Entre sa ferme et l’alpage, la famille Widmer vit un défi quotidien

Chaque mois, Terre&Nature met la relève à l’honneur. Sur un plateau isolé niché sur les hauteurs de L’Étivaz (VD), Eve et Mathias Widmer produisent le célèbre fromage grâce au lait de leurs vaches.
26 août 2024 Oriane Grandjean
Le couple formé par Eve et Mathias Widmer passe l’été à l’alpage, tout en gérant à la fois une exploitation à Leysin (VD): il faut donc savoir s’adapter en permanence.

Pour atteindre le coin de paradis qu’est l’alpage de Seron, sur les hauts de L’Étivaz (VD), il faut compter une bonne heure de marche depuis la vallée. Mais ce site naturel en vaut le détour. C’est ici qu’Eve et Mathias Widmer passent leur été en famille, avec leurs vaches, leurs cochons, leurs poules et leur chien.

Les journées sont chargées pour le couple, dont la production est valorisée en meules de L’Étivaz. On arrive justement au moment de la traite en ce matin d’été. Les brunes suisses et les kiwi cross sont dans l’étable, le calme seulement troublé par le murmure régulier de la machine à traire.

Rencontre au sommet

«Les brunes sont bien adaptées à la vie à l’alpage, explique Mathias Widmer. Elles grimpent partout et n’ont pas peur de marcher un peu pour chercher de l’herbe. Comme les journées sont chaudes, on les a laissées la nuit dehors et elles resteront à l’intérieur jusqu’à ce soir. C’est pour cela que la traite a lieu plus tard.» Via la machine à traire et le réseau de conduites récemment installé, le lait rejoint la traite de la veille dans le chaudron de cuivre où se prépare le L’Étivaz.

Mathias Widmer a commencé par effectuer un apprentissage de fromager avant d’enchaîner avec un CFC d’agriculteur. «Dans ma famille, il y avait pas mal d’agriculteurs, raconte le natif du Pays-d’Enhaut en préparant les ferments lactiques. Lorsque j’étais petit, j’accompagnais souvent mon grand-père sur son alpage. J’ai toujours adoré l’ambiance qui y règne.» C’est tout naturellement qu’il dépose son dossier pour la reprise d’un alpage à la fin de ses études et c’est ainsi qu’il se retrouve au Seron il y a douze ans.

«C’est là que j’ai rencontré Mathias, continue Eve. J’étais inséminatrice et je devais venir ici pour le travail.» Leur histoire semble écrite. Et elle se poursuit sur cet alpage. Eve vient d’une famille d’agriculteurs basée à Leysin. Elle reprend l’exploitation familiale en 2011 après son école d’agriculture, un stage au Danemark et une formation d’inséminatrice.

En chiffres

1813 mètres, l’altitude de l’alpage de Seron.

1700, l’année de construction.

44, le nombre de vaches sur l’alpage.

2 races de vaches: des kiwi cross et des brunes suisses.

40, le nombre de porcs.

7000 kg, la production de fromage par saison.

Moins de lait cette saison

Eve et Mathias Widmer, âgés de 34 et 42 ans, gèrent aujourd’hui ensemble le domaine, où ils élèvent des vaches allaitantes, tout en exploitant l’alpage du Seron. Une sacrée logistique est nécessaire, d’autant plus depuis que l’aînée de leurs filles a commencé l’école.

Sur l’alpage, ils produisent deux ou trois meules par jour dans l’immense chaudron de cuivre chauffé au feu de bois, comme l’exige le cahier des charges du L’Étivaz. Après le pressage et le bain de saumure, les fromages sont stockés quelques jours avant d’être acheminés à la cave d’affinage de la coopérative.

Une source précieuse

Pour les aider dans leur tâche, ils peuvent compter sur le travail de Jakob et de Quentin, deux efficaces employés qui leur prêtent main-forte depuis de nombreuses années. «Cette saison, nous avons eu un peu moins de lait qu’à l’accoutumée, explique l’agriculteur. Ce sont des génisses qui sont montées et comme elles viennent de faire leur premier vêlage, elles ont produit moins que des vaches plus âgées.»

À l’heure où les étés deviennent de plus en plus chauds, que les épisodes caniculaires se multiplient, y compris sur les alpages, et que l’accès à l’eau complique la tâche des agriculteurs, Mathias Widmer apprécie que la situation de Seron en fasse un endroit privilégié. «Nous avons la chance d’avoir une source à proximité. Évidemment, on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, mais je suis fondamentalement optimiste et résilient, comme la nature. Même quand cela n’ira pas, on trouvera comment faire pour que ça aille.»

Du côté d’Eve Widmer, le son de cloche est plus pragmatique: «Je trouve que c’est compliqué, lorsqu’on a une famille, de devoir se réadapter toutes les saisons, de ne rien pouvoir prévoir. L’alpage, c’est un travail à 100% l’été, mais notre domaine à Leysin aussi. C’est un défi quotidien d’arriver à tout gérer.»

Le poids des tâches administratives

Demandez à ces jeunes paysans s’il y a d’autres difficultés à surmonter et ils désigneront d’une même voix la masse croissante des formalités administratives. «À peine nos études finies qu’on devait déjà demander l’aide de Proconseil pour remplir les documents liés aux paiements directs, explique Eve Widmer. C’est normal qu’il y ait un contrôle, mais c’est une contrainte qui s’ajoute aux autres, et qui pèse lourd. Ici, nous n’avons pas de connexion internet, il faut donc rentrer à Leysin pour tout remplir, et ça prend du temps.»

D’ailleurs, Mathias grimpe déjà à bord de son tout-terrain, car les regains à Leysin n’attendent pas. Pour ce qui est de la fabrication du fromage, c’est à Eve et à Jakob de prendre le relais: «Heureusement qu’on peut compter sur un employé comme lui, cela vaut de l’or», dit la jeune femme. Sur l’alpage, la journée ne fait que commencer.

Même le feu est local

De l’altitude des alpages (entre 1000 et 2000 m) au poids des meules (de 10 à 38 kg) en passant par le fourrage (exclusivement des fourrages grossiers issus de l’alpage) ou le type de chaudron (une chaudière en cuivre), le cahier des charges auquel souscrivent les producteurs du L’Étivaz est strict. Outre le fait que ce fromage ne peut être fabriqué que sur l’alpage, le bois qui sert à chauffer le lait doit provenir du coin. La préparation des bûches d’épicéa fait donc pleinement partie des tâches incombant à l’exploitant. Outre le fait de perpétuer une tradition séculaire, ce processus contribue à la préservation des paysages alpins.

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