Élever des fourmis en appartement est un loisir à la portée de chacun

S’ils sont partout dans la nature, on ne leur prête souvent qu’un œil distrait. Adopter ces insectes surprenants permet de découvrir leurs multiples facettes.
18 avril 2019 Véronique Curchod
François Wavre

Dans la famille Fague, à Pully (VD), n’espérez pas découvrir un chat ou tout autre animal domestique traditionnel. Au salon, des modules en plexiglas abritent de curieux occupants. Matthieu, le fils aîné, élève en effet des fourmis de plusieurs espèces différentes. «J’ai toujours aimé observer les insectes quand je me balade, s’enthousiasme-t-il. Avoir des fourmis chez soi permet de les étudier beaucoup mieux qu’on pourrait espérer le faire en pleine nature.» L’installation se compose d’un nid principal, relié par des tubes transparents à un nid secondaire et à une aire de chasse. La structure, entièrement modulable, peut être adaptée au nombre d’individus. En jetant un œil plus attentif au dispositif, on remarque un étrange ballet, les fourmis se suivant à la queue leu leu.

Cette chorégraphie parfaitement orchestrée permet d’amener des aliments au nid. Les déchets de nourriture ainsi que les fourmis mortes ou les matériaux issus du creusement de nouvelles galeries sont évacués en sens inverse. «Je trouve captivant leur capacité de travailler ensemble pour agrandir leur habitat ou s’alimenter, s’émerveille le jeune Vaudois. J’aime aussi admirer leurs divers stades de développement, de l’œuf à l’adulte.»
S’il est relativement facile de détenir des fourmis chez soi, elles méritent cependant autant d’attention que n’importe quel autre animal. Avant de se lancer, il faut être conscient qu’une reine peut vivre une quinzaine d’années en captivité. De plus, relâcher une colonie d’élevage dans la nature parce qu’on s’est lassé est vivement déconseillé, car elle risque selon l’espèce soit d’être condamnée, soit de nuire aux fourmis locales.

Une descendance prolifique

L’adolescent, en première année de gymnase, a commencé son élevage voilà deux ans, en acquérant une reine déjà fécondée dans un commerce spécialisé. Il a lancé l’été dernier une seconde colonie, issue d’une jeune reine prélevée dans la nature qui cherchait à fonder sa propre communauté – on parle alors d’essaimage. «Regardez! Aujourd’hui, ma colonie compte environ 300 fourmis, alors que tout est parti d’un seul individu, s’enthousiasme-t-il. La reine continue à produire des œufs, alors qu’elle n’est plus en contact avec un mâle.» À la réception de cette dernière, Matthieu Fague l’avait installée dans un premier temps dans un tube à essai transparent, avant de la déplacer dans un nid plus important, une fois la première génération d’ouvrières née. Peu à peu, celles-ci ont investi leur nouvel habitat en creusant des galeries souterraines. Si on associe traditionnellement les fourmis à une fourmilière typique en forme de dôme, seule une minorité des espèces vit cependant dans une telle structure. «Je suis toujours aussi impressionné par la vitesse à laquelle elles créent de nouvelles galeries. Elles sont actives surtout la nuit.»

En chiffres

Les fourmis, ce sont:

12 000 espèces recensées, dont 400 en Europe et 132 en Suisse.

0,75 mm à 6 cm, leur longueur.

1 à 150 mg, leur poids.

3 semaines à 1 an, la durée de vie moyenne d’une ouvrière.

28 ans, le record de longévité d’une reine en laboratoire.

100 millions d’années, le fossile le plus ancien.

1000 fois leur poids, la masse qu’elles peuvent porter.

Pas n’importe quelle espèce!

L’incroyable diversité d’espèces existantes permet aux myrmécologues en herbe – c’est-à-dire à ceux qui étudient les fourmis – d’avoir un vaste choix à disposition. Toutes ne se prêtent cependant pas aussi bien à l’élevage en captivité par des amateurs, certaines étant plus fragiles que d’autres. De plus, une partie d’entre elles, comme la fourmi rousse – bien connue, car édifiant de grandes fourmilières dans nos forêts –, sont protégées et ne peuvent en aucun cas être prélevées dans la nature. D’autres espèces, telle la fourmi de feu, particulièrement invasive, sont interdites de commerce en Suisse du fait qu’elles représentent un danger pour la faune indigène. «Ma colonie principale contient des Messor barbarus, une espèce originaire du sud de la France, explique Matthieu Fague. Sa spécificité est de se nourrir principalement de graines.»

Chaque espèce ayant ses préférences, il est important de bien se documenter pour s’adapter aux besoins de chacune. Dans l’aire de chasse, l’adolescent dépose donc l’aliment préféré de ses protégées, agrémenté d’insectes et de liquide sucré. «Je les nourris en moyenne une fois par semaine. Les Messor barbarus ont la particularité de faire du «pain de fourmi»: elles mélangent les graines avec de l’eau et leur salive, avant de les consommer.» Matthieu Fague rêve déjà d’adopter des fourmis champignonnistes. Originaires d’Amérique du Sud, elles construisent de grands nids à partir de feuilles, afin d’y cultiver les champignons dont elles se nourrissent. «Chaque espèce permet d’observer des comportements différents, ce qui est particulièrement enrichissant!»

Participez au recensement des fourmis vaudoises!

Malgré leur omniprésence dans la nature, il manque des connaissances fiables sur la diversité et la distribution des fourmis dans le canton de Vaud, et en Suisse en général. Ces informations sont pourtant essentielles pour connaître et préserver la biodiversité. Afin de répondre à ce besoin, la Société vaudoise des sciences naturelles, l’Université de Lausanne et le Musée de zoologie de Lausanne lancent le 27 avril l’«Opération fourmis», le premier recensement des fourmis vaudoises. Le projet fait appel à la population, afin d’obtenir une collecte de données la plus large possible. Les personnes intéressées à participer peuvent obtenir un kit, fourni gratuitement, contenant le matériel et les instructions nécessaires. Un échantillonnage ciblé, planifié et mené par des spécialistes, complétera cette étude. Les résultats permettront d’élaborer une carte de distribution des espèces vaudoises et de constituer une collection de référence, conservée au Musée de zoologie de Lausanne.

+ D’infos
www.fourmisvaud.ch

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