Lors d’un incendie, la police vaudoise s’en remet au flair de son fin limier
Truffe au sol, un épagneul breton furète ici et là avec concentration, à la recherche d’une odeur précise. Après plusieurs minutes d’exploration dans la pièce, il s’immobilise soudainement, le museau pointant clairement un endroit. Une émanation particulière, indécelable par l’homme, a retenu son attention. «Arson a été spécifiquement formé pour détecter toute trace de produits accélérateurs de feu, explique le sergent Éric Dind, de la gendarmerie vaudoise. Grâce à son flair exceptionnel – cette race a été sélectionnée pour la chasse – nous pouvons plus facilement déterminer si un incendie pourrait avoir été déclenché intentionnellement.»
Ce jour-là, l’ancienne cure de Denezy, petit village du Gros-de-Vaud, sert de cadre à un entraînement, afin de maintenir les capacités du canidé au plus haut niveau. Ce fin limier vient de prendre la relève de Zippo, qui profite d’une retraite méritée. Désormais, à tout moment, la nouvelle recrue peut être appelée à intervenir sur le lieu d’un sinistre, une fois celui-ci maîtrisé. Son nom ne doit d’ailleurs rien au hasard, arson signifiant «incendie criminel» en anglais. «Son nez est mis à la disposition des enquêteurs en moyenne deux ou trois fois par mois», ajoute le sergent.
Un renifleur hors pair
Essence, allume-feu, pétrole ou kérosène: cet épagneul breton est capable de signaler la présence de douze produits référencés pour des départs de feu intentionnels. Plus surprenant encore: il arrive même à les reconnaître lorsqu’ils sont quasiment entièrement détruits par les flammes. «Il suffit que 1% de la matière n’ait pas brûlé pour qu’il parvienne à la déceler, s’enthousiasme Éric Dind. Son odorat est si performant qu’une trace dix millions de fois plus petite qu’une goutte d’eau ne lui échappe pas.»
Plus rapide et plus efficace que l’être humain – qui doit utiliser un appareil dit «renifleur» –, ce chien est un précieux atout pour localiser avec précision la zone où des substances suspectes pourraient être présentes. Un prédécesseur est même parvenu à marquer un endroit huit mois après les faits. Mais si son flair reconnaît des molécules, il ne peut pour autant juger du lien avec l’incendie. Arson indiquera ainsi de la même manière l’alcool à brûler d’un réchaud à fondue stocké dans une armoire que celui qui a servi à allumer un feu. «C’est là qu’interviennent les inspecteurs de la brigade scientifique, qui interprètent la situation selon le contexte et les éléments de preuve, note le sergent Éric Dind. À chaque marquage, des prélèvements sont analysés en laboratoire. L’enquête permet ensuite de déterminer pourquoi tel produit a été retrouvé ici ou là, et si la cause est criminelle.»
Questions à Gaël Antonetti, responsable investigation, fraude et projets à l’Établissement d’assurance contre l’incendie (ECA-Vaud)
Quel est l’intérêt pour l’ECA que la police possède un tel chien?
La détermination de la cause d’un sinistre est essentielle pour nous. Cela nous permet notamment d’améliorer les connaissances liées à la prévention des incendies. Et dans certains cas de découvrir des actes intentionnels.
De quand date votre collaboration avec les forces de l’ordre?
Elle remonte aux années 1980, et nous souhaitons la poursuivre. Nous avons ainsi déjà soutenu l’acquisition et la formation du prédécesseur d’Arson. Notre objectif commun est d’établir la vérité des faits.
Des incendies criminels ont-ils pu être élucidés grâce au flair du canidé?
Le prédécesseur d’Arson, Zippo, est intervenu 148 fois en Suisse romande et a décelé dans
47 cas un produit accélérateur. Cette découverte joue souvent un rôle capital dans l’enquête. Le Ministère public établit ensuite les responsabilités. Sur les milliers de sinistres que nous traitons annuellement, seule une dizaine sont des feux intentionnels d’une ampleur importante.
Formation exigeante
En Suisse, des «chiens incendies», comme ils sont surnommés, interviennent depuis 2004. Actuellement, cinq d’entre eux sont actifs sur tout le territoire, dont Arson pour la Romandie. Le sergent Dind a opté pour un épagneul breton, séduit par sa petite taille, pratique pour se faufiler entre les décombres. Mais labradors, bergers allemands et bergers belges sont également utilisés. S’il ne leur faut que trois jours pour mémoriser les odeurs à reconnaître grâce à un jouet qui contient l’ensemble des molécules, l’entraînement leur apprend à les chercher sur commande, et à les désigner ensuite séparément. La formation, qui s’étend sur plusieurs mois, est validée par un test fédéral où les nouvelles recrues canines prouvent leurs compétences. «Le milieu dans lequel évoluent ces chiens complique leur travail. Toutes les matières se transforment avec le feu. Une fois brûlés, le sagex, le plastique et les solvants, issus du pétrole, peuvent ainsi conduire l’animal à signaler un endroit. Il n’a alors pas fait faux, mais ce n’est pas ce qu’on recherche.»
À Denezy, Arson s’entraîne au cours d’un ultime exercice: il flaire veste, pull et pantalon d’un suspect fictif. «Dans le cadre d’une enquête, le chien nous permet d’analyser uniquement les vêtements portant les traces d’un produit inflammable et de le comparer à celui trouvé sur les lieux du sinistre, réduisant ainsi les coûts de laboratoire.» Avec, à la clé, l’identification possible d’un pyromane.
Une équipe aux multiples talents
La police cantonale vaudoise (PCV) dispose d’une brigade canine importante. Elle est composée de 15 maîtres et 16 canidés, dont 10 prêts à intervenir à tout moment. Toutes les spécialités y sont représentées. En outre, 24 conducteurs de chiens des polices municipales collaborent avec l’entité PCV, que ce soit dans les engagements opérationnels ou les entraînements et formations. Explosifs, drogue, billets de banque, cadavre, défense ou piste: les chiens sont toujours formées dans un domaine précis, afin d’éviter des confusions aux enquêteurs.
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