«Afin de limiter les critiques, la filière du cheval doit davantage s’impliquer»
Outre les traditionnelles finales de sport, Cheval Passion a désormais aussi pour ambition de changer le regard sur le milieu équestre. Pourquoi cette évolution?
Depuis une dizaine d’années, la filière est de plus en plus pointée du doigt. Notamment sur la façon de traiter les chevaux. Ces attaques sont en général dues à une méconnaissance du milieu, ou le fait d’extrémistes et d’antispécistes. La majorité de la population n’a en effet plus aucun contact avec ces animaux. Et n’a aucune idée ni des besoins particuliers des chevaux ni des raisons d’utiliser tel ou tel équipement. De nombreuses améliorations ont déjà été mises en place et cette dynamique va se poursuivre afin de garantir le bien-être des équidés. La Suisse a par exemple une des lois sur la protection des animaux la plus sévère au monde. Des règles strictes s’appliquent de ce fait aux chevaux.
Les critiques ont-elles incité le milieu à se remettre en question?
Oui. Avec notamment le développement de l’éthologie, des avancées permettent désormais de mieux comprendre l’animal et son comportement. Mais au sein du milieu professionnel, certaines pratiques sont encore trop souvent ancrées dans la tradition. À mes yeux, l’un des besoins naturels fondamentaux des équidés qui sont le plus souvent négligés est le contact social. Or, les chevaux sont majoritairement détenus de manière individuelle, sans possibilité d’avoir des interactions directes – autres que visuelles – avec leurs congénères. En outre, si la technique équestre des cavaliers a énormément progressé ces dernières décennies, ceux-ci ont parallèlement perdu le lien avec une certaine culture équestre, nombre d’entre eux ne sachant par exemple même pas ce que doit manger un cheval.
Le cavalier du dimanche qui prend plaisir à se balader en forêt est-il aussi visé par les détracteurs de la filière?
Le monde des courses ainsi que les compétitions équestres sont plus souvent sous les projecteurs, et donc davantage sujets à des polémiques, notamment à la suite d’accidents dramatiques ou de maltraitances manifestes. Celles-ci sont relayées par la presse, ou via les réseaux sociaux. Certes, il existe des moutons noirs, mais malheureusement, ces critiques retombent sur l’ensemble de la filière. Si certaines sont justifiées, d’autres pas. La donne a changé depuis que chacun a sur soi en permanence de quoi filmer: sorties du contexte, ces images peuvent être mal interprétées.
Bio express
Vétérinaire de formation, le Neuchâtelois Gilles Thiébaud s’est spécialisé dans la médecine équine. Après avoir dirigé sa propre pratique pendant trente ans, il est désormais responsable de projets et de cours au sein de l’Institut équestre national d’Avenches (VD), ainsi que des affaires vétérinaires à la Fédération suisse des courses de chevaux depuis plus de dix ans.
Quels sont alors les moyens de mieux informer le public?
Chaque acteur doit s’impliquer, de façon à sensibiliser la population aux mesures mises en place en faveur des équidés. Ce travail me semble essentiel afin d’assurer l’avenir des sports équestres – et par là même du cheval en tant qu’espèce animale. Car il y a un point qui ne souffre aucune discussion: s’il ne peut plus être monté, il disparaîtra. Détenir une telle bête demande un investissement financier important, ainsi que beaucoup de temps. Rares sont les personnes à consentir à ce type d’engagement uniquement pour le plaisir de sa compagnie.
Quel rôle ont à jouer des manifestations comme celle qui commence ce vendredi à Avenches?
Cheval Passion se veut un rendez-vous à la fois sportif, festif et instructif: en mettant en lumière les équidés et leur rôle dans la société, il vise à mieux les faire connaître à une large échelle. Plusieurs associations seront présentes, il sera possible de discuter avec l’équipe suisse de concours complet, de découvrir les métiers liés au milieu équestre ou les bienfaits de la thérapie avec des ânes. Pour ma part, je m’occuperai du monde des courses et de notre académie. Nous aurons un mannequin-cheval, qui portera tout l’équipement typique d’un trotteur. Ce harnachement suscitant parfois des critiques au sein du grand public, nous pourrons ainsi expliquer à quoi sert chaque élément. Ce sera aussi l’occasion d’échanger sur les mesures mises en place dans la lutte contre le dopage ou le suivi sanitaire dont bénéficient tous les chevaux de course.
Justement, comment un vétérinaire comme vous se situe-t-il par rapport à ces disciplines très exigeantes envers les bêtes?
Selon moi, la dignité de cet animal doit être respectée avant tout. Mais je reste convaincu qu’un cheval de course est fait pour courir: il a été sélectionné génétiquement depuis des générations dans ce but. Il en va de même pour le saut d’obstacles. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des équidés qui, en liberté dans leur pré, le font naturellement, sans sollicitation humaine.
Certes, mais certaines dérives ont indéniablement eu cours par le passé. Comment la filière compte-t-elle y remédier?
Depuis cette année, les drivers n’ont par exemple plus le droit à la cravache. L’équipement admis a beaucoup évolué. Il est également essentiel d’éduquer toutes les personnes qui côtoient cet animal. Rien que pour le loisir, plus de 200 000 cavaliers montent plus ou moins régulièrement. À travers les cours et conférences que nous proposons dans le cadre de l’IENA Academy, nous approfondissons certaines thématiques avec des spécialistes réputés, en gardant comme fil rouge le bien-être animal. Nous organisons par ailleurs des ateliers destinés aux plus jeunes. Former la génération de demain me tient particulièrement à cœur.
Statut d’animal de rente à conserver
La place du cheval dans la société suscite des questionnements, au vu de l’évolution de son utilisation. Pour le Conseil et Observatoire suisse de la filière du cheval (COFICHEV), l’équidé doit, du point de vue légal, rester un animal de rente agricole – qu’il intègre ou non la chaîne alimentaire. Si certains y voient un animal de compagnie, il conserve une place essentielle dans l’agriculture, contribuant à la survie de nombreuses fermes. Pour justifier ce statut, le COFICHEV vient de publier un argumentaire détaillé, destiné notamment aux politiques.
+ d’infos
www.cofichev.ch
Envie de partager cet article ?