Deux visions s'affrontent pour lutter contre le déclin de la biodiversité

Le 22 septembre, le peuple suisse se prononcera sur l'initiative populaire «Pour l'avenir de notre nature et de notre paysage». Tour d'horizon des objectifs des initiants et des craintes du milieu agricole.
4 septembre 2024 Lila Erard
© Adobe Stock

Les Suisses voteront bientôt sur l’initiative populaire «Pour l’avenir de notre nature et de notre paysage», plus couramment appelée «Initiative biodiversité». Lancée en 2019 par plusieurs organisations dont Pro Natura, BirdLife et Patrimoine suisse, elle vise à protéger la nature et le paysage en mettant à disposition les conditions nécessaires à la sauvegarde et au renforcement de la biodiversité.

En 2022, le Conseil fédéral y avait opposé un contre-projet indirect, qui avait été refusé par le Conseil des États. C’est la raison pour laquelle le texte originel est soumis au peuple le 22 septembre.

Quel est le contexte?

Selon un rapport de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) de 2023, un tiers des espèces animales et végétales du pays sont considérées comme menacées ou ont déjà disparu. De plus, la qualité et la quantité de nombreux milieux naturels ont fortement décliné depuis 1900. Ainsi, la biodiversité se trouve dans «un mauvais état», voire dans un état «critique» en plaine.

En 2012, la Confédération a adopté une Stratégie Biodiversité Suisse, suivie d’un plan d’action en 2017. Si certaines mesures ont eu du succès à l’échelle locale, elles restent insuffisantes, souligne l’OFEV.

L’an dernier, les aires protégées d’importance nationale, régionale ou locale représentaient 10,7% du territoire. D’autres zones précieuses comme certaines surfaces de promotion de la biodiversité dans l’agriculture (SPB) couvraient 2,7% supplémentaires. Au total, 13,4% du pays étaient donc consacrés à cet objectif, soit un chiffre inférieur aux 17% fixés dans la stratégie nationale pour 2020.

Que dit le texte?

L’initiative demande à la Confédération et aux Cantons de prendre des mesures ciblées et de veiller à ce que les surfaces, instruments et ressources financières nécessaires soient disponibles, et à ce que la nature et le paysage soient ménagés, y compris hors des zones protégées. Toutefois, aucun objectif chiffré n’est donné.

Nous devons réagir et faire contrepoids pour protéger 
notre santé, notre économie 
et nos enfants.

«C’est une volonté de notre part, car les besoins sont différents selon les régions. Nous voulons donner les moyens aux autorités de respecter leurs engagements, en favorisant la quantité, la qualité et la mise en réseau des surfaces, et ce avec les acteurs concernés de chaque territoire», déclare Sarah Pearson Perret, directrice romande de Pro Natura.

Elle souligne que la Suisse est le pays qui a le moins de zones destinées à la biodiversité en Europe. «Nous devons réagir et faire contrepoids pour protéger notre santé, notre économie et nos enfants.»

Qui est pour, qui est contre?

Les Verts, le PS et les Vert’Libéraux soutiennent le texte, tout comme la Fédération suisse de pêche et Bio Suisse. Parmi les opposants, on retrouve l’UDC, le PLR et Le Centre, ainsi que l’Union suisse des paysans et les milieux économiques.

L’Alliance agraire sort du lot en ne donnant pas de consigne de vote, au nom d’une campagne «menée sous le coup de l’émotion» (lire notre édition du 25 juillet). Le Conseil fédéral recommande aussi de rejeter l’initiative.

Quels sont les arguments 
du non?

Trop «extrême», l’initiative entraverait des secteurs importants, dont les énergies renouvelables, l’agriculture et l’habitat, freinant le développement économique. Selon Loïc Bardet, coordinateur romand de la campagne, la stratégie en cours est suffisante. «Le Conseil fédéral a prolongé la première phase du plan d’action jusqu’à fin 2024, et une deuxième va être lancée. Nous ne devons pas multiplier les prescriptions.»

Par ailleurs, il souligne que des progrès sont déjà enregistrés. «En trente ans, il y a eu une stabilisation, voire une amélioration de la situation pour certaines espèces. On trouve davantage de libellules dans les zones protégées et les lynx et gypaètes barbus sont réapparus. Tout est une question de focale. Il faut continuer nos efforts, mais cette initiative n’a pas de plus-value.»

La Suisse «mise sous 
cloche»?

Telle est la crainte des opposants, qui arguent que l’initiative veut «confisquer» 30% des terres du pays, les transformant en «surfaces intouchables». Dans les faits, ce chiffre n’apparaît pas dans le texte, mais avait été mentionné lors de la COP15 à Montréal en 2022, à laquelle 195 pays, dont la Suisse, s’étaient engagés à déclarer 30% des terres et des mers comme «espaces protégés» d’ici à 2030.

Pour Loïc Bardet, cela reste l’objectif final des initiants. «Dans un petit pays, la concurrence est forte concernant les surfaces, ce qui peut créer des conflits dans les politiques publiques. La biodiversité ne doit pas primer sur les autres intérêts.»

Si l’initiative passe, 
la production indigène 
diminuera et nous devrons importer davantage.

ForêtSuisse, l’association des propriétaires forestiers, pointe quant à elle une initiative trop floue. «La Suisse est réputée pour sa sylviculture durable. De nouvelles règles compromettraient la gestion de ce milieu, notamment les coupes de bois», avertit Benno Schmid, responsable médias.

Selon Sarah Pearson Perret, protection et exploitation vont de pair. «Actuellement, seul 1,4% du pays est totalement exempt d’exploitation humaine. Il s’agit du Parc national, de certaines réserves forestières dites intégrales et des hauts marais. Pour le reste des surfaces, mêmes protégées, certaines formes sont autorisées, voire nécessaires, comme la fauche dans les prairies sèches. La pesée des intérêts n’est pas remise en cause», assure-t-elle.

«Il s’agit ici de voter pour un principe constitutionnel général, ajoute Margot Wohnlich, coprésidente des Jeunes Verts genevois et responsable du comité cantonal du «Oui». On est bien loin de l’écologie punitive, car il s’agit d’augmenter la qualité de vie.»

Paysans gagnants 
ou perdants?

Le milieu agricole est monté au créneau, rappelant qu’environ 19% des terres agricoles sont déjà des SPB. «Si on augmente encore ces surfaces, la production indigène diminuera et nous devrons importer davantage», signale Loïc Bardet, qui est aussi directeur de l’organisation faîtière de l’agriculture romande Agora.

Alors que le gouvernement estime le coût de ces mesures à environ 400 millions de francs par an, Loïc Bardet redoute que le budget consacré à l’agriculture en pâtisse. «Davantage de restrictions signifieraient une augmentation des coûts d’exploitation et plus de complexité administrative. Nous devons être justement rétribués.»

Pour le comité du «Oui», les paysans ont tout à y gagner. «Ce secteur est souvent le plus grand bénéficiaire des lois de protection de la nature. L’enjeu principal est surtout d’améliorer les SPB existantes, puisque de grands efforts sont déjà faits. L’initiative prévoit des moyens financiers à cet effet. Par ailleurs, elle ne met pas en péril la sécurité alimentaire, car la Suisse dépend déjà des importations», remarque Sarah Pearson Perret, avant de compléter: «L’agriculture est tributaire d’une nature diversifiée. Sans elle, pas de fertilité du sol ni de pollinisation.»

La Genevoise Margot Wohnlich rappelle que le milieu urbain est aussi concerné, par exemple en ce qui concerne l’arborisation. «Dans ce vote, le clivage ville-campagne n’est pas pertinent; on parle de notre source de vie commune.» Mi-août, 51% des Suisses soutenaient le texte, d’après un sondage de la SSR.

Rapport contesté

Dans sa campagne, l’Union suisse des paysans s’appuie sur un document décrié par le milieu académique, affirmant qu’il n’y a pas de «crise de la biodiversité généralisée» dans le pays. Non vérifié par des pairs, ce rapport a été rédigé en 2023 par le biologiste indépendant Marcel Züger sur mandat de l’organisation. Il remet notamment en cause certains indicateurs, dont la Liste rouge des espèces menacées. Parallèlement, 102 chercheurs ont exprimé leur inquiétude sur l’état de la biodiversité dans une récente prise de position, demandant des mesures rapides.

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