Face au loup, certains agriculteurs vaudois sont «complètement à bout»

Les nombreuses attaques dans le Jura vaudois pèsent sur le moral des éleveurs bovins. Si le Conseil d'État a adopté une série de mesures et demandé le tir d'une meute entière, la situation est loin d'être stabilisée.
5 septembre 2024 Véronique Curchod
Éleveur aux Bioux (VD), à la vallée de Joux, Anthony Rochat a perdu coup sur coup deux génisses à cause du loup. © Valentin Flauraud

Voilà une quinzaine de jours, Anthony Rochat, excédé, a pendu au milieu de son village la dépouille de l’une de ses génisses, tuée par des loups. «J’ai conscience que cet acte a choqué la population, admet l’éleveur des Bioux (VD). Mais moi aussi, je suis choqué. Et je me sens incompris. Le grand public ne réalise pas ce que nous vivons à cause des loups. J’ai reçu beaucoup de messages de soutien, car je ne suis pas le seul à être complètement à bout.»

À moins d’une semaine d’écart, le Vaudois a vu deux de ses génisses – d’un poids respectable de près de 300 kg – mourir sous les crocs du grand canidé. «Ces bêtes de la race holstein représentent l’aboutissement de cinquante ans de sélection génétique, se désole-t-il. L’une d’elles était issue d’un taureau canadien très recherché. On connaît leur ascendance et on y est attaché.»

Pétards de vigne contre crocs

Lorsque le drame s’est produit, le troupeau de 80 bêtes était à l’alpage, sur un pâturage d’une centaine d’hectares. «Depuis le début de la saison, mon père va les contrôler cinq fois par jour. Et toutes les nuits, vers minuit, il allume des pétards de vigne, dans l’espoir d’effrayer le prédateur.»

Les Combiers ont également pris d’autres mesures, en mélangeant notamment les bovins d’âges différents, espérant ainsi que les plus grands assurent un rôle de protection. Ces précautions n’auront pas suffi.

La première attaque a eu lieu en pleine journée. «Pour tuer un tel animal, le garde-faune a estimé qu’ils étaient cinq ou six loups à chasser simultanément.»

En chiffres

2007, premier constat de la présence du loup dans le canton de Vaud, après 152 ans d’absence.

2019, établissement de la première meute, celle du Marchairuz. Cinq meutes sont actuellement dans le Jura vaudois, dont trois transfrontalières.

25 loups au minimum présents sur le territoire vaudois en 2023.

102 animaux de rente ont été tués dans le canton en 2023, dont 26 jeunes bovins âgés de plus de 160 jours (87 en 2022); 22 bovins tués cette année, chiffre confirmé par les inspecteurs de la Police faune nature, depuis le début de la saison d’alpage.

7 loups abattus à la suite d’autorisations de tir depuis le retour naturel de l’espèce.

Une meute problématique

Si la colère et le dépit d’Anthony Rochat sont compréhensibles, l’État de Vaud ne reste pas sourd à la détresse des éleveurs vaudois, même si ceux-ci se sentent parfois démunis. Un plan d’action loup a ainsi été mis en place depuis 2023, avec pour objectif de faciliter la coexistence entre les activités pastorales et le carnivore.

Une meute, celle du Mont-Tendre, est particulièrement problématique, causant un nombre important de prédations sur de jeunes bovins. Celle-ci est responsable de plus des trois quarts des attaques dans le Jura vaudois. Le Canton a réagi en demandant mi-août à l’Office fédéral de l’environnement l’autorisation de l’abattre totalement. À noter qu’une autorisation de tir sur deux louveteaux de cette meute avait été accordée pour une période s’étendant de fin juillet à fin août, mais sans succès.

«Les comportements de prédation sont spécifiques à chaque meute, explique Frédéric Hofmann, chef de la section Chasse, pêche et espèces du Canton de Vaud. Certaines meutes sont discrètes et farouches, alors que d’autres se sont habituées à attaquer les animaux de rente présents dans leur territoire, ovins ou bovins notamment.»

Quelle que soit la réussite de cette chasse au loup, prévue cet hiver si la Confédération donne son accord, elle ne suffira pas à régler la question.

Varier les mesures de protection

Dans ce cadre-là, les mesures de protection sont indispensables. Du côté des Bioux, des bénévoles ont ainsi veillé le troupeau attaqué pendant plusieurs nuits. Mais une telle présence n’est possible que de manière ponctuelle, au vu de l’ensemble des alpages vaudois à protéger. Et si, sur le papier, d’autres dispositions préconisées semblent intéressantes – chiens de protection, phéromones, variantes de clôtures –, elles se révèlent souvent difficilement applicables.

Selon la Direction générale de l’environnement, le loup montre d’ailleurs de grandes capacités d’adaptation à ces mesures. «On nous dit de rentrer nos bêtes toutes les nuits, s’insurge Anthony Rochat. Mais le chalet d’alpage n’est pas aux normes pour nos 80 animaux. Sans compter la charge de travail énorme que cela représente. De toute façon, les attaques ont eu lieu de jour. Je ne vois tout simplement pas de solution.»

La prédation du bétail n’est que la pointe de l’iceberg.

L’État se dit conscient du bouleversement que le canidé représente sur l’organisation du travail et la rentabilité des alpages. «La prédation de bétail n’est que la pointe de l’iceberg, souligne Frédéric Brand, directeur de l’agriculture, de la viticulture et des améliorations foncières du canton de Vaud. Les dérangements nocturnes, la charge mentale, les changements de comportement des troupeaux, les blessures, les avortements, l’agitation due à la présence du loup sont des facteurs qui perturbent grandement l’économie alpestre.»

Des indemnités sont prévues pour le travail supplémentaire et en cas de perte d’un animal. «Oui, mais je n’élève pas des bêtes pour qu’elles finissent dévorées par le loup. Ce n’est pas ma vision de l’agriculture, lâche Anthony Rochat. C’est simple, si j’avais dix ans de plus, j’arrêterais le métier!»

Mieux comprendre l'espèce

La multiplication des mesures de protection dénote le manque d’informations sur le comportement du loup. On ne sait pas quels sont les facteurs qui favorisent les attaques de bovins, ni la manière dont ceux-ci réagissent en présence du grand canidé. La Fondation KORA a donc démarré un projet intitulé «Wolves and Cattle» (Loups et bétail), dont l’objectif est d’approfondir ces connaissances. Des tentatives de capture afin de doter des loups de colliers émetteurs, ont été menées dès 2023, une première femelle ayant pu être munie d’une balise ce printemps.

Des bovins ont aussi été équipés avec des colliers GPS dans le Jura vaudois, où des meutes sont présentes en permanence, ainsi que dans le nord du Jura, où le loup n’apparaît que sporadiquement: cela permettra d’observer la différence de comportement des vaches entre ces deux zones. Les données récoltées doivent permettre de mieux connaître les interactions entre loups et bovins, ainsi que l’utilisation de l’habitat durant et après la saison d’estivage.

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