Le long du Rhône, les agriculteurs ont fait entendre leurs revendications

Conséquence de l'étalement urbain, les terres cultivables se sont réduites en Valais. La décision du Canton de réviser la 3e correction de son fleuve découle de ce manque de terrains disponibles.
16 janvier 2025 Sylvain Menétrey
Vue de la plaine du Rhône depuis les Follatères au-dessus de Fully (VS).
© Nadège Deruelle

En mai 2024, le Conseiller d’État valaisan Franz Ruppen créait la surprise en annonçant sa volonté de réduire l’ampleur de la 3e correction du Rhône en privilégiant des approfondissements du lit plutôt que des élargissements. Un rebondissement qui réjouit les milieux agricoles valaisans. «Pendant des années, nous avons eu l’impression de plaider dans le désert, mais depuis la nouvelle législature en 2021, nos revendications sont enfin entendues», respire Willy Giroud, président de la Chambre valaisanne d’agriculture qui suit le projet depuis… 2002.

Cet ancien député PLR au Grand Conseil s’est fait un nom autour de son opposition à Rhône 3, en présidant le comité référendaire contre le décret de financement du projet en 2015, bataille que les milieux agricoles soutenus par l’UDC avaient perdue. Leur combat se fonde sur une volonté de préserver les terres cultivables.

Terres rares

Le projet initial d’élargir d’un facteur de 1,6 le fleuve afin de lui permettre d’absorber les crues et lui rendre certaines de ses fonctions écosystémiques devrait en effet annexer 310 hectares de surfaces d’assolement (SDA) dont, 296 hectares rien qu’en Valais. Or le canton ne dispose que d’un surplus de 113 hectares de SDA par rapport au quota minimal fixé par la Confédération.

Les services cantonaux concernés expliquent que ce surplus pourra servir à des échanges de terres, mais que si, finalement, les besoins en SDA excèdent les réserves, il faudra procéder à des expropriations. «Je vous laisse imaginer la guerre de tranchées dans les communes qui devraient trouver 30 hectares de zones à bâtir à retourner en zone agricole!» commente Willy Giroud.

Précieuses SDA

Les surfaces d’assolement (SDA) sont considérées comme les meilleures terres cultivables du pays et sont déterminées en lien avec le climat, la nature du sol et le relief – les terrains situés au-dessus de 1000 m d’altitude en sont exclus par exemple. En 2020, le Conseil fédéral a approuvé un nouveau plan sectoriel avec pour objectif de préserver ces surfaces et assurer l’approvisionnement alimentaire du pays. Chaque canton est chargé de maintenir un contingent; en Valais celui-ci s’élève à 7350 hectares.

Terre végétale réutilisée

C’est qu’en matière de dézonage, le Valais n’en est pas à son premier chambardement puisqu’il a subi de plein fouet la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire (LAT) acceptée par le peuple suisse en 2013 qui l’obligeait déjà à fortement réduire ses terrains constructibles surdimensionnés. Une stratégie d’actualisation de l’inventaire des SDA et de recherche de potentielles surfaces de compensation est en cours en Valais. Un travail déjà accompli dans un climat en apparence apaisé côté vaudois, où l’emprise du projet est certes nettement moindre.

«Le Canton a acquis les terrains nécessaires pour compenser les pertes des exploitants. Ceux-ci peuvent déjà exploiter ces nouveaux terrains, bien que les travaux n’aient pas encore débuté, témoigne Marianne Gfeller, cheffe de la section du projet Rhône 3 à la Direction générale de l’environnement du Canton de Vaud. De plus, certaines parcelles agricoles vont bénéficier de l’apport de terre végétale de bonne qualité issue des travaux Rhône 3, afin d’améliorer la qualité des sols agricoles à long terme.»

Plaine fertile

Par ce transfert de matière végétale, l’État de Vaud tente de se prémunir sur son territoire contre un argument porteur côté valaisan. «Ce sont les meilleures terres du pays que l’on veut noyer! Celles qui offrent la rentabilité la plus élevée et sur lesquelles on peut cultiver des légumes précoces», souligne ainsi Pascal Lattion, agriculteur Collombey-Muraz (VS).

En association avec deux collègues à l’enseigne de Lattion-Ruppen, il exploite des terres destinées aux grandes cultures, au maraîchage et à l’élevage le long du Rhône à Muraz et plus en amont à Massongex, là où des mesures anticipées de Rhône 3 sont prévues. Avant la révision du projet, Pascal Lattion estimait entre 4 et 6 hectares ses parcelles d’excellente qualité menacées par la correction.

Une autre inquiétude de l’agriculteur chablaisien, qui prône l’approfondissement du fleuve, tient au risque de pollution que pourrait provoquer un élargissement dans un secteur où des décharges n’ont pas été assainies.

Double langage?

La pression sur les SDA en Valais témoigne des difficultés pour le canton de gérer sa croissance démographique, l’une des plus fortes de Suisse, et un héritage de laisser-faire en matière d’aménagement du territoire. Le WWF rappelle que chaque année, 80 hectares de terres exploitées par l’agriculture sont perdus au profit de l’urbanisation, un chiffre que confirment les services cantonaux compétents.

La récente ouverture d’un magasin Ikea à Riddes, construit sur 8 hectares d’anciennes terres agricoles, illustre ce grignotage dans la plaine. Les milieux agricoles sont d’ailleurs parfois accusés de tenir un double langage face à ce phénomène d’urbanisation dont ils profitent. «C’est humain, relativise l’urbaniste Frédéric Roux du bureau Azur à Sion. En tant que propriétaire foncier, je préfère que mon terrain passe en zone à bâtir et prenne de la valeur plutôt qu’il serve à valoriser la biodiversité.»

Un canton en surchauffe

Malgré tout, ce spécialiste veut penser que les questions environnementales gagnent du terrain dans son canton. «Le Valais est durement frappé par le réchauffement climatique. Sion est l’une des villes les plus chaudes de Suisse. Les coteaux surchauffent. Les routes et ponts s’effondrent lors d’événements climatiques extrêmes plus fréquents. Les gens comprennent que nous avons besoin de zones vertes et perméables, qu’il faut réfléchir à l’espace utilisable et qu’on ne peut plus construire n’importe où.»

Une prise de conscience qui peine pourtant encore à intégrer le Rhône comme un allié face à ces menaces plutôt qu’un ennemi à dompter.

Un biologiste à contre-courant

Jugée excessive par ses opposants, la part de renaturation du projet Rhône 3 serait trop modeste aux yeux des défenseurs de la nature. Le biologiste Raphaël Arlettaz a esquissé l’idée d’un remembrement radical des terres en concentrant toutes les surfaces d’herbage existantes le long des berges sur un cordon de minimum 50 m de large de pâturages avec mares et vergers.

Selon lui, cette approche remplirait des fonctions agronomiques en rationalisant les parcelles de prairie, écologiques en offrant des habitats à la vie sauvage, récréatives pour la population et de zone tampon en cas de crue. Le biologiste dit espérer contribuer ainsi à dépasser les clivages entre biodiversité et sécurité, agriculture et nature.

Interrogé sur cette vision, Willy Giroud montre qu’on reste loin d’un tel rapprochement: «C’est complètement irréaliste de vouloir mettre en herbage les terrains les plus fertiles de la plaine du Rhône», cingle-t-il. Le représentant des milieux agricoles n’entrevoit d’ailleurs pas de fonction paysagère ou écologique pour le fleuve qu’il décrit comme un simple «exutoire pour les cours d’eaux latéraux».

Envie de partager cet article ?

Achetez local sur notre boutique

À lire aussi

Accédez à nos contenus 100% faits maison

La sélection de la rédaction

Restez informés grâce à nos newsletters

Icône Boutique Icône Connexion