Les chevaux du Bisbino savourent leur liberté depuis vingt ans

Livrés à eux-mêmes après la mort de leur propriétaire en 2003, ce troupeau de haflinger mène une existence à l’état semi-sauvage sur les montagnes italo-suisses, suivi de près par une association.
16 mars 2023 Aurélie Jaquet
Ornella Canova

Au Monte Generoso, à la frontière italo-suisse, le printemps coïncide chaque année avec une étonnante transhumance: celle des célèbres chevaux sauvages du Bisbino. Ce troupeau de vingt-et-un haflinger évoluant en liberté dans la région depuis deux décennies quitte en effet ses quartiers d’hiver de Lanzo, petite commune italienne de Lombardie, pour rejoindre les verts pâturages des montagnes. Il y restera toute la belle saison, évoluant à 1500 mètres d’altitude, partageant une source où viennent s’abreuver chamois, cerfs et chevreuils.

«Le groupe parcourt plus de 15 km par jour et son territoire s’étend sur 600 hectares», explique Daniele Werner, l’un des responsables de Cavalli del Bisbino, l’association italo-suisse qui suit de près ces équidés au destin hors du commun.Leur histoire a démarré il y a une vingtaine d’années. Le cheptel de haflinger, composé à ce moment-là d’une quinzaine d’individus, appartient alors à un agriculteur italien de Cernobbio, non loin de la frontière suisse. Destinés à la production de viande, les animaux paissent toute l’année en liberté sur les hauteurs du Mont Bisbino, complémentés pendant l’hiver par du foin fourni par leur éleveur. Mais celui-ci décède en 2003 et des bisbilles familiales éclatent autour de son héritage.

Sauvés de la boucherie

Le troupeau est laissé à l’abandon sur la montagne et les chevaux survivent par eux-mêmes, loin des hommes. Jusqu’à l’hiver 2009, lorsque les importantes quantités de neige tombées cette saison-là contraignent les équidés à descendre dans la vallée pour trouver de la nourriture. Dans les villages, des habitants les surprennent broutant l’herbe des cimetières et des jardins. Tollé parmi la population. Les autorités locales souhaitent alors les capturer pour les réduire à la captivité ou les envoyer à la boucherie. Mais c’était compter sans une poignée de citoyens bien décidés à protéger ces rescapés. L’association Cavalli del Bisbino est fondée en mars 2010 et, cet été-là, les équidés sont guidés vers les pâturages riches et abondants du Monte Generoso. Cette structure à but non lucratif – qui compte aujourd’hui plus de 400 membres – devient propriétaire des animaux et s’engage à veiller sur eux.

Elle entame des discussions avec les autorités locales pour leur trouver une solution durant la saison froide. La commune de Lanzo d’Intelvi, localité italienne située à 900 mètres d’altitude, accepte de leur mettre à disposition un grand terrain. Aurélie Jaquet n«Les chevaux y reviennent à la fin de l’automne, lorsque la croissance de la végétation s’arrête sur les alpages en altitude. Il s’agit d’un enclos fermé d’environ 2,5 hectares composé de 50% de forêt mixte et de 50% de prés, où nous fournissons aux animaux du foin, de l’eau, des sels minéraux et un abri contre les intempéries», poursuit Daniele Werner.

Race rustique

Originaire des montagnes du Tyrol, le haflinger est un grand poney autrichien parfois appelé «poney d’or et d’argent», en référence à sa robe palomino et à ses crins délavés. Des caractéristiques que ces équidés doivent à leurs ancêtres, la race étant issue du croisement d’un étalon arabe avec des juments de la région tyrolienne. Sa morphologie robuste et ses mensurations, comprises généralement entre 1 m 35 et 1 m 45 au garrot, en font une monture de selle et d’attelage tout-terrain, qui fut aussi longtemps utilisée dans l’armée et l’agriculture.

Des liens sociaux très forts

Redevenus sauvages après la mort de leur ancien propriétaire, les équidés ont repris confiance en l’humain au fil des années et tolèrent aujourd’hui la présence de bénévoles de l’association. Car le troupeau bénéficie de quelques soins ponctuels. «Outre l’administration de vermifuges, nous les vaccinons contre le tétanos et leur parons les pieds. L’objectif de l’association est de préserver la capacité innée des chevaux du Bisbino de se gérer eux-mêmes, capacité qu’ils ont démontrée en survivant plusieurs années sans aucune aide de l’homme, tout en leur permettant de mener une existence saine et, dans la mesure du possible, sans danger», insiste Daniele Werner.

Depuis que l’association a commencé à s’occuper de ces bêtes, onze naissances de poulains ont eu lieu. Et deux jeunes juments ont perdu la vie accidentellement. L’une d’entre elles est tombée dans un ravin en 2016 et l’autre s’est blessée mortellement dans une zone rocheuse en 2019. Actuellement, on dénombre quinze juments et six mâles. Un nombre qui n’évoluera plus. «Le troupeau du Bisbino est pacifique et uni, car les équidés ont développé des liens sociofamiliaux très forts et bénéficient d’une totale liberté, mais nous avons procédé à la castration des étalons pour ne pas augmenter leur nombre. Le but de notre association n’est pas de faire de l’élevage, mais de préserver le cheptel existant», raconte Daniele Werner. Celui-ci compte encore de belles années devant lui, puisque l’âge moyen des individus les plus jeunes est de 12 ans. «Sachant que les chevaux peuvent dépasser les 30 ans, nous espérons voir encore longtemps ces belles créatures galoper en liberté sur nos montagnes.»

Questions à...

Germán Herrero, spécialiste en éthologie équine appliquée

Que vous inspire le destin de ces chevaux du Bisbino?
La démarche part d’une bonne intention, mais ce type de projet exige une approche éthologique pointue. À l’époque, l’association m’avait d’ailleurs contacté pour des conseils et j’avais suggéré de castrer les étalons afin d’éviter des problèmes de comportement, la surpopulation, et prévenir le troupeau de tout risque de consanguinité. A fortiori avec une race comme le haflinger, très sujette à des soucis oculaires et musculaires.

Est-ce toutefois un cas intéressant à observer pour l’éthologue que vous êtes?
Certes, ces chevaux évoluent dans un environnement plus proche de leur nature que des équidés de manège détenus en box et sortis en parcs individuels. Cela permet quelques observations au niveau des interactions sociales. Mais on est toutefois loin d’un mode de vie sauvage, du fait notamment qu’ils sont soignés et nourris durant l’hiver.

Existe-t-il encore des chevaux sauvages dans le monde?
Non, même en Patagonie, en Mongolie ou dans l’Ouest américain, où de vastes troupeaux évoluent en liberté, les équidés sont au contact de l’homme à un moment de l’année pour être déplacés, marqués ou prélevés. Il est plus juste de parler de groupes semi-sauvages.

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