La taille respectueuse des flux de sève, meilleure stratégie contre l’esca
Il est admis que la taille traditionnelle est un facteur favorisant l’esca, cette maladie du bois de la vigne provoquée par des champignons parasites, surtout sur les cépages sensibles tels que le gamaret, le garanoir, le gewurztraminer ou encore le sauvignon blanc, en créant des zones dévascularisées et des plaies favorisant l’entrée des spores responsables du dépérissement fatal. Couper différemment permet a contrario de minimiser cet impact et de prévenir à long terme l’apparition de la maladie, relèvent les spécialistes. «Chaque année, on propose un cours de taille non mutilante ainsi qu’une formation aux bonnes pratiques de lutte contre l’esca, indique Estelle Pouvreau chez ProConseil. En une dizaine d’années, nous avons sensibilisé plusieurs centaines de viticulteurs.»
Meilleure longévité de la plante
Le principe d’une taille non mutilante est simple: «Respecter la physiologie de la vigne et sa vascularisation, résume David Marchand, chercheur au FiBL et auparavant également conseiller viticole à ProConseil. Il s’agit de ne pas compromettre les flux principaux de la sève dans les vaisseaux en supprimant indûment des extrémités de ceux-ci.» Pour une vigne en gobelet, on va laisser la plante suivre la tendance naturelle à l’allongement. Pour les cordons, on recommande de ne tailler que sur du bois de un an pour éviter toute nécrose à l’intérieur des tourelles. «Jamais sur du bois de deux ans ou plus, pour éviter de créer du bois mort à l’intérieur du cep, précise-t-il. Lors de la coupe sur du bois d’un an, il faut préserver les bourgeons de la couronne qui favoriseront la formation de nouveaux tissus par le cambium aidant à la cicatrisation, et viser un développement aussi rectiligne que possible des tourelles.»
Sur un rang conduit en guyot, la taille est par essence plus traumatisante puisqu’on coupe sur la branche à fruits, donc sur du bois de deux ans. «Lors de la suppression, on va alors garder des bourgeons sur l’extrémité du chicot, comme «usines à pampres», de façon à réorienter la nouvelle
extrémité vasculaire et créer un appel de sève vers la nouvelle branche à fruits».
Ces techniques s’écartent des méthodes traditionnellement enseignées. «Certains vignerons redoutent de devoir ultérieurement passer plus de temps à l’ébourgeonnage de ce chicot ou de voir leurs vignes développer des «perchoirs à oiseaux, constate le spécialiste. Mais on évite ainsi quasiment à coup sûr la formation de bois mort dans le cep, et on porte la longévité de la plante à sa durée naturelle de 50 à 100 ans. Les pratiques traditionnelles s’inscrivent dans un modèle où elle n’est pas censée durer plus de trois décennies.»
Des alternatives à l’arrachage
Tailler de la sorte s’inscrit en pointe des stratégies préventives contre l’esca. Mais les ceps déjà atteints par la maladie ou contenant beaucoup de bois mort ne sont pas nécessairement condamnés, pas plus que les pieds sensibles atteignant un certain âge. Les formations données par ProConseil abordent aussi d’autres procédés, plus orientés vers la résilience que la prévention. Notamment le curetage de l’amadou à la tronçonneuse, avant ou après l’apparition des symptômes. «En étant rapide, l’opération prend entre trente secondes et une minute par pied, soit jusqu’à trois semaines par hectare, précise Estelle Pouvreau. Mais elle peut rajouter de la longévité, et éviter un arrachage et un replantage.»
Autre alternative, le recépage, afin de reformer un tronc sain à partir d’un pampre se développant au point de greffe, sous la partie nécrosée ou malade préalablement décapitée à la tronçonneuse. Et si aucune branche ne daigne s’épanouir, la dernière option consistera à couper le cep sous le point de greffe pour y placer deux nouveaux greffons sains. Une technique à laquelle il est indispensable de se former, note la spécialiste.
«Rien de tout ça n’est inédit, observe David Marchand. Ces pratiques étaient courantes et même enseignées au début de l’ère post-phylloxérique, avant la généralisation du recours aux plants greffés-soudés.» Leur efficacité est en outre bien établie empiriquement: sur La Côte vaudoise, le suivi systématique de parcelles où elles sont appliquées depuis 2013 montre que 99% des plants curetés ou recépés ont connu une seconde vie, le taux de réussite dépassant 50% pour les regreffages sur des ceps dépéris, «même lorsque ceux-ci avaient été menés avec une maîtrise encore imparfaite», note le chercheur.
Sacrifier un cep
Le remplacement des plants malades reste la norme et faire évoluer globalement les pratiques s’avère délicat, pointent les deux spécialistes. «La taille est très marquée par des éléments de tradition que le vigneron s’approprie dans le récit personnel de son exploitation, constate David Marchand. Changer de modèle, qui plus est en suivant un cours, c’est accepter de se remettre en question.» Sacrifier un cep pour procéder à sa coupe longitudinale et observer la vascularisation ainsi révélée – tout comme l’impact d’années successives de taille sur cette délicate physiologie – peut toutefois convaincre les plus réticents, estiment nos deux interlocuteurs. «C’est le meilleur conseil que l’on puisse donner.»
Des causes encore incertaines
Pourquoi certains cépages sont-ils plus sujets à l’esca? «Ils sont moins aptes à la compartimentation, réponse naturelle d’une plante ligneuse à une blessure, par laquelle elle érige des barrières pour isoler le bois mort vulnérable aux attaques fongiques», explique David Marchand. Au-delà de cette inégalité génétique, il y a peu de certitudes quant aux facteurs favorisant l’expression des symptômes. «La capacité de la plante à limiter la progression des champignons pourrait dépendre de la dimension des vaisseaux du xylème, relève Estelle Pouvreau. Et dans le canton de Vaud ou en Valais, sur des sols profonds et drainants, on constate un peu plus d’expression de la maladie… Mais en Alsace, les sols séchards semblent en revanche la favoriser.»
De même, difficile de corréler l’esca aux changements climatiques: si une étude d’Agroscope établit un lien entre maladie et stress hydrique, l’année 2022 et son été chaud et sec semblent bien avoir inhibé l’expression de l’esca dans le vignoble romand. Et les années à fort rendement sont-elles systématiquement suivies d’autres plus symptomatiques, comme on le remarque en Alsace? «On comprend encore imparfaitement l’action des champignons responsables des maladies du bois», conclut la conseillère viticole.
+ d’infos
Bonnes pratiques et techniques pour limiter l’esca à télécharger sur vitiplus.ch/fiches-techniques
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