«Une vie en extérieur et en troupeau permet d’éviter bien des problèmes»

L’éthologue équin Germán Herrero publie un livre dans lequel il développe son approche des chevaux, basée sur les neurosciences, mais aussi sur l’écoute attentive des équidés et de leurs besoins fondamentaux.
8 juillet 2021 Propos recueillis par Aurélie Jaquet
Mathieu Rod

Germán Herrero est spécialiste en neuropsychologie équine. Après avoir côtoyé et étudié dans un premier temps les chuchoteurs américains, il a choisi de s’en distancier radicalement pour se tourner vers une formation académique en éthologie équine appliquée. Depuis près de vingt ans, Germán Herrero soigne les chevaux victimes de troubles comportementaux. Son ouvrage Écoutez-moi! Approche contemporaine du cheval est le fruit de longues années de recherches scientifiques et d’observations menées sur le terrain. Il y aborde la psychologie du cheval, mais aussi ses besoins fondamentaux, de ses conditions de détention à son alimentation, et prône une approche en douceur et attentive, à l’écoute des équidés.

Dans votre livre, vous expliquez que beaucoup de problèmes comportementaux des chevaux sont liés à leurs conditions de détention. Pourquoi?
Parce qu’elles ne répondent souvent pas à leurs besoins. Plus on est proche de leurs conditions de vie naturelles, moins on observe de soucis comportementaux. Ce sont des animaux qui doivent pouvoir bouger et vivre le plus de temps possible à l’extérieur. Or la plupart sont détenus en box une grande partie de la journée. La première pathologie liée à l’enfermement est l’ulcère d’estomac. C’est un mal silencieux et souvent ignoré, mais qui est très douloureux pour l’animal et influence énormément son humeur. Les chevaux ont aussi besoin d’évoluer en groupe, car ce sont des individus extrêmement grégaires. Beaucoup sont sortis dans des parcs individuels, de peur qu’ils ne se blessent entre eux. Mais lorsque l’espace est suffisamment grand, la hiérarchie s’établit d’elle-même et la vie en troupeau ne pose aucun problème. Et même si quelques morsures ou coups de sabot ne sont pas totalement exclus, ils sont infiniment moins conséquents que les pathologies comportementales liées à l’isolement.

Vous expliquez également que le cheval possède une structure cérébrale à l’opposé de la nôtre. C’est-à-dire?
Nous sommes des prédateurs, les chevaux sont des proies. Cette opposition nous fait appréhender le monde de manière totalement différente. Le cerveau d’un humain adulte pèse en moyenne 1300 grammes, celui du cheval 640 grammes. Or, sur ces 640 grammes, 40% sont occupés par la partie primitive du cerveau, qui conditionne son instinct de fuite, ses peurs et sa survie. Chez l’humain, cette partie n’occupe que 2%. Le néocortex, qui permet la réflexion, la recherche de solutions et la projection spatiotemporelle, est quasi inexistant chez le cheval. C’est tout l’inverse pour nous: notre néocortex prédomine de l’ordre de 80%. Ces architectures cérébrales totalement à l’opposé font que ces animaux sont incapables de venir dans notre monde. C’est donc à nous de faire un pas dans le leur.

Vous rappelez aussi qu’accepter un cavalier sur son dos est contre nature pour un cheval. Pourquoi?
Parce que, à l’état sauvage, c’est le prédateur qui lui grimpe dessus et s’accroche. Tolérer une présence sur son dos lui demande donc un énorme travail sur lui-même. C’est un fait que la plupart des cavaliers oublient. D’où l’importance d’établir un lien de confiance et de travailler dans la douceur et la collaboration avant d’envisager de lui monter dessus.

Que dire alors de l’adage qui consiste à «montrer au cheval qui commande»?
Pour moi, c’est le secret de l’insuccès. Parce que, dans un rapport de force avec le cheval, nous sommes perdants. Mieux vaut convaincre que vaincre. Il faut adopter un rôle de décideur, mais éviter à tout prix les rapports de domination. Il est aussi important d’être cohérent avec le cheval, car il a besoin d’un cadre clair et vit très mal le flou. Or beaucoup de cavaliers souhaitent être considérés comme des dominants, mais se comportent comme des dominés dans la culture du cheval, sans même s’en apercevoir.

Cela se traduit comment?
Par des gestes qui semblent anodins, comme celui de donner des friandises à la main, de marcher à la hauteur de son épaule plutôt que devant lui ou encore de refuser de descendre pour passer une rivière à pied lorsqu’il a peur d’y aller. Dans la nature, le cheval leader mange avant le reste du troupeau, marche devant les autres, ouvre la voie. En somme, le cavalier doit se comporter comme le chef du groupe, il doit convaincre.

Comment établir ce lien de confiance?
Par le travail au sol, qui est une étape préalable indispensable, une manière de faire connaissance et de dire au cheval: «À l’instar du décideur du troupeau, je suis celui qui te protège en toute circonstance, ne me perds pas de vue.» Quand ce lien de confiance est établi, le cheval va devoir comprendre que la personne qui était au sol est ensuite celle qui lui monte sur le dos.

Dans le chapitre consacré à l’alimentation, vous dites que, en Suisse, la plupart des chevaux sont trop gros. Vraiment?
Dans la nature, les équidés stockent des graisses du printemps à l’automne, réserves dans lesquelles ils puisent l’hiver lorsque la nourriture est plus rare. Dans les pays du nord de l’Europe, ils sont affouragés toute l’année et ne brûlent jamais leurs graisses. Leur organisme n’est pas prévu pour faire face à cette opulence permanente. En Suisse, la plupart des chevaux sont carencés en sélénium, car nos sols en sont pauvres. Une prise de sang annuelle permet de détecter le problème et d’y remédier.

Vous avez des mots assez durs sur le milieu du cheval, affirmant qu’il s’agit d’un monde toujours plus amateur…
Il y a une perte des connaissances générales comme des besoins élémentaires des chevaux. Je suis toujours surpris de constater que la plupart des cavaliers ne savent pas remettre un fer ou ignorent l’importance de faire contrôler la dentition de leur cheval. Mais ce que je regrette surtout, c’est le manque d’envie d’apprendre, d’empathie et de compassion. Dans toutes les situations sur lesquelles je suis amené à intervenir, l’erreur vient de l’humain, souvent par ignorance. Dans la nature, aucun cheval n’est en souffrance psychologique. Si l’homme est tellement intelligent, pourquoi a-t-il tant de mal à aller vers lui?

+ D’infos
Écoutez-moi! Approche contemporaine du cheval, Germán Herrero, Éditions Anovi, 284 pp., 30 fr., www.germanherrero.com

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