«La hausse des températures va favoriser les insectes ravageurs»
Il s’agit de la première fois dans le pays qu’une étude modélise l’impact du réchauffement global sur ces espèces. Pourquoi est-ce un sujet important?
De manière générale, les insectes sont sensibles aux changements climatiques, car leur cycle de vie dépend beaucoup de la variation des températures. Sachant que les ravageurs causent désormais d’importants dégâts dans les champs agricoles et en forêt, l’augmentation de leur population est un enjeu de taille pour ces prochaines décennies. Dans le milieu académique, des biologistes avaient déjà travaillé sur la répartition de certains nuisibles en Suisse, mais les paramètres climatiques étaient rarement pris en compte. Ici, l’objectif était d’avoir une vision d’ensemble de leur évolution passée et future sur tout le territoire.
Comment avez-vous mesuré ce phénomène?
Il a d’abord fallu identifier les facteurs les plus importants pour le développement des ravageurs du pays, notamment la température minimale pendant l’hiver, déterminante pour la survie des espèces sensibles au froid. En parallèle, nous avons rassemblé les données météorologiques quotidiennes des quarante dernières années, de 1980 à 2021, provenant de 67 stations de MétéoSuisse situées entre 200 et 2300 mètres d’altitude. Nous avons ensuite travaillé avec deux scénarios prévoyant des augmentations variables de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, en se basant sur les analyses du GIEC (ndlr: Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), afin de faire des projections concernant les températures de 2022 à 2099.
Quelles conclusions en avez-vous tirées?
Les deux modèles montrent que la hausse des températures va favoriser certains insectes dans les cultures au moins jusqu’au milieu du siècle, notamment en leur permettant d’hiverner plus facilement sur le Plateau. Je pense notamment à la punaise verte du soja, présente sur le territoire depuis 2005, qui s’attaque autant aux légumes qu’aux grandes cultures. Certains ravageurs des forêts sont aussi concernés, tels que la processionnaire du pin ou le puceron vert de l’épicéa, qui atteindront probablement des altitudes plus élevées. La reproduction de certains nuisibles devrait également être favorisée en raison de périodes de développement plus chaudes.
Avez-vous des exemples?
Ce phénomène sera particulièrement frappant chez les ravageurs capables de produire plusieurs générations par an. Parmi ceux-ci, on retrouve l’eudémis viticole, déjà bien présent dans nos vignobles, le carpocapse du pommier, un papillon de nuit dont les larves peuvent causer d’importantes pertes de récolte, ou encore la pyrale du buis. Pour ces espèces, on pourrait observer l’émergence d’au moins une génération de plus par an.
Cela est-il inquiétant, particulièrement pour les paysans?
Bien sûr, car il y a déjà de nombreux dégâts à déplorer dans les cultures, et que cela devrait empirer. À cela s’ajoutent d’autres facteurs de pression, tels que des périodes de sécheresse, des canicules et de fortes précipitations, susceptibles de causer d’importantes pertes. Toutefois, les conséquences pourraient être nettement moins graves dans la deuxième moitié du siècle si nos émissions de CO2 diminuent rapidement. Nous avons une marge de manœuvre.
De quels facteurs va dépendre ce changement?
Principalement de choix politiques et économiques menant à la mise en place, ou non, de mesures drastiques pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. La recherche a aussi un grand rôle à jouer pour adapter notre agriculture à ces nouvelles conditions, principalement dans les domaines de la lutte contre les ravageurs et de la sélection de plantes résistantes. Mais ce défi sera difficile à relever si le climat ne se stabilise pas. En effet, le principal souci n’est pas tant les températures élevées, mais plutôt la vitesse à laquelle elles augmentent, exigeant de revoir sans cesse nos stratégies d’adaptation. Le problème se pose d’autant plus dans les forêts, car les arbres ont des cycles de vie particulièrement longs. Cette inertie entrave l’acclimatation de cet écosystème et empêche les milieux forestiers de prendre les devants.
Y a-t-il toutefois des avancées, notamment pour combattre ces nuisibles?
Oui. Il existe déjà plusieurs moyens de contrer les ravageurs des cultures, notamment l’eudémis viticole. La chenille de ce lépidoptère – également connue sous le nom de tordeuse de la grappe – perfore les grains et provoque des pourritures dans les vignobles suisses depuis plus d’un siècle. Afin de l’en empêcher, des diffuseurs de phéromones de synthèse sont désormais déposés dans les parcelles de façon à désorienter les mâles et d’éviter l’accouplement. D’autres innovations de ce type pourraient voir le jour, car notre pays comporte plusieurs instituts de recherche de qualité comme Agroscope, l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) ou le Center for Agricultural Bioscience International (CABI), à Delémont (JU), qui mènent de nombreux programmes en ce sens. À terme, les recherches en climatologie peuvent aider ces acteurs à mieux cibler les espèces prioritaires.
Les ravageurs sont-ils aussi de plus en plus présents dans le reste du monde?
Dans nos pays voisins au climat tempéré, oui. En revanche, la tendance est moins nette dans les régions tropicales, où le froid n’est pas un facteur limitant à leur développement. La situation est donc très variable selon les espèces.
Parallèlement, peut-on s’attendre à trouver davantage d’insectes exotiques sous nos latitudes?
Tout à fait. Par exemple, la punaise verte du soja est originaire du pourtour méditerranéen et des régions éthiopiennes. La plupart du temps, ces invasives arrivent chez nous avec le transport de marchandises et les mouvements de personnes, colonisant d’abord le Tessin puis le nord des Alpes. Aujourd’hui, elles constituent une menace sérieuse, car elles n’ont pas forcément de prédateurs naturels dans notre écosystème. Elles s’ajoutent ainsi aux ravageurs indigènes favorisés par les changements climatiques, comme le bostryche. La combinaison de ces deux populations est un défi pour le futur de notre agriculture.
Bio express
Léonard Schneider
Après un master en géographie, le chercheur est devenu assistant-doctorant à la chaire conjointe de climatologie appliquée de l’Université de Neuchâtel et de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage, dans l’équipe de la professeure Martine Rebetez. S’il a d’abord travaillé sur l’évolution du risque de gel printanier, le Neuchâtelois de 31 ans s’est ensuite intéressé à l’impact du climat sur les ravageurs, dans sa thèse. En parallèle, il participe à plusieurs projets de recherche soutenus par la Confédération.
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