Les anciennes races suisses ont la cote

Même si certains lapins, chevaux ou chèvres sont élevés depuis des décennies dans notre pays, tous ne sont pas considérés comme race indigène. Quels sont les critères permettant de déterminer cette appartenance?
21 octobre 2021 Véronique Curchod
Pierre-Yves Massot

La dernière version de la brochure de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) consacrée aux races suisses compte quatre nouvelles venues. Trois caprines et une ovine ont en effet rejoint ce club très select: la chèvre à col fauve, la chèvre à col gris, la chèvre du Simplon et le mouton de Saas (voir ci-dessous). La révision de l’inventaire suisse – y compris pour les races déjà reconnues –, dont la dernière mise à jour datait de 2007, a permis de faire officialiser ces animaux qui étaient jusqu’ici uniquement soutenus par la fondation ProSpecieRara. «Cette intégration est une reconnaissance du travail des éleveurs qui ont participé au renouveau de ces races, se réjouit Philippe Ammann, responsable du secteur animaux au sein de la fondation. De plus, elle accroît leur visibilité, ce qui peut encourager d’autres détenteurs à les élever.»

Bien que surprenant de prime abord, le fait que ces quatre ruminants soient tous valaisans s’explique aisément: la majorité des races anciennes, soutenues par ProSpecieRara, sont originaires des Alpes. «Lors de l’industrialisation d’après-guerre, les sous-espèces locales du Plateau ont rapidement disparu au profit d’animaux plus productifs, explique le spécialiste. Seules celles qui étaient dans des vallées isolées ont pu se maintenir dans une moindre mesure.»

Une définition problématique

Si ces trois chèvres et ce mouton apparaissent pour la première fois dans le catalogue officiel, ce ne sont pas pour autant de nouvelles races: seule leur officialisation l’est. Selon l’ordonnance fédérale sur l’élevage, une race de rente est considérée comme indigène si son origine est attestée en Suisse avant 1949 ou si elle figure dans un livre généalogique tenu depuis 1949 au moins. Celle-ci se caractérise par la morphologie similaire de ses représentants. «Cette définition pose problème dans certains cas, regrette Philippe Ammann. Elle mériterait d’être adaptée. Le lapin tacheté tricolore suisse, par exemple, existe uniquement dans notre pays. Il est jugé digne de soutien selon ProSpecieRara, mais étant donné qu’il n’a été sélectionné que dans les années 1970, il ne peut être reconnu comme indigène.»

Une rigueur qui s’applique uniquement aux animaux de rente et non de compagnie, comme les chiens, chez lesquels des races plus récentes ont été validées officiellement. «L’OFAG n’intervient pas dans le processus de reconnaissance d’une race, qui reste aux mains des associations d’élevage, mais elle vérifie simplement qu’elle corresponde à la définition officielle prévue par la législation, dit Jonathan Fisch, son porte-parole. Une révision de cette dernière n’est actuellement pas prévue.» Le contexte historique entourant les quatre sous-espèces nouvellement déclarées indigènes ayant déjà été bien étudié et documenté, leur légitimation n’était plus qu’une formalité. Désormais, elles pourront également bénéficier de soutien financier de la Confédération pour le développement de projets particuliers, comme l’estimation des valeurs d’élevage qui permet des croisements spécifiques.

Un long chemin avant d'être reconnu

Avant d’être admis comme race indigène, le mouton de Saas (VS) a été identifié comme digne de soutien par ProSpecieRara en 2014 seulement. Bien qu’il soit connu depuis longtemps, il était jusqu’alors assimilé au mouton bergamasque italien, d’une morphologie similaire. La moitié des sujets se distinguaient cependant par leur robe colorée, ce qui a incité les spécialistes à effectuer une analyse génétique. Celle-ci a démontré que l’ADN de ce mouton était différent de celui de son voisin italien, lui permettant ainsi de devenir une race à part entière. Il a alors été baptisé mouton de Saas, du nom de la vallée où il était élevé de longue date. Des archives et des photos ayant permis de prouver sa présence dans le pays avant 1949, il a pu être reconnu récemment comme race suisse. Il est le mouton indigène le moins représenté, avec quelque 500 brebis inscrites au livre généalogique. Désormais, des éleveurs hors de son berceau d’origine s’y intéressent.

De nouvelles perspectives

Tenter de maintenir des races anciennes qui ne répondent plus forcément aux critères actuels de productivité a-t-il néanmoins encore un sens? «Oui. Et c’est d’autant plus important que celles-ci possèdent des caractéristiques qui offrent à nouveau un intérêt aujourd’hui, relève Philippe Ammann. Elles sont notamment plus rustiques, se prêtant ainsi bien à l’élevage extensif.» De nombreux détenteurs d’animaux, à titre de hobby, s’investissent ainsi pour leur pérennité. «Contribuer à la sauvegarde d’une race locale, qui était vouée à disparaître sans l’engagement de quelques passionnés, est une démarche positive et gratifiante, s’enthousiasme Pascal Cotting, éleveur de moutons de Saas à Épendes (FR). De plus, ces animaux ont un caractère peu farouche qui me plaît tout particulièrement.» Les projets de conservation du paysage ont également souvent recours à ces races peu exigeantes, qui se contentent d’une nourriture chiche. «Préserver au maximum la diversité génétique est une garantie pour le futur, affirme Philippe Ammann. L’apparition de nouvelles maladies ou le changement climatique peuvent notamment mettre à mal les races actuellement le plus utilisées. Je suis persuadé que les plus anciennes auront un rôle déterminant à jouer dans les années à venir.»

L'élevage en Suisse

Près de 80 races de bovins, de porcs, de moutons, de chèvres et d’abeilles, plus de 40 races de chevaux, 44 de lapins et plus de 90 de poules.

38 d’entre elles sont déclarées indigènes: 5 bovins, 13 chèvres, 10 moutons, 3 porcs,
3 poules, 2 lapins, 1 cheval et 1 abeille.

18 races suisses sont considérées comme menacées, parmi lesquelles la vache d’Hérens et le cheval franches-montagnes.

1890: les plus anciens livres généalogiques suisses, ceux de la simmental, de la chèvre de Saanen et de celle du Toggenburg.

1994: la Suisse ratifie la convention sur la diversité génétique et s’engage à préserver
la biodiversité, y compris animale.

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