La terre, ses bonheurs et ses drames au centre d'une nouvelle vague de films
Sorti la semaine dernière en salles, Vingt Dieux, premier film de Louise Courvoisier réalisé avec des acteurs non professionnels du Jura français, avec leurs gueules et leur accent, s’ouvre sur un plan séquence d’une fête agricole paillarde digne d’un tableau de Brueghel.
La réalisatrice connaît bien le monde qu’elle dépeint, puisqu’elle a grandi dans une famille d’agriculteurs. Elle s’inscrit en cela dans la lignée d’Hubert Charuel, auteur de Petit paysan (2017), ou d’Édouard Bergeon qui avait signé Au nom de la terre (2019).
Les paysans sur grand écran
Ces films participent d’une nouvelle manière de montrer le monde agricole comme terrain de fictions au genre variable, du polar psychologique pour Petit paysan au récit initiatique pour Vingt Dieux. Cette approche trouve un écho dans la production suisse avec le film Bisons (2024) de Pierre Monnard, lui aussi issu du monde agricole, qui s’attachait à un paysan organisateur de combats de boxe clandestins.
J’avais besoin d’éviter
à tout prix le misérabilisme et la stigmatisation.
«J’avais besoin de nuances, d’éviter à tout prix le misérabilisme et la stigmatisation. Je voulais que mes personnages soient de vrais héros de cinéma, bien qu’ils n’aient pas les qualités habituelles. Et j’ai voulu mettre une femme dans le rôle de l’agricultrice», témoigne Louise Courvoisier au sujet de son film. La réalisatrice se félicite que le regard sur l’agriculture au cinéma soit de plus en plus porté par des cinéastes du terroir qui amènent peut-être la finesse et l’authenticité à partir desquelles le récit peut s’échapper vers des fictions moins balisées.
Mais au-delà de ces seules approches fictionnelles, c’est tout simplement le nombre important de productions audiovisuelles consacrées à l’agriculture qui frappe actuellement. Outre les films cités ci-dessous, on découvrira bientôt les documentaires Terre à l’envers, de Frédéric Gonseth et Catherine Azad sur les révoltes agricoles ou Le goût des choses d’Alain Wirth, un portrait des maraîchers en permaculture de Praz-Bonjour à Blonay (VD).
Thèmes intéressants
Est-ce que le cinéma chercherait à combler le fossé qui se creuse entre ville et campagne? «L’agriculture représente un monde du passé et menacé, dur et difficile, en même temps qu’un monde d’avenir. Il ouvre sur des thèmes profondément humains comme les solidarités traditionnelles, le lien complexe à la nature, le combat pour la survie ou encore les masculinités et les rôles hommes-femmes. Il est possible que les difficultés et le désarroi de la branche, sorte de miroir dramatique de crises et questionnements plus généraux, aient encore contribué au phénomène», analyse Olivier Moeschler, sociologue de la culture à l’Université de Lausanne.
Face à la nécessité de repenser notre rapport à la nature, l’agriculture et les solutions concrètes qu’elle propose exercent probablement un attrait. Selon Louise Courvoisier, les organismes de financement du cinéma témoignent en tout cas d’un intérêt pour ces thématiques: «Même si on a parfois l’impression d’être un «quota». Ils ont souvent besoin de comparer le long métrage à un autre qu’ils ont vu, avec la seule ressemblance qu’il y a des vaches dans les deux films.»
Vingt Dieux
Jeux à boire, drague maladroite et grosses cylindrées occupent la vie d’Anthony, 18 ans, qui préfère qu’on l’appelle Totonne. Après la mort accidentelle de leur père, un producteur de comté du Jura français, l’adolescent et sa petite sœur se retrouvent livrés à eux-mêmes. Vingt Dieux pourrait alors virer à la chronique sociale déprimante. À la place, c’est un film lumineux qui se déploie, sur la maturation d’un jeune homme et d’un fromage. Totonne se met en effet en tête de produire le meilleur comté de la région pour empocher un prix doté de 30 000 euros. Pour ce faire, il n’hésitera pas à jouer double jeu avec son béguin, une éleveuse pugnace.
En salles en Suisse romande
Bisons
Le coeur à l'élevage
Cadette d’une fratrie de quatre filles, Lauriane Henchoz a choisi de devenir éleveuse, comme son père, et s’occupe avec lui de 80 vaches holstein au sein de leur domaine d’Essertines-sur-Yverdon (VD). À l’occasion des 125 ans de la coopérative Holstein Switzerland, la réalisatrice jurassienne Pauline Jeanbourquin a suivi le quotidien de la jeune Vaudoise de 18 ans, des écuries aux concours de cette race laitière emblématique. Ces images ont donné vie à un documentaire de 45 minutes, sensible et initiatique, disponible en trois parties sur le compte YouTube @holsteinswitzerland.
La ferme des Bertrand
Réalisé par le Haut-Savoyard Gilles Perret, ce documentaire suit le quotidien de la famille Bertrand, qui produit du lait pour la fabrication de reblochon, à 50 km de Genève. Plus surprenant, les protagonistes apparaissent à trois époques différentes: en 1972 où trois frères triment pour faire vivre le domaine; en 1997 lors de la transmission de la ferme à leur neveu et son épouse; et plus récemment, lorsque le réalisateur – qui est aussi un voisin – donne la parole à la nouvelle génération. Cette immersion illustre sans passéisme ni utopie l’évolution de la pénibilité au travail au cours d’un demi-siècle, mais aussi l’attachement à la terre, le sens de la famille, le bonheur et la fatalité.
En streaming sur Cinefile.ch
Les héritiers des paysans-horlogers
Éclairant sous un angle bien différent le milieu agricole, ce documentaire rend hommage aux artisans horlogers de l’arc jurassien, dignes héritiers des paysans de la région. Entre le XVIIe et le XIXe siècle, certains d’entre eux ont en effet commencé à fabriquer des montres et leurs composants pour s’assurer un revenu durant l’hiver, participant au développement de ce savoir-faire et à la fondation de plusieurs grandes sociétés horlogères. Le Genevois Claude Schauli propose une plongée inédite dans l’intimité de ces passionnés au fil des siècles et dans la finesse de leur travail.
Neumatt
Cet automne est sortie la troisième saison de cette série helvétique, l’une des premières diffusées sur la plateforme américaine Netflix, en 2021. Créée par Marianne Wendt, elle raconte l’histoire de Michi Wyss, consultant pour un grand groupe de l’industrie laitière à Zurich. À l’annonce du suicide de son père, il revient dans la ferme familiale pour décider de l’avenir de l’exploitation avec ses proches. Entre baisse du prix du lait, modernisation à outrance, pression des promoteurs immobiliers, mais aussi poids des traditions et isolement, cette saga alémanique dresse un portrait authentique d’une famille paysanne, loin des clichés «carte postale» et au plus près de l’actualité de ce marché mondialisé complexe.
En streaming sur PlaySuisse
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