Le tracteur: un objet de ferveur, de désir et, plus encore, d'identité

Du jouet au modèle réduit et jusqu'au contesté tracteur pulling, l'engouement pour ce véhicule agricole est un facteur d'appartenance. Le virus se passe d'une génération à l'autre.
7 août 2024 Sylvain Menétrey
Les marques de machines agricoles signent des licences avec des fabricants de miniatures. À Pailly, chez Agripassion, on trouve plus d’un millier de références actuelles. © Sylvain Menétrey

«Les enfants qui pénètrent pour la première fois dans le magasin sont souvent un peu perdus», relève Sylvie Dutoit. La propriétaire d’Agripassion, à Pailly (VD), temple suisse du modèle réduit agricole, met un point d’honneur à avoir toutes les références actuelles du domaine, avec pour corollaire des parois tapissées d’emballages de tracteurs, remorques, herses ou même balles de fourrage miniatures à vous ébahir: au total, plus de 1000 articles. Les jeux vidéo et les écrans ont beau avoir érodé la base d’amateurs de jouets, de nombreux mordus rêvent encore d’acquérir des tracteurs Bruder, à échelle 1:16, destinés aux plus jeunes, ou d’autres 1:32 davantage détaillés, parfois produits en séries limitées et collectionnés par des adultes.

«Nos clients viennent de toute la Suisse, et même de l’étranger, précise Sylvie Dutoit. Ils achètent sur place, en ligne ou sur notre stand dans les foires et manifestations agricoles.» Les jeunes amateurs qui rêvent face au catalogue édité une fois par an par la boutique ne sont pas tous issus du sérail. «La seule différence, c’est que les enfants d’agriculteurs sont plus pointus. Ils veulent une marque précise, comme papa, alors que les enfants des villes réclament juste un modèle rouge.»

Collection en Portakabin

Mis en scène lors des révoltes agricoles, le tracteur fonctionne comme un objet de fierté au sein du monde paysan. Les marques l’ont bien compris et jouent habilement de cet attachement en signant des contrats de licence avec des fabricants de modèles réduits. Il faut dire que la passion peut se faire dévorante. Christian Rossier a ainsi dû s’équiper d’un Portakabin pour ranger ses quelque 400 miniatures. Le sexagénaire, cultivateur de soja et céréales à Rennaz (VD), dit avoir toujours aimé les tracteurs: «Dès l’âge de 6 ou 7 ans, j’en ai reçu un rouge en jouet et depuis j’achète ce qui me plaît avec une préférence pour la marque américaine Case IH.»

Fan de mécanique, il retape aussi de vieux modèles, parmi lesquels un Massey 35, un McCormick 433 ou un Ford 3000 des années 1950-1970. «Je n’aime pas trop l’électronique. Je préfère les manettes.»

Passion coûteuse

Laurent Porchet, 44 ans, mécanicien à Corcelles-le-Jorat (VD), passe tous ses week-ends, à raison de six à huit mois par véhicule, à réparer la dizaine de tracteurs Fiat et Bücher qu’il possède. Il a investi entre 2000 et 8000 francs pour chacun 
de ses protégés, mais dépense encore 
«une fois et demie le prix pour les remises en état».

Cette passion coûteuse le reconnecte avec le monde agricole, lui qui n’a pas pu reprendre le domaine de son oncle comme il l’espérait. «Ces deux marques étaient celles qu’on avait dans la famille.» Il a formé un groupe avec des amis, dont la plupart ne sont pas exploitants et cherchent aussi à soigner ce lien avec la terre.

Passage de témoin

Foin de nostalgie du côté de Cudrefin (VD), où va se tenir du 13 au 15 septembre l’une des sept manches du championnat suisse de tracteur pulling. Le but de cette activité rugissante consiste à tirer sur 100 m une luge lestée d’un poids. Si ce sport mécanique d’origine américaine est décrié pour le bruit et la fumée qu’il dégage, il suscite aussi l’engouement puisque Thierry 
Nussbaum, président du comité d’organisation, attend près de 200 tracteurs, dont certains dans la catégorie «sport» ou «super sport», interdits sur les routes, car modifiés pour en augmenter la puissance. Pour la famille Nussbaum, ce sera là aussi une affaire de passage de témoin puisque le fils de Thierry, âgé de 14 ans, va s’initier à cette pratique.

Tout à la fois monture de rodéo, compagnon de travail et de peine, témoin d’un monde qui s’érode, le tracteur a bel et bien succédé au cheval entre les mains et dans le cœur des paysans et leurs affiliés. Cela se constate d’ailleurs au rayon des jouets: chez Agripassion, si les garçons flashent sur les reproductions de machines agricoles, les filles, elles, portent volontiers leur choix sur de petits équidés.

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