«La durabilité du secteur vitivinicole ne se joue pas seulement à la vigne»

Le marché est marqué par le changement climatique. Mais le directeur de Swiss Wine Promotion, Nicolas Joss, est convaincu que la production indigène a tous les atouts dans sa manche pour assurer son avenir.
4 novembre 2024 Clément Grandjean
© Clément Grandjean

De quoi parle-t-on quand on évoque la durabilité en matière de viticulture?

La thématique est vaste. On a tendance à limiter la question aux méthodes de production et à la consommation d’énergie, mais la durabilité, c’est plus que cela: si l’on prend en considération tous les enjeux liés à la pérennité de cette activité, il faut considérer aussi bien la gestion des ressources naturelles, l’utilisation de produits phytosanitaires ou l’aspect énergétique que les enjeux sociétaux ou économiques.

Et où se situe la Suisse sur ces divers 
tableaux?

C’est précisément la question sur laquelle Swiss Wine a souhaité se pencher. Nous avons mené une étude à l’échelle nationale pour faire un état des lieux et savoir d’où l’on part avant de décider de mesures à prendre. C’est toujours utile de comparer la situation helvétique avec celle de nos voisins, par exemple du côté des salaires: celui d’un employé agricole se monte à 3450 francs par mois, contre 1600 en France ou 1200 en Italie. Cela explique que les coûts de production soient plus élevés chez nous, d’autant que la plupart des vignerons paient plus que le minimum légal pour s’assurer de garder leur personnel. La durabilité, c’est aussi cela: des emplois assurés et des salaires décents.

Plus largement, la viticulture fait pleinement partie de notre patrimoine national…

Et c’est un point central: si on parle de durabilité, c’est parce qu’on est attaché à un patrimoine. À ce titre, le vin est un pilier culturel pour la Suisse, où de nombreux événements sont directement liés à cet univers. On peut citer la Fête des Vignerons, mais aussi les caves ouvertes qui, avec près de 200 000 visiteurs chaque année dans les vignobles, constituent la plus grande manifestation œnotouristique d’Europe. Ce genre de rendez-vous ont des retombées économiques significatives pour les régions, parce que les visiteurs consomment un panel de prestations bien plus large que les seuls produits de la vigne.

C’est le transport qui grève le bilan carbone du vin. 
À nous d’être cohérents en tant que consommateurs.

Du côté des méthodes de culture et de la consommation d’énergie, fait-on également figure de bons élèves?

Le monde agricole suisse est extrêmement attentif à la gestion des ressources naturelles. On oublie trop souvent tous les efforts qui ont été faits depuis des générations pour préserver notre patrimoine naturel et nos ressources, de l’eau aux sols en passant par la production d’énergie renouvelable. Lorsqu’on utilise l’outil du bilan carbone, la proximité fait la différence: le transport pèse très lourd dans la balance.

C’est une chose de tirer un bilan. Mais sa valeur dépend des critères sur lesquels on se base…

Du côté de la production, on a des règles strictes qui s’accompagnent d’un système de contrôle efficace, des normes PER à celles des labels, que l’on parle d’IP-Suisse, de Bio Suisse ou encore de Demeter. Pour ce qui concerne le volet social, on peut s’appuyer sur des règles salariales également contrôlées par l’État. Côté économie, enfin, il s’agit d’analyser le revenu généré par le tourisme et la gastronomie, lui aussi quantifiable. En partant de ce constat, on peut dire que le vin suisse est durable.

L’argument de la durabilité fait-il mouche auprès des consommateurs?

Je compte sur la frange de clients sensibles à la nature et à l’environnement pour qu’ils aillent au bout de leur démarche et achètent moins de vin bio venu de l’étranger. Au-
delà du fait que les normes ne sont pas les mêmes partout, leur bilan carbone est tel que ces produits devraient être bannis. Nous devons être cohérents: si je n’achète pas de tomates du sud de l’Espagne, je devrais penser de la même manière pour le vin.

Comment encourager ce changement d’habitude? Par des labels?

Au contraire, je suis convaincu qu’on doit les rationaliser, voire supprimer ceux qui n’ont plus de raison d’être. Ce sont 89% du vignoble suisse qui est cultivé au moins selon les normes PER. En comparaison internationale, la Suisse a un coup d’avance. L’argument de la durabilité est utilisé de l’Afrique du Sud à la Nouvelle-Zélande en passant par la Sicile, mais ce discours ne dit pas grand-chose s’il n’est pas étayé. Ce qui compte, c’est de savoir où on en est. Et en Suisse, on a déjà fait du chemin.

C’est-à-dire?

En matière de respect du paysage et de l’environnement, on n’a pas attendu qu’on nous dise ce qu’il fallait faire. La loi Lavaux en est un bon exemple: on a souhaité protéger un vignoble tout en conservant son statut d’outil de travail et sans le mettre sous cloche, pour que l’économie locale en profite. On peut aussi citer le label Vinatura, créé il y a trente ans déjà, ou nos nombreux centres de compétences en matière de technique, du FiBL aux stations de recherche d’Agroscope de Changins, Lutry, Wädenswil ou Cadenazzo. On y mène depuis des décennies des recherches sur les sols, l’enherbement, les cépages…

Dans un contexte marqué par le changement climatique et les incertitudes qu’il implique, c’est un plus…

C’est un atout et un défi à la fois: dans la recherche, on se focalise sur la nouveauté alors que parfois, il faut aussi freiner, regarder en arrière parce que les paramètres ont changé. Des techniques ou des cépages mis de côté parce qu’inadaptés peuvent revenir sur le devant de la scène. Certains chasselas abandonnés il y a trente ans parce qu’on leur trouvait trop de vivacité s’avèrent aujourd’hui fantastiques avec un climat plus chaud.

La durabilité passe également par la rentabilité du métier. Quelles sont les perspectives à cet égard?

On doit pouvoir gagner sa vie en travaillant de la vigne et en respectant des normes 
de production rigoureuses. Ce qui me préoccupe, c’est de savoir comment on pourra en vivre et à quoi ressemblera le travail 
des vignerons de demain. Ce n’est pas un métier qu’on embrasse pour le salaire ni pour la facilité, mais il offre une totale liberté de manœuvre, du conventionnel au tout nature. Lorsqu’on est vigneron, on travaille au quotidien pour façonner le paysage et faire vivre un patrimoine. Rien ne vaut cela.

Bio express

Issu d’une famille vigneronne du Chablais vaudois, Nicolas Joss entame son parcours dans le monde de l’hôtellerie et de la gastronomie. Après avoir travaillé dans des palaces de Gstaad et de Lausanne, il retrouve le monde viticole en dirigeant l’Office des vins vaudois. Il est nommé directeur de Swiss Wine Promotion en 2019.

Envie de partager cet article ?

Achetez local sur notre boutique

À lire aussi

Accédez à nos contenus 100% faits maison

La sélection de la rédaction

Restez informés grâce à nos newsletters

Icône Boutique Icône Connexion