«Il faut encourager les agriculteurs à observer et prendre soin de leur sol»

Depuis cinq ans, 85 domaines jurassiens testent des pratiques inspirées de l'agriculture de conservation dans le cadre du projet «Terres Vivantes», cogéré par Amélie Fietier. La démarche sera présentée le 10 septembre.
2 septembre 2024 Lila Erard
L'ingénieure agronome Amélie Fietier travaille depuis 2011 à la Fondation rurale interjurassienne, en tant que conseillère en production végétale.
© Vincent Muller

Pourquoi la Fondation rurale interjurassienne a-t-elle décidé de lancer un projet d’une telle envergure dans la région?
Nous avons constaté des problèmes d’érosion des sols, de compaction lors des passages de tracteurs et de battance, c’est-à-dire de formation de croûtes lors de pluies, entraînant une baisse de l’infiltration de l’eau. Ces observations nous inquiétaient, sans pour autant que nous ayons des données scientifiques précises. Parallèlement, les agriculteurs manifestaient un intérêt modéré pour cette ressource qu’est le sol et ne se sentaient pas en capacité d’évaluer sa qualité, en raison d’un manque de confiance en leurs connaissances. C’est pourquoi nous avons décidé d’agir.

Dans quel cadre s’inscrit «Terres Vivantes»?
Il s’agit d’un programme lancé en 2019 en collaboration avec les cantons du Jura et de Berne, et cofinancé par l’Office fédéral de l’agriculture, qui prévoit des contributions pour des projets régionaux visant une utilisation durable des ressources naturelles. Ses objectifs sont d’améliorer la structure des sols pour gagner en résilience et en productivité, faire face au changement climatique et favoriser l’auto-évaluation. Le but est aussi de resserrer les liens entre paysans, conseillers et scientifiques, qui ont tendance à peu communiquer entre eux malgré leurs compétences complémentaires. Quelque 85 exploitations de tous types y ont pris part sur une base volontaire, soit 3000 hectares, ce qui représente 10% des terres cultivées du Jura et Jura bernois.

Bio express

Française d’origine alsacienne, Amélie Fietier est ingénieure agronome. Elle travaille depuis 2011 à la Fondation rurale interjurassienne, en tant que conseillère en production végétale. La quadragénaire est coresponsable du projet «Terres Vivantes», lancé en 2019 avec son collègue Luc Scherrer.

Quelles sont les pratiques qui ont été testées?
L’idée n’était pas d’imposer, mais de proposer des axes de travail selon les principes de l’agriculture de conservation. Le premier consistait à maximiser la couverture des sols, notamment en semant des intercultures dès la fin des moissons, tout en augmentant la diversité des espèces. Le deuxième visait à réduire autant que possible le travail du sol, par exemple en limitant le labour et l’utilisation de la herse rotative. Le troisième était d’optimiser la gestion de la matière organique en produisant et en épandant des engrais de ferme, comme du fumier ou du compost. L’utilisation de bois raméal fragmenté (BRF), un apport organique composé de branches fraîchement broyées, était aussi encouragée.

Concrètement, comment avez-vous supervisé la mise en place de ces mesures?
Pour ne pas ajouter une charge administrative aux agriculteurs, nous avons utilisé un outil qui existe déjà. Il s’agit du cahier des champs, où les professionnels sont tenus d’enregistrer les données exigées par les Prestations écologiques requises (PER), telles que les dates de récolte, de couvert ou encore d’épandage. Grâce à ces informations, nous avons pu établir un modèle avec un système de points, donnant accès à des contributions. Par exemple, si une exploitation avait couvert son sol durant 353 jours dans l’année, cela aurait donné droit à 87% de la contribution maximale pour ce critère.

Qu’en est-il du suivi de la qualité des sols?
La tâche principale des agriculteurs était d’effectuer des tests à la bêche sur au moins la moitié de leurs champs chaque année. Cette technique consiste à prélever des cubes de terre afin d’analyser la qualité structurale et d’identifier les zones de compaction. Une technique similaire a aussi été réalisée pour évaluer la quantité de vers de terre. Des piégeages de carabes, des coléoptères régulant les ravageurs, ont également été menés. Si l’autodiagnostic a été encouragé, les paysans ont pu bénéficier du soutien de conseillers et de la collaboration avec des partenaires scientifiques, comme Agroscope, l’Université de Neuchâtel ou la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève.

Peut-on déjà en tirer des résultats?
Alors que le suivi se termine à la fin de l’année, nous pouvons confirmer que le sol agricole jurassien présente effectivement un problème de porosité et un déficit de matière organique, bien que sa structure soit plutôt bonne. En revanche, le monitorage scientifique est toujours en cours. Les premiers résultats seront présentés à la fin de l’année prochaine. Nous espérons trouver des corrélations entre ces nouvelles pratiques et les analyses de sol en laboratoire, même si la période de cinq ans reste très courte dans ce domaine. Dans tous les cas, nous espérons que nos conclusions seront prises en compte dans l’élaboration de la prochaine politique agricole. Actuellement, l’agriculture régénératrice est trop peu soutenue à l’échelle fédérale.

Existe-t-il d’autres freins à sa généralisation selon vous?
Oui. Dans le cadre d’un suivi sociologique mené en lien avec ce projet, nous avons identifié différents obstacles à l’adoption de telles mesures, comme le regard des autres ou l’acceptation par ses pairs. Ainsi, les mécanismes de transfert du savoir entre la science et l’agriculture sont complexes. Il faut les prendre en compte pour faire perdurer ces pratiques à l’avenir.

Avez-vous bon espoir?
Oui. Si, au départ, de nombreux paysans ont participé pour des raisons économiques, un bon tiers a durablement changé ses habitudes. Certains vont d’ailleurs continuer d’effectuer des tests à la bêche. L’expérimentation ouvre la voie de la sensibilisation. Ce projet a fait naître de nouveaux intérêts et offrira des bénéfices à long terme.

Événement ouvert à tous

Chaque année depuis son lancement, le projet «Terres Vivantes» organise une journée rassemblant les paysans participants, les partenaires scientifiques et les conseillers agricoles. Ouvert à toutes les personnes intéressées, le prochain rendez-vous aura lieu le mardi 10 septembre, à l’école d’agriculture de Loveresse (BE), en collaboration avec Swiss No-Till, l’association suisse pour une agriculture respectueuse du sol. Plusieurs présentations auront lieu de 9 h à 16 h autour du développement de l’intensité végétale, de la gestion des amendements organiques et de la réduction du travail du sol. Entrée libre.

+ d’infos www.frij.ch/10-septembre-a-loveresse/

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