La féverole, cet engrais vert qui retrouve une place dans nos assiettes

Avant d'être supplantée par la pomme de terre, cette plante était consommée en Suisse. Les protéines contenues dans ses fèves la remettent en lumière, dans les champs comme en magasin.
11 juillet 2024 Céline Duruz
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Depuis quelques années, une plante s’impose dans les champs en toute discrétion: la féverole. Jadis courante en Suisse, Vicia faba a longtemps été délaissée au profit de cultures comme le blé ou le maïs. Or elle a de nombreux atouts, aussi bien agronomiques que diététiques. Les agriculteurs bios en sont particulièrement friands, reconnaissant en ce végétal résistant une alliée pour améliorer leurs récoltes.

Cette plante annuelle, pouvant culminer à deux mètres de haut, a en effet la capacité de fixer l’azote de l’air – un engrais naturel – dans le sol. La féverole leur permet donc de limiter l’usage d’intrants pour améliorer la qualité de la terre le plus naturellement du monde.

Généreuse et partageuse

La belle pousse aux fleurs blanches rehaussées de touches violettes accepte aussi de partager sa terre avec des céréales, en cultures associées. Pionnier en la matière, Christian Forestier, agriculteur à Thierrens (VD) et membre du Groupe indépendant recherche expertise bio (GIREB), l’utilise depuis une décennie dans ses parcelles. «J’ai commencé à associer ce végétal formidable avec de l’avoine, afin d’être autonome en fourrage pour mes vaches allaitantes, mais je trouve plus intéressant de le combiner avec du blé, explique celui qui en cultive sur une quinzaine d’hectares. Cela me permet d’écouler deux récoltes issues d’un seul terrain avec de bons rendements, en me passant d’intrants. C’est intéressant du point de vue financier et agronomique.»

La récolte des grains et des fèves peut se faire avec des machines conventionnelles équipées de tamis de maillages différents, séparant le blé des féveroles, trois fois plus grandes. «Il faut s’entourer de moissonneurs et de silotiers pouvant le faire. Ce point, comme celui du tri, est à parfaire si on veut développer la filière pour l’alimentation humaine», estime le producteur, conquis par cette légumineuse, comme nombre de ses collègues. En 2022, elle a été semée sur 759 hectares, 200 de plus qu’en 2015, indique Swiss Granum.

Fèves à tout faire

Dans la vallée de l’Albula (GR), Marcel et Sabina Heinrich Tschalèr cultivent avec Freddy Christandl plus 200 sortes de patates, ainsi que des féveroles surnommées dans l’arc alpin «fèves des montagnes». Ils proposent de nombreuses recettes pour apprêter facilement et avec beaucoup de goût ces légumineuses oubliées sur leur site internet Bergkartoffeln. Mention spéciale à leur houmous alpin conçu avec les fèves de leur domaine bio Las Sorts ou leur proposition de polenta et de purée enrichies avec les fèves de leurs champs.

Petite bombe de protéines

Bien moins prisée que le pois chiche ou la lentille, la féverole sert aujourd’hui avant tout de fourrage pour le bétail, une fois sa mission d’enrichissement du sol terminée. Cela pourrait drastiquement changer prochainement. Les protéines contenues dans les petites gousses de celle que l’on surnomme «la fève des Alpes» intéressent en effet les géants de l’agro-industrie, comme Nestlé.

Avec une teneur en protéines de l’ordre de 30%, ces fèves riches en fibres, en magnésium et en calcium peuvent en effet se substituer à la viande ou enrichir des boissons (lire l’encadré). Si on les redécouvre aujourd’hui, ces propriétés ne sont en réalité pas inconnues, selon l’association Patrimoine culinaire suisse. La féverole faisait autrefois partie intégrante de notre régime alimentaire. Elles ont été détrônées au XVIe siècle par des légumes exotiques en provenance du Nouveau Monde, comme les pommes de terre et les haricots verts. Les féveroles ont alors fini aux oubliettes, jusqu’au retour en grâce des protéines végétales dans nos assiettes.

Nouveaux débouchés

«Ces fèves ont longtemps été boudées par les centres collecteurs, jugeant leur tri complexe, lorsqu’elles poussent en culture associée, rappelle Ludivine Nicod. C’est en train de changer. Il y a beaucoup de débouchés pour ces légumineuses, couramment utilisées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, mais encore faut-il trouver les acteurs qui acceptent de développer des produits à base de féveroles.»

Pour faciliter cette transition, des projets de sélection variétale sont en cours afin de proposer des fèves légères en tanins, dépourvues des alcaloïdes vicine et convicine, pouvant engendrer le favisme (ndlr: une maladie génétique causant la décomposition des globules rouges). Une variété est déjà sur le marché, d’autres, très prometteuses, devraient être introduites prochainement.

Anciennes variétés testées

Depuis 2011, ProSpecieRara exhume des variétés de fèves et de féveroles qui poussaient autrefois dans nos montagnes. «Nous avions des collections de diverses graines à disposition, mais en très petites quantités, explique Matthias Gudinchet, responsable de projets plantes chez ProSpecieRara. Les agriculteurs qui voulaient les cultiver devaient en faire pousser pendant trois à quatre ans afin de collecter suffisamment de semences pour leur propre approvisionnement. Nous avons voulu leur éviter cette mise en route laborieuse, qui pouvait en décourager plus d’un.» Le projet continue de se développer, en attendant qu’une filière pour ces fèves se mette véritablement en place. L’organisation étudie aussi leur valorisation en cuisine, en proposant des recettes sur son site. «Ces plantes font historiquement partie de l’agriculture européenne, on connaît leurs vertus depuis le haut Moyen Âge, rappelle-t-il. Il faut aujourd’hui que l’on réapprenne à les consommer sèches ou fraîches avec leur cosse.»

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