Des jardins-forêts de plantes comestibles où la diversité est reine

Ces jeunes boisements denses et variés inspirés par la permaculture et l'agroforesterie séduisent un nombre croissant d'acteurs publics et privés. Les Journées de l'agroécologie y consacrent une conférence.
6 octobre 2024 Lila Erard
Cofondateur de l'association 
Jardin-Forêt Suisse, Samuel Dépraz entretient une parcelle de 3000 m2 
à Eysins (VD), 
où il a planté avec 
son équipe près de 1500 arbres, arbustes, racines et lianes.
© Sigfredo Haro
Cofondateur de l'association 
Jardin-Forêt Suisse, Samuel Dépraz entretient une parcelle de 3000 m2 
à Eysins (VD), 
où il a planté avec 
son équipe près de 1500 arbres, arbustes, racines et lianes.
© Sigfredo Haro
Cofondateur de l'association 
Jardin-Forêt Suisse, Samuel Dépraz entretient une parcelle de 3000 m2 
à Eysins (VD), 
où il a planté avec 
son équipe près de 1500 arbres, arbustes, racines et lianes.
© Sigfredo Haro

À Eysins (VD), la végétation dense et colorée d’un terrain de 3000 m2 tranche avec l’homogénéité des champs alentour. Il y a deux ans, le domaine de Sous-Cor a accueilli un projet inédit de jardin-forêt baptisé Eos, sur l’initiative d’Alicia Perego.

«Après la naissance de mon premier enfant, j’ai voulu me tourner vers un système de culture plus durable. J’ai été séduite par les vertus de cette démarche alternative, qui repose sur la permaculture et l’agroforesterie», raconte cette psychologue de formation qui a décidé de reprendre l’exploitation familiale. Pour réaliser ce projet, elle a répondu à un appel de l’association Jardin-Forêt Suisse, créée en 2022, qui assure la mise en place et l’entretien de ce type de parcelle.

Multiples strates

Justement, cet après-midi, son cofondateur Samuel Dépraz surveille les récentes boutures et le paillage déposé la veille au pied du ragouminier. Le long d’un chemin en copeaux, un cédrèle de Chine et un nectarinier étendent leurs jeunes branches, alors qu’un argousier et un chalef d’automne offrent leurs premiers fruits.

«L’idée est de recréer un jeune boisement avec une grande densité de plantes pérennes comestibles, organisé en plusieurs strates naturellement présentes dans la forêt, comme les arbres de canopée, les arbustes, les racines et les lianes. En tout, on retrouve plus de vingt familles de plantes, contre une seule généralement dans les vergers», explique le Vaudois, en croquant dans une feuille de sedum.

Grâce à cette diversité, cet écosystème est particulièrement résilient, assure-t-il. «Plus la structure est complexe, plus il y a d’interactions entre les différents éléments. Ainsi, elle résiste davantage aux perturbations extérieures, comme les sécheresses ou les maladies.»

A Vernier aussi

En septembre, un projet similaire de forêt comestible a été inauguré au parc Jenny, à Vernier (GE). Fraîchement réaménagé par la Ville, cet espace abrite deux haies de noisetiers, argousiers, cornouillers et amélanchiers. La forêt, réalisée en plusieurs strates, compte des arbres tels que des poiriers et des cognassiers, ainsi que quelques arbustes. Des herbes aromatiques seront aussi plantées prochainement. Le but de ce lieu est d’offrir à la population un espace calme et ombragé où venir lire et grappiller gratuitement des fruits.

Sensibilisation sur le terrain

Si un travail d’arrosage est pour l’instant nécessaire, la plantation arrivera à maturité d’ici trois ans. «Il y aura donc moins besoin d’intervenir, si ce n’est pour garder la forêt ouverte et accessible aux humains en la taillant.» C’est que, chaque année, des dizaines d’élèves de la région se réunissent autour du canapé végétal installé en son centre. «Ils ont déjà aidé à planter de nombreux buissons et haies. C’est une activité qui leur plaît beaucoup, se réjouit Alicia Perego.

Ce projet a été conçu comme une plateforme de communication, afin de sensibiliser à la richesse de la nature. C’est un vrai changement de paradigme dans l’agriculture.» À terme, une production alimentaire est tout de même envisagée. «Une cheffe récolte déjà des aliments pour son restaurant. En parallèle, nous voulons former un collectif qui pourra entretenir le lieu et bénéficier de la cueillette.»

Pépinière sauvage

Une telle culture peut remplir d’autres fonctions, comme la conservation botanique, la production de bois, de plantes médicinales ou de fourrage. C’est notamment le cas d’un des premiers jardins-forêts du pays, planté il y a vingt ans à Saint-Léonard (VS) par Hubert de Kalbermatten.

Aujourd’hui, ce sanctuaire de biodiversité de plus d’un hectare permet à l’agriculteur de nourrir ses douze moutons. «Ils mangent les feuilles des saules ou des cornouillers à la lisière du terrain. Parfois, je leur donne aussi les déchets de taille. C’est très pratique», déclare celui qui est aussi paysagiste au sein de son entreprise Les Jardins Permanents.

Chaque printemps, il récupère sur sa parcelle des marcottes et des semis qu’il utilise sur des chantiers ou vend au marché. «Aujourd’hui, je bénéficie d’une pépinière sauvage extrêmement riche. C’est une grande fierté», sourit le Valaisan, qui aimerait également ouvrir un magasin pour vendre ses fruits, dont 17 variétés de kakis et 34 raisins de table.

Projets qui se multiplient

Ce type d’initiative isolée existe depuis longtemps dans le pays, mais le nombre de projets augmente principalement en milieu urbain. La création de l’association Jardin-Forêt Suisse n’y est pas pour rien. En ce moment, Samuel Dépraz accompagne entre autres une école à Prangins (VD) et le Bioparc de Genève.

Quant à Hubert de Kalbermatten, il est impliqué dans une quinzaine de réalisations pour des particuliers, ainsi que pour un écoquartier et un tiers-lieu à Sion (VS). Ce dernier, nommé L’archipel, organise d’ailleurs une conférence sur le sujet (voir l’encadré).

Incitation financière demandée

En revanche, peu d’agriculteurs ont sauté le pas, malgré l’intérêt qu’ils témoignent pour la démarche. Pour Samuel Dépraz, un soutien de la Confédération à travers les paiements directs est nécessaire.

«Actuellement, les paysans manquent de temps et d’argent pour s’impliquer dans ce type de culture alternative. Pourtant, cela pourrait augmenter la présence d’auxiliaires et de pollinisateurs sur leur domaine, tout en diversifiant leur production. Sans compter que végétaliser les sols est une manière efficace de faire face au dérèglement climatique. Il faut encourager cette créativité.»

Octobre sous le signe de l'agroécologie

Dans moins de deux semaines aura lieu une conférence autour des jardins-forêts, proposée par L’archipel. Spécialisé dans l’économie circulaire, ce tiers-lieu proche de la gare de Sion (VS) rassemble plusieurs espaces comme une bibliothèque d’objets, une ressourcerie et un atelier partagé, dans le futur quartier Ronquoz 21. Au printemps prochain, un jardin-forêt de 100 m2 sortira également de terre. «Le principal objectif est de sensibiliser les habitants à la biodiversité. Le but est aussi de créer une surface nourricière peu gourmande en eau et de proposer différents ateliers sur l’alimentation», détaille Julien Robyr, codirecteur de L’archipel. Cette conférence s’inscrit dans le cadre des Journées de l’agroécologie, organisées depuis 2021 par le réseau Agroecology Works! Le thème de l’année, «L’avenir a du goût», mêle art, culture et gastronomie. Parmi les événements proposés, on retrouve une table ronde sur l’avenir de la culture du vin en Valais, une rencontre sensorielle autour de l’agroécologie paysanne en Suisse et au Maroc, une exposition sur les menaces que fait peser l’agrochimie sur nos semences, ainsi qu’une série de dîners uniques organisés par des chefs.

+ d’infos La conférence «L’agroécologie en action: création d’un jardin-forêt» aura lieu le 15 octobre à 19 h, à L’archipel, Sion (VS). Programme complet sur www.agroecologyworks.ch; www.jardin-foret.ch

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