Un robot sauve le dos des affineurs
Le calme est comparable à celui d’une bibliothèque, mais la température fraîche et la forte odeur d’ammoniac nous rappellent où nous sommes: dans la cave de la fromagerie de Châtonnaye (FR), d’une capacité de 3300 meules. Juste devant nous, deux bras d’inox saisissent une pièce de gruyère sur une planche pendant qu’une autre est brossée par la machine dans un ballet régulier rythmé par le ronron électronique du robot.
Son petit nom, c’est «RF11». Sa mission? Manipuler à la place des humains les lourdes meules de gruyère comme de simples galettes. Des pièces d’environ 35 kilos chacune. Pendant des années, les fromagers n’avaient d’autre choix que de les retourner et les frotter à la force des bras. «C’était un travail très pénible, beaucoup s’usaient et se cassaient le dos», raconte Joël Jaquier, qui codirige JNJ Automation SA avec son frère Sébastien Jaquier et Jérôme Nicolet. Cette entreprise est née de leur passion commune pour la technique et l’innovation (lire ci-dessous). Elle propose des équipements et de la robotisation pour la fabrication, la manipulation et le soin des fromages. «Le premier robot à fromages, on le doit à Michel Sugnaux dans les années 1980», fait remarquer Joël Jaquier, précisant que l’entreprise Sugnaux, également basée à Romont, a depuis intégré le groupe JNJ.
Un robot ou cinq paires de bras
Depuis les premiers modèles, la technologie a fait des bonds de géant. «Au départ, tout le châssis montait à la hauteur de la meule pour effectuer un soin. Nous utilisons aujourd’hui un système différent», relève Joël Jaquier. L’essor de la programmation et des écrans tactiles démultiplie les possibilités. «Nous pouvons nous appuyer sur une expertise de quatre décennies dans le domaine.» Un robot comme RF11, qui s’oriente pour manipuler des fromages au moyen de capteurs laser, ne peut pas se mettre en action dans n’importe quelle cave d’affinage: cette dernière doit être standardisée, comme celle de Marc Mesot, qui a repris la fromagerie en début d’année. Restait à acquérir le robot, pour un prix qui se situe entre 250 000 et 300 000 francs selon les options.
Dans sa cave, ce fromager formé à Vaulruz affine les meules de gruyère pendant environ trois mois après leur confection, puis elles poursuivent leur maturation chez un marchand pour cinq mois au moins. Sans le robot, il lui serait impossible de traiter un tel volume de marchandise: «On frotterait les meules tout l’après-midi», résume Marc Mesot. Les trois employés et l’apprenti qui fabriquent le fromage à ses côtés le matin ne suffiraient pas. Il faudrait deux fois plus de personnel pour un rendement moindre. Le calcul est vite fait, et l’enjeu de taille: il y a une génération encore, une fromagerie comme celle de Châtonnaye transformait entre 500 000 et 600 000 kilos de lait par année, contre 3,4 millions aujourd’hui. Sillonnant lentement les allées, le robot manipule sans problème les meules placées jusqu’à 4,50 mètres du sol. RF13, le grand frère de RF11, dispose d’un bac de 250 litres de saumure et peut s’attaquer à de grandes caves de 100 mètres de long pour 7 de haut. Leur durée de vie, elle, oscille entre 15 et 20 ans.
Comment ça marche?
RF11 est la version améliorée de RF1, mis au point en 2008 déjà. Revêtu d’une structure en acier inoxydable, le robot se déplace dans l’allée grâce à ses détecteurs. Tout peut être programmé: manutention des meules, pression des brosses, vitesse, quantité de saumure et durée du soin. RF11 dispose d’un plateau-élévateur destiné à recevoir les meules. Dirigé par détecteurs laser, un bras se glisse sous la pièce. Dans le robot, celle-ci est basculée sur un poste de soin où commence le brossage, avec ou sans saumure, selon le timing programmé et simultanément sur le dessus ainsi que le talon de la meule. Puis cette dernière est remise à la place laissée libre par la pièce suivante, puisque deux fromages sont traités simultanément par le robot à une cadence allant jusqu’à 120 meules à l’heure.
Des soins plus réguliers
L’intérêt du robot ne tient pas uniquement dans le fait de soulager le fromager d’une tâche pénible: «Le soin est plus régulier qu’avec un frottage à bras», assure Marc Mesot, qui a mis un certain temps à programmer l’engin pour qu’il effectue sa tâche selon son souhait. En résulte un aspect extérieur plus homogène que dans le cas d’un traitement manuel, puisque le bras humain fatigue d’une meule à l’autre. Un détail qui n’en est pas un: le rendu extérieur de la meule est un critère déterminant lors de l’évaluation du lot, qui a une conséquence directe sur le prix de vente.
Reste une précision à apporter: si le robot s’acquitte de la part la plus physique du travail, le savoir-faire de l’artisan reste essentiel: «Le fromage est une matière vivante, c’est une question de toucher, de ressenti.» Les 350 robots comme celui-ci qui œuvrent déjà dans des caves d’affinage de Suisse et de France, retournant et soignant des meules de gruyère, mais aussi de vacherin, de fromage à raclette – rond ou carré –, de morbier, de comté, de beaufort ou encore d’abondance, ne sont donc pas près de remplacer les affineurs.
Innovation permanente
L’entreprise JNJ Automation SA s’est imposée dans l’équipement de caves d’affinage ainsi que dans l’emballage. Fondée par Claude Jaquier en 1977 et dirigée depuis 2008 par Joël Jaquier, Jérôme Nicolet et Sébastien Jaquier, elle est passée de 18 à 75 employés. Son catalogue va des robots de manutention de fromages aux machines de nettoyage des planches, en passant par des trancheuses, écrouteuses et laveuses de caquelons. Conçues et fabriquées à Romont, elles se vendent dans toute l’Europe, mais aussi au Canada et aux États-Unis.
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