Point fort
Après six mois de pause, l’élite de la lutte suisse retrouve la sciure

À l’arrêt depuis octobre 2020 à cause des mesures sanitaires, certains athlètes ont pu reprendre les entraînements le mois dernier selon un concept élaboré par l’Association fédérale de lutte suisse et Swiss Olympic.

Après six mois de pause, l’élite de la lutte suisse retrouve la sciure

La lutte suisse a repris du service. Pour une partie de ses membres en tout cas. Depuis le 17 mars dernier, 120 actifs au niveau national ont en effet pu recommencer les entraînements sous certaines conditions: les groupes ne sont constitués que de quatre lutteurs, toujours identiques, ceux-ci doivent arriver à la salle déjà équipés et les accès aux douches et aux vestiaires ne sont pas autorisés. Ce concept, proposé par l’Association fédérale de lutte suisse en collaboration avec Swiss Olympic, a obtenu l’aval de l’Office fédéral de la santé publique et de celui du sport. «Au départ, nous avions demandé à pouvoir faire lutter 300 actifs, mais ce nombre était trop élevé. Nous nous sommes finalement mis d’accord sur celui de 120 lutteurs», explique Blaise Decrauzat, responsable média de l’Association romande de lutte suisse (ARLS) et membre du comité central de l’association fédérale. La discipline ne connaissant pas de catégories, il a fallu définir des règles pour choisir ces heureux élus parmi les quelque 2000 actifs âgés de 21 ans et plus. Car les lutteurs jusqu’à 20 ans sont, eux, autorisés à s’entraîner depuis janvier déjà.

Encore 1800 lutteurs à la maison

«Après de nombreuses discussions, il a été décidé de donner la priorité aux couronnés fédéraux, d’associations et de fêtes alpestres. Ces critères concernaient 169 lutteurs. La suite de la sélection s’est faite en discussion avec eux. Plusieurs n’ont pas souhaité reprendre les entraînements. Certains par solidarité envers ceux qui n’y avaient pas accès, d’autres par choix personnel, en lien avec la situation pandémique», poursuit Blaise Decrauzat. Les places attribuées sont toutes nominatives. Aucun remplacement n’est possible en cas de blessure ou de désistement. En comptant les jeunes de 20 ans et moins additionnés à ces 120 sélectionnés, un peu moins de 70% des licenciés de Suisse ont donc renoué avec la sciure. Quelque 1800 lutteurs sont en revanche encore contraints de rester chez eux. En Suisse romande, ils sont seize actifs à avoir repris le chemin des entraînements selon ce nouveau concept. Celui des compétitions n’est en revanche pas encore engagé. «Pour l’heure, nous ne pouvons même pas projeter de fêtes à huis clos», précise Blaise Decrauzat.

Fédérale 2022 en ligne de mire

Déjà reportée de 2020, la fête célébrant les 125 ans de l’Association suisse de lutte, censée se tenir à Appenzell le 5 septembre prochain, ainsi que celle du Kirchberg, agendée au 25 septembre, semblent donc compromises. Une situation d’autant plus compliquée que ces deux événements ne pourraient être repoussés à l’année prochaine, puisque celle-ci comptera déjà la très attendue Fête fédérale de lutte suisse et des jeux alpestres, qui doit se tenir fin août 2022 à Pratteln (Bâle-Campagne). Car c’est bien cet événement majeur qui occupe déjà les esprits parmi l’élite. La dernière édition, organisée en 2019 à Zoug, avait attiré plus de 400000 spectateurs. Difficile, en l’état actuel des choses, d’imaginer pareil rassemblement. Blaise Decrauzat tient toutefois à rester optimiste. «Nous parlons d’un événement prévu dans plus d’une année. Espérons donc que la pandémie soit derrière et que la vie aura repris son cours normal d’ici là…» Le comité d’organisation de la fédérale s’est donné pour sa part jusqu’à juillet prochain pour décider du maintien ou non des festivités. Car les premiers travaux de la future arène devraient commencer cet été déjà, avec le drainage du terrain, puis le gazon à semer cet automne. Un chantier titanesque pour un budget total estimé entre 35 et 40 millions de francs. Du côté des athlètes, le rendez-vous se prépare généralement sur deux ans, avec des entraînements spécifiques, mais aussi les points à gagner lors des fêtes qualificatives.

La question de la relève

La dernière compétition officielle s’est déroulée il y a plus d’une année. Une situation qui n’est pas sans conséquence non plus pour les finances des clubs. «Nous pouvons heureusement compter sur le soutien de la Confédération et de Swiss Olympic, dont nous sommes membres depuis 2015. C’est l’association fédérale qui encaisse les aides, puis elle les répartit entre les cinq associations régionales, qui les redistribuent à leur tour aux différents clubs.» Mais, au-delà de l’aspect financier, c’est aussi la question de la relève qui préoccupe. «Notre discipline n’a plus aucune visibilité. Il nous est impossible d’en faire la promotion auprès des jeunes ni de proposer d’initiations. Nous espérons que l’engouement sera toujours là lorsque la situation reviendra à la normale.» Autant dire que les attentes sont grandes et que tous les regards sont désormais tournés vers le Conseil fédéral dans l’espoir d’assouplissements des mesures sanitaires. «Dans un premier temps, nous souhaiterions que les entraînements soient à nouveau possibles pour l’ensemble des lutteurs. Puis, bien sûr, pouvoir réorganiser des fêtes d’ici à cet été», lâche Blaise Decrauzat. Un premier pas qui permettrait aux près de 6000 licenciés de notre pays de renouer avec la compétition, même à huis clos, avant d’imaginer un retour à la normale devant du public. «Tous les sports manquent de saveur sans spectateurs. Mais la lutte, comme tradition vivante de notre patrimoine, a plus que n’importe quelle autre discipline besoin du public pour vibrer.»

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): DR

Questions à...

Ivan Mollet, lutteur de 27 ans, couronné romand, club d’Aigle (VD)

Comment s’est passée la reprise des entraînements après ces six mois d’arrêt?
Cela fait du bien de retrouver la sciure, même si le niveau est forcément un peu réduit, puisqu’on ne peut lutter que contre trois sparring-partners. En temps normal, j’ai une cinquantaine d’adversaires différents. Mais je m’estime déjà chanceux d’avoir pu reprendre les entraînements et je suis en pensées avec les plus de 20 ans qui sont contraints de rester chez eux.

Comment vous êtes-vous maintenu en forme durant cette pause forcée?
Mon frère travaille dans le sport, j’ai donc pu bénéficier d’un lieu pour continuer à m’entretenir physiquement malgré la fermeture des fitness. J’ai aussi pris l’habitude de faire un parcours Vita une fois par semaine.

Est-ce difficile de rester motivé sans savoir quand reprendront les fêtes?
J’essaie de demeurer concentré malgré le contexte et surtout de maintenir mon niveau afin d’être prêt lorsque la compétition reprendra. Hormis une petite fête régionale en février 2020, mon dernier grand rendez-vous remonte à la Fédérale de Zoug, en août 2019. Cela fait donc un bon moment que je n’ai pas lutté. J’ai hâte que les fêtes reprennent!