À Zermatt, le «facteur cheval» assure la livraison des paquets
Ce matin, les sabots d’un cheval résonnent dans les rues de Zermatt (VS). L’équidé se rend à la gare pour charger la cargaison du jour: une dizaine de colis. Benny endosse avec perfection le rôle de postier. Trois fois par semaine – le lundi, le mercredi et le vendredi –, ce facteur unique en Suisse est chargé de livrer les paquets dans la Bahnhofstrasse et la Hofmattstrasse, les artères principales de la célèbre station de montagne.
Bien que cet attelage puisse sembler folklorique, il a en réalité toute sa raison d’être puisque Zermatt est interdit aux voitures. Seuls des véhicules électriques avec un permis spécial ont le droit d’y circuler. Mais dès midi, les rues principales sont totalement fermées à la circulation, même pour des livraisons, afin de laisser les touristes profiter des lieux.
Maintenir la tradition
«Nous avons eu l’idée de ces livraisons en 2019», rappelle Ivan Buschor, le responsable des chevaux et des aspects techniques au sein d’Alpin Cargo, une filiale de Planzer chargée d’acheminer toute la marchandise nécessaire à la vie de cette station de montagne.
Du mazout de chauffage aux fruits et légumes, du matériel de construction aux équipements de cuisine, tout passe entre les mains de cette entreprise.
«Trois trains de marchandises par jour montent à Zermatt, pour un volume total d’environ 130 tonnes. Bien que les livraisons avec Benny représentent un faible pourcentage, elles permettent d’approvisionner certains commerces l’après-midi. Et nous pouvons ainsi continuer à faire vivre une longue tradition qui remonte aux débuts de cette entreprise familiale fondée au début des années 1930. Les premiers transports étaient en effet effectués avec des chevaux.»
Des rescapés d'une époque faste
Il y a une trentaine d’années, Zermatt comptait un important nombre de chevaux d’attelage, plusieurs hôtels ayant alors leur propre écurie. Le développement de la station – on y manque désormais de place pour héberger des équidés – et l’arrivée des véhicules électriques ont eu raison de la majorité de ces destriers. De cette époque faste, il n’en reste qu’une poignée. Outre Alpin Cargo, le Grand Hotel Zermatterhof possède encore ses propres chevaux à l’année, trois élégants lipizzans qui transportent clientèle et bagages depuis la gare. En saison, le Mont Cervin Palace offre un service similaire à ses clients. Seul Alpin Cargo propose des balades ouvertes à l’ensemble des touristes présents dans la station. À noter que les attelages sont encore en vogue dans d’autres stations de montagne: Davos, Arosa, Pontresina, Saint-Moritz ou Interlaken.
Attention de tous les instants
Si la rue principale de Zermatt est plutôt calme en novembre, dès décembre, la foule va à nouveau se presser ici, flânant entre les boutiques de luxe et les magasins de sport. «Nous devons être prudents, en anticipant les réactions des passants, afin d’éviter tout accident, note Tereza, la cochère. Nous avançons lentement, au pas, et sommes prêts à nous arrêter à tout instant.»
L’attelage est par ailleurs équipé de grelots. «Il s’agit d’une obligation légale, pour raison de sécurité.» Leur tintement caractéristique permet de rendre les gens attentifs au convoi, d’autant que les voies de circulation sont parfois étroites.
Originaires de Pologne
Boutique de décoration, opticien, kiosque: les magasins se succèdent, réceptionnant chacun à son tour la marchandise. «Nos clients apprécient cet échange unique.»
Benny peut compter sur l’aide de son compagnon d’écurie Charly, les deux solides chevaux alternant un jour de travail sur deux. Leur bien-être et leurs heures de labeur sont d’ailleurs strictement contrôlés par les services vétérinaires.
Le choix de ces «postiers» ne s’est pas fait par hasard. «Ils viennent directement de Pologne, relève Ivan Buschor. On cherchait des chevaux de trait à sang froid et au tempérament très calme. Ils se devaient aussi d’être puissants et résistants aux températures hivernales.»
Sous l’œil ébahi des touristes
En peu de temps, les deux équidés sont devenus les mascottes du village: chaque habitant connait leur nom et les salue. Il faut dire que Benny focalise tous les regards. Rares sont les touristes à ne pas sortir leur appareil photo à son passage pour l’immortaliser. Qu’ils viennent d’Asie, d’Amérique du Sud ou de la péninsule arabique, ils sont tous fascinés par l’imposant cheval.
Si certains se contentent d’un cliché, posant souvent à ses côtés, d’autres ne peuvent s’empêcher de s’approcher pour le caresser. Et là, la règle est stricte. «Je refuse systématiquement, car Benny a droit à son calme, souligne Tereza. Et si je dis oui à l’un, je me retrouve rapidement avec une grappe de gens qui l’entourent. La majorité des touristes qui viennent de Chine ou du Japon n’ont jamais vu un cheval de leur vie. Ils me demandent souvent s’il est réel.»
Avenir radieux
La meneuse prend néanmoins toujours beaucoup de temps pour expliquer ce que fait Benny et ce qu’il mange. Et lorsqu’il n’endosse pas le rôle de postier, le cheval se glisse dans celui de conducteur de taxi et balade des touristes dans les rues de Zermatt, pour leur faire découvrir différemment le village.
Quant à l’avenir, l’entreprise est confiante. «Le flux de paquets ne cesse d’augmenter ces dernières années; il a même doublé depuis 2019, observe Marco Mäusli, le responsable de transport d’Alpin Cargo. Les commandes en ligne ont le vent en poupe, ce phénomène n’est pas près de s’arrêter.» De quoi faire résonner encore longtemps la station valaisanne du bruit des sabots.
En chiffres
2019, le début de la livraison des paquets avec un cheval.
2 chevaux de trait polonais, Benny et Charly.
3 jours de livraison, le lundi, le mercredi et le vendredi.
30 kg, le poids maximum des paquets livrables.
2 cochères, Tereza et Stefanie, toujours accompagnées d’un livreur.
100 paquets livrés par jour, durant la haute saison.
+ d’infos www.alpincargo.ch
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