Ces petites plantes qui produisent de grands effets sur les vignes
Soigner ses parchets avec des décoctions, des infusions ou des huiles essentielles: pour beaucoup de viticulteurs orientés «nature», la démarche s’inscrit dans la suite logique d’une réflexion basée sur la limitation des intrants – surtout du cuivre et du soufre employés pour la protection contre les champignons. «Selon une enquête menée en 2020 auprès d’une centaine de vignerons dans toute la Suisse, 66% d’entre eux recourent à des produits alternatifs au cuivre contre le mildiou, en premier lieu à des tisanes d’ortie, de prêle, d’osier, de consoude, notamment, révèle David Marchand, conseiller et chercheur en viticulture biologique au FiBL. Et contre l’oïdium, ils sont même 72%, les préparations phytothérapeutiques étant alors les plus utilisées après le bicarbonate.»
Pionnier de la viticulture bio – son exploitation de 12 hectares est labellisée depuis vingt-trois ans –, le Vaudois Yvan Parmelin s’est depuis longtemps dirigé vers la biodynamie; c’est d’ailleurs par le biais de l’Association romande de biodynamie (ARB) qu’il a fait la connaissance de Stéphane Mihs, conseiller indépendant spécialisé dans la culture et la cueillette de plantes pour la protection des vignes. «J’ai commencé par lui acheter des préparations, toujours en soutien du cuivre et du soufre, dont j’ai pu largement diminuer les doses, explique le propriétaire du Domaine de la Croix, à Bursins (VD). Il y a trois ans, nous avons de concert installé 300 plantes sur un de mes terrains agricoles, et dès cet hiver, on va doubler cette surface.»
Une réflexion en amont
Entre Pâques et les lendemains de vendanges, le producteur pulvérise décoctions, infusions et préparations fermentées jusqu’à la fleur, puis ajoute les huiles essentielles à sa pharmacopée – à raison de 50 ml/hectare en préventif et 100 ml/hectare en curatif. «En 2021, on s’en est très bien sorti en respectant un planning assez strict. Et globalement, je pense que la phytothérapie m’a progressivement permis de regagner les quelques pourcentages de productivité perdus lors du passage au bio.»
Le vigneron de La Côte le reconnaît toutefois sans détour: l’expertise de Stéphane Mihs (qui se charge en outre de la récolte, du séchage et des mélanges de plantes) a été déterminante pour emprunter cette voie. «On ne peut pas se lancer en dilettante, souligne-t-il. Et surtout, impensable de le faire tout seul.» Car si ses cultures lui ont permis de diviser par deux le coût de la méthode par rapport aux préparations disponibles dans le commerce – nombreuses et qualitativement irréprochables, note à ce propos David Marchand –, une réflexion avisée en amont sur sa propre disponibilité et la rentabilité de la phytothérapie par rapport à la surface à traiter et aux ressources en personnel est indispensable. «Je suis d’ailleurs à la limite supérieure sur ce point», estime Yvan Parmelin.
Précision à tous les stades
«Certaines préparations sont à appliquer précisément en période de forte sollicitation pour le vigneron, appuie Stéphane Mihs. Et de la récolte des plantes jusqu’à la rythmicité des traitements et l’alternance des tisanes, purins et huiles essentielles, en passant par le respect des dosages et taux de dilution, du pH et de la température de l’eau, il faut faire preuve d’une précision sans faille.» Les erreurs se traduisent par une protection inefficace, et donc une perte. Voire par un effet inverse de celui recherché: «Des applications de purins de plantes trop rapprochées vont dynamiser non seulement la vigne, mais les champignons qui s’y attaquent, indique le spécialiste. Plus grave, une concentration trop élevée d’huiles essentielles, qui plus est lors de fortes chaleurs ou avant un effeuillage généreux, peut littéralement brûler la vigne. Trouver la juste dose est crucial.»
En dehors de ces cas particuliers, on ne risque toutefois guère de causer de dommage. «Et lorsqu’un client fait état de pertes à la suite d’un traitement «qui n’a pas marché», je constate immanquablement une erreur dans le respect du planning que je lui ai fourni, un excès de confiance ou une imprécision technique, même minime.» En fait, «toute la difficulté est de sortir de la logique des produits phytosanitaires classiques, résume Yvan Parmelin. Une préparation à base de plantes déploiera des effets différents en fonction de la période d’application, des autres herbes auxquelles elle est associée… Passer du chimique au végétal est complexe.»
Renseignements indispensables
«Pour ne pas aller au-devant de grosses déconvenues, il faut vraiment se renseigner et bien se faire conseiller, martèle le vigneron. Qui cite comme sources potentielles l’ARB, les conseillers indépendants tel Stéphane Mihs, ou encore les travaux et ateliers du Français Éric Petiot, un des maîtres à penser de la pratique. Prométerre, d’ailleurs, invite régulièrement ce dernier à des ateliers et conférences sur le sujet à l’intention des professionnels de la vigne. Et à Châtillens, l’arboriculteur vaudois Yves Chabloz, qui fait figure de référent romand de Petiot, propose aussi ses services en la matière. Yvan Parmelin, quant à lui, a établi des protocoles de traitement précis et d’une stupéfiante clarté pour ses employés, détaillant modes de préparation, litrages et précautions à respecter, notamment. «J’ai commencé dans ce métier avec des traitements présentant un danger potentiel élevé pour l’utilisateur, je pourrais désormais les boire moi-même avec plaisir», conclut-il en souriant.
Questions à...
David Marchand, conseiller et chercheur en viticulture biologique
Quel est le statut légal de ces préparations phytothérapeutiques?
Le cadre est fixé par l’Ordonnance sur les produits phytosanitaires (OPPh) et son annexe sur les «substances de base». Pour les tisanes, en principe, seuls l’ortie, la prêle et l’osier sont admis à l’usage, d’ailleurs strictement limité à certains stades végétatifs. Les huiles essentielles ne sont pas acceptées, hormis un produit commercial à base d’orange, non autorisé pour les producteurs Bio Suisse et Demeter. Mais les restrictions ne portent explicitement que sur les préparations achetées; celles que le vigneron concocte lui-même sont tolérées. Et très largement employées dans le cadre du bio ou de la biodynamie.
Élaborer sa propre phytothérapie est quasi indispensable si on veut se lancer…
En tout cas, l’enquête que j’ai menée auprès des vignerons en bio établit que 70% de ceux qui y recourent utilisent des plantes récoltées et préparées au domaine.
Comment évaluer l’efficacité de la méthode?
Pour moi, c’est avant tout un complément au cuivre et au soufre, permettant d’en diminuer les doses. Il faudrait revoir tout le système sol-vignes pour parvenir à une protection intégrale. À moins de ne compter que sur des millésimes aussi secs que 2022!
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