures tournantes.» Bien sûr, Damien Rey fera aussi ses propres choix lorsqu’il sera seul maître à bord.
En chiffres
55 hectares, dont 15 de terres ouvertes, le reste en pâturages.
100 têtes de bétail, dont 45 vaches laitières.
3 postes sur l’exploitation (2 équivalents plein-temps).
400’000 kg de lait livrés annuellement pour le gruyère.
Pas que les holsteins
Jusqu’à faire une infidélité aux incontournables holsteins qui constituent l’intégralité du troupeau? «C’est un peu la tradition à Fribourg. Mais si on analyse plus précisément, ces vaches ne sont pas forcément les mieux adaptées à la pâture, puisqu’elles sont plus lourdes et moins efficientes que d’autres races. J’ai déjà quelques idées en tête», lâche-t-il en caressant l’une de ses protégées. Pas question en revanche de faire une croix sur le bétail, indispensable à ses yeux à l’équilibre d’un domaine: «C’est un cycle. Les animaux permettent une bonne fertilisation du sol.»
Damien Rey fait partie de cette nouvelle génération d’agriculteurs qui s’engagent pour l’avenir de leur métier. Cela fait plus de quatre ans qu’il représente la jeunesse au sein de l’USP (lire l’encadré ci-dessous): «En 2023, j’ai investi l’équivalent de trente jours de travail pour ce mandat, le tout sur mon temps libre. Peut-être serai-je déçu du résultat de la PA2030, mais j’aurai au moins essayé de faire bouger les choses.»
Un futur plein de défis
Malgré les défis qui se profilent, le jeune homme fait preuve d’optimisme. «Ce serait prétentieux de dire que notre génération aura plus de difficultés que les précédentes. Mon grand-père a vu l’arrivée de la mécanisation, puis mon père celle de l’informatisation. La révolution qui nous attend consistera à composer avec le changement climatique. Les foins sont faits toujours plus tôt, il y a de moins en moins de fourrage et il faudra davantage de surface pour le même nombre de vaches. On aura besoin de la recherche afin de trouver les meilleures solutions.»
La principale préoccupation du trentenaire, c’est la pression sur les terres agricoles, et un taux trop faible d’autoapprovisionnement. «La Suisse est pour l’instant assez riche pour acheter ses denrées à l’étranger, mais nous en sommes trop dépendants. Que faire si la situation géopolitique se détériore? On doit assurer notre sécurité alimentaire.» La liste des sujets brûlants ne s’arrête pas là: il cite la pression sur les prix induite par la grande distribution, la complexité des paiements directs, des conditions-cadres instables, un lien à retisser avec la population.
Qualité de vie
Ou la qualité de vie, un aspect déterminant pour la jeune génération: «Nous sommes trois à travailler au domaine, ce qui nous permet de profiter de certains dimanches de congé. J’espère pouvoir conserver ce confort quand j’aurai repris l’exploitation. Sinon, je ne suis pas sûr que dans quinze ans, avec mon diplôme d’ingénieur, j’aurai toujours envie de travailler pour 17 francs de l’heure…»
Damien Rey a beau avoir le regard résolument tourné vers l’avenir, il n’oublie pas l’héritage du passé: il ne manque jamais de consulter le calendrier lunaire pour choisir le jour de la première sortie de ses vaches au pré. «Mon grand-père m’a toujours dit de veiller à le faire lorsque l’on est sous un signe astrologique plutôt calme.»
Les jeunes donnent de la voix
À la tête de la Commission des jeunes agriculteurs de l’Union suisse des paysans (COJA) depuis 2020, Damien Rey tient à faire entendre sa voix. En tant que membre de l’USP, la COJA a son mot à dire sur les conditions-cadres. Elle participe ainsi à l’élaboration de la politique agricole. Cet engagement permet au jeune agriculteur d’être au courant des enjeux d’actualité et de prendre les décisions qui lui semblent les plus judicieuses pour l’avenir de son domaine. Par le biais de cette commission, Damien Rey a notamment été impliqué dans le groupe d’accompagnement de la PA2030.
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