Ce pépiniériste a fait de la santé de ses employés une priorité
Dire de la pépinière de Multiplants qu’il s’agit d’un endroit où règne l’ordre est une lapalissade tant le maître des lieux, Matthieu Vergère, a la réputation d’être méticuleux et organisé. «Enfant, il pliait et alignait ses habits au cordeau sans qu’on lui demande rien», raconte, un brin amusé, son père, qui s’occupe de la comptabilité au sein de la société de son fils. Le pépiniériste de Vétroz (VS), âgé de 37 ans, est l’un des rares en Suisse à vivre de cette activité très particulière. Il est désormais le premier Romand à décrocher la récompense ultime de la sécurité en agriculture, l’Agri Safety Award, qui lui a été remis par le Service de prévention des accidents en agriculture en ce mois de janvier (lire l’encadré).
«En 2018, lorsque j’ai mis en route le projet de construction de halle, j’ai immédiatement intégré les éléments de sécurité dans la conception du bâtiment», raconte ce féru de mécanique, qui a présidé durant une dizaine d’années la section valaisanne de l’Association suisse pour l’équipement technique de l’agriculture. Se définissant comme «un cartésien par essence», Matthieu Vergère aime que «chaque chose soit à sa place». «La notion d’ordre est à la base même de la sécurité», apprécie Etienne Junod, responsable du SPAA en Romandie.
Véritable culture d’entreprise
Multiplants compte une dizaine de salariés, plus des saisonniers, qui s’activent au fil des mois et des vingt-quatre étapes nécessaires à la création d’un cep de vigne. Plus ou moins manuelles, plus ou moins techniques, ces tâches sont autant d’occasions de mettre en jeu son intégrité physique. Pour le pépiniériste valaisan, l’objectif est simple: faire de son exploitation un lieu sûr et agréable à vivre, où les salariés reviennent avec plaisir. «Fidéliser le personnel est une gageure en agriculture. Leur proposer un environnement de travail performant et ergonomique est un argument pour y parvenir», explique-t-il.
La sécurité s’avère également primordiale d’un point de vue commercial. «Notre base de données contient 5000 clients. Nous avons tout intérêt à leur fournir des plants d’une qualité irréprochable si nous voulons les revoir l’an prochain. Mais aussi à soigner l’image de notre société dans un marché concurrentiel», confie Matthieu Vergère. Les efforts en matière de protection de la santé ne se limitent donc pas à «installer des autocollants jaune et rouge pour signaler une marchette». Chez Multiplants, il s’agit d’une véritable culture d’entreprise qui se décline tout au long de l’année.
Éviter les tendinites
Ainsi, à la reprise des activités en janvier, période consacrée au prélèvement des greffons dans les vignes, les journées commencent par un briefing concernant les dangers de l’opération et les bons gestes à adopter. Gants adaptés, sécateur aiguisé: rien n’est laissé au hasard pour que cette première étape dans la création d’un cep se passe au mieux. De retour à la halle, quelques semaines plus tard, pour l’opération de découpe des porte-greffes et des greffons puis du greffage à proprement parler, pas question de relâcher l’attention.
«Le greffage étant une activité extrêmement répétitive, il n’est pas rare que nos employés s’occupent de 30’000 plants par jour en moyenne, pendant plusieurs semaines. Le risque de tendinite est donc élevé», reconnaît le Valaisan, qui a équipé l’atelier de tables réglables en hauteur et de chaises ergonomiques. «Les troubles musculosquelettiques sont monnaie courante en agriculture, observe Etienne Junod. D’où l’importance de bien réfléchir au positionnement et au confort des places de travail afin d’empêcher que les tâches répétitives ne deviennent source de blessures.»
Autre précaution: dans la partie destinée au stockage du matériel, les zones sont clairement définies et signalisées. «Il n’y a jamais de manutention dans l’espace réservé aux machines, je suis intraitable sur ce point!» insiste Matthieu Vergère, père de trois jeunes enfants de 10, 8 et 6 ans parfaitement sensibilisés à la question. Ici aussi, l’ordre et la discipline sont les maîtres mots. «Pas question d’avoir des sangles qui traînent à côté des toilettes, un goûter sur le capot du tracteur ou le bidon de soufre vers l’accueil», illustre le pépiniériste avec verve. Des clients, Matthieu Vergère et son équipe en reçoivent environ 600 à 700 par année à la halle de Vétroz, généralement au printemps. Outre un parking spécifique et une signalétique adaptée, l’entrepreneur a instauré des règles strictes: «Nul ne doit débarquer à l’improviste sans avoir pris rendez-vous. Nous avons établi des plages horaires dédiées de façon à pouvoir nous concentrer sur une tâche à la fois.»
Des améliorations constantes
Obnubilé par le risque d’accident, le Vétrozain, n’a pu éviter, à l’automne 2020, qu’un collaborateur ne perde un doigt lors de l’arrachage des barbues. «C’est de loin l’opération la plus délicate de l’année. Même si le tracteur n’avance qu’à 1,5 km/h et est truffé de caméras pour vérifier l’avancée du chantier, il y a beaucoup de monde qui gravite autour de l’arracheuse et je ne peux pas tout surveiller», confie Matthieu Vergère, qui n’a de cesse de vouloir progresser en la matière, allongeant des tôles de protection autour d’une courroie, sécurisant une échelle, et cherchant à améliorer l’ergonomie et l’efficacité à tous les niveaux. «On passe tous beaucoup de temps au travail, moi le premier. Alors, faisons en sorte que ce soit source de plaisir et qu’on n’y laisse pas notre santé!»
Encore trop d’accidents mortels
Outre les cours de conduite, la formation continue, le conseil et les campagnes de promotion – pour le port de la ceinture de sécurité, par exemple –, le Service de prévention des accidents dans l’agriculture (SPAA) a lancé l’an passé le programme Agri Safety Awards, qui récompense les exploitations ayant fourni des efforts particuliers en matière de sécurité au travail et de protection de la santé. «C’est également une opération destinée à améliorer l’image de l’agriculture dans ce domaine.
Pour les lauréats, elle s’avère un bon instrument de marketing interne, mais aussi vis-à-vis du public et des autorités», précise Etienne Junod. Aux yeux du responsable Romandie du SPAA, toute initiative visant à réduire la quantité d’accidents au sein de la branche est bonne à prendre. «Ce taux continue tendanciellement à baisser d’année en année, observe l’expert. En revanche, le nombre absolu de cas mortels (27 en 2022) reste beaucoup trop élevé. Le travail devient de plus en plus complexe et technique. Le manque de formation (externe ou interne) joue un rôle important dans l’origine des accidents. Le stress et la précipitation également.» Ainsi, Agri Safety Award s’intéresse aux stratégies mises en place dans l’exploitation afin de neutraliser les sources de risques psychosociaux, comme le manque de continuité, voire de perspectives à long terme. «L’agriculture est un métier qui s’accommode mal de revirements brusques et soudains.»
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www.spaa.ch
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Terre&Nature a consacré une série d’articles et de vidéos à la pépinière de Matthieu Vergère en 2019, intitulée «Naissance d’une vigne». Toutes ces vidéos peuvent être consultées sur la page YouTube du journal.
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