«Sans irriguer et protéger les vergers, on ne pourra plus produire de fruits»
Les récoltes de 2023 ont été parmi les plus faibles depuis dix ans. Pourquoi?
Nous avons eu une fin d’hiver froide et un printemps doux, suivi par une période de gel sur les premières fleurs et feuilles. Ensuite, il y a eu beaucoup de pluie, ce qui a perturbé la fécondation, puis des périodes très sèches et de la grêle, détruisant les fruits. Ces aléas ont eu des conséquences dramatiques dans certaines régions. Seulement 5400 tonnes d’abricots ont été cueillis dans le pays, contre 7700 tonnes en moyenne ces dix dernières années. Il en est de même pour les pommes, avec une baisse record de 20%. Les cerises et les poires ont aussi été touchées. Cela a grandement impacté les revenus des producteurs.
Qu’en est-il de cette année?
Malgré la météo chaude pour la saison, les températures nocturnes sont inférieures à 10°C, ce qui permet aux arbres de rester en phase de dormance. Nous espérons que cela tiendra jusqu’à fin mars, afin que les bourgeons ne débourrent pas trop tôt, ce qui rendrait les fleurs vulnérables face au risque de gel printanier. De plus en plus fréquent, ce phénomène constitue un défi majeur pour les arboriculteurs, qui luttent avec divers systèmes d’arrosage par aspersion, chauffage de l’air et bougies antigel selon leur lieu de production, leur disponibilité en eau et leurs moyens financiers. Le Valais et le bassin lémanique sont particulièrement concernés par ces événements extrêmes, ainsi que par la sécheresse, les fortes chaleurs et la grêle, liés en partie au dérèglement climatique.
Dans ces conditions, certaines cultures pourraient-elles disparaître un jour?
Je ne pense pas, mais les techniques de production vont considérablement évoluer. À l’avenir, les parcelles devront être protégées du soleil et de la grêle avec des systèmes d’ombrage et des filets. Mais surtout, il n’y aura plus d’arboriculture sans irrigation. Suivant la localisation des vergers, l’eau devra soit être achetée, soit être pompée dans les sous-sols, cours d’eau et lacs, voire dans des bassins de rétention. Plus économe, l’arrosage goutte-à-goutte deviendra un standard. Si ces techniques existent déjà dans certains cantons, elles devront se généraliser à tout le pays.
Bio express
Issu d’une famille de producteurs de petits fruits, Jimmy Mariéthoz a d’abord effectué des études à l’École d’agriculture de Châteauneuf(VS), avant de se former comme ingénieur à Changins (VD). Après un premier passage à la faîtière Fruit-Union Suisse en début de carrière, il a pratiqué de la recherche sur les petits fruits à Agroscope puis du conseil technique en maraîchage et production de baies. Il a été à la tête de l’Union maraîchère suisse de 2015 à 2018. Depuis cinq ans, il officie comme directeur de Fruit-Union Suisse.
Cela est-il économiquement envisageable pour les producteurs?
Il s’agit effectivement d’investissements importants à court terme. S’ils sont nombreux à s’engager dans cette voie, ceux qui ne le font pas décident généralement d’arrêter l’arboriculture. Ce cas de figure se présente notamment lorsqu’il y a un changement de génération à la tête d’un domaine. C’est en partie pour cette raison que le nombre de professionnels du secteur diminue d’environ 1% chaque année en Suisse. En revanche, les domaines restants s’agrandissent, car ce type de cultures requiert des moyens financiers et un professionnalisme accrus. Aujourd’hui, produire des fruits ne peut plus être un à-côté.
La sélection de variétés résistantes peut-elle être une solution?
Oui, mais c’est un domaine naissant. Jusqu’à maintenant, les critères de qualité et de production prédominaient dans la sélection. Aujourd’hui, plusieurs projets sont en cours en Europe et en Suisse pour mettre au point des variétés plus robustes à la sécheresse et au gel. À Fruit-Union, nous réfléchissons à leur future commercialisation, mais tout cela prend du temps. Une nouvelle variété de pomme peut mettre quinze à vingt ans pour arriver sur le marché. Nous espérons accélérer ce processus avec une autorisation officielle de ces méthodes.
Parallèlement, la Confédération a fixé comme objectif il y a deux ans la réduction de 50% des risques liés à l’utilisation de produits phytosanitaires d’ici à 2027. Quel est l’impact sur le secteur?
C’est une problématique encore plus contraignante que celle du climat actuellement, car les vergers et les petits fruits ont besoin d’une protection phytosanitaire. Aujourd’hui, nous avons un choix de produits toujours plus restreint, des alternatives peu efficaces et des homologations qui tardent, causant des pertes importantes de récolte. Par exemple, une substance appelée Insegar, utilisée contre le carpocapse du prunier, a récemment été retirée de la vente. Résultat: l’année dernière, il y a eu entre 5 et 30% de pertes. Dans le même temps, des pruneaux importés continuent d’en bénéficier, ce qui constitue une double concurrence pour nos fruits indigènes.
D’ailleurs, treize demandes d’homologation d’urgence ont été déposées à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires afin de protéger les cultures fruitières en 2024…
C’est exact, soit deux de plus que l’an dernier. Ce cri d’alarme montre que la branche n’a plus de moyen de lutte contre certains ravageurs, dont la Drosophila suzukii, observée la première fois en Suisse en 2011. Et bien que la production biologique ait progressé ces dix dernières années pour atteindre environ 8% des surfaces arboricoles du pays, les reconversions sont plus rares que dans le reste de l’agriculture et les rendements bien inférieurs.
Malgré ces multiples défis, restez-vous optimiste?
Toujours! Nos professionnels sont innovants, dynamiques et passionnés, et les consommateurs apprécient toujours plus les fruits dans leur alimentation. Nous n’allons plus produire de la même manière que nos grands-parents, c’est sûr, mais le secteur a des pistes pour s’adapter.
Nonante mesures pour la durabilité
Méthodes d’arrosage économes, nichoirs et ruches sur les parcelles, formation continue pour les producteurs, au moins un véhicule sans combustible fossile dans l’exploitation: en 2022, l’organisation faîtière Fruit-Union Suisse a élaboré un programme de durabilité, en collaboration avec les arboriculteurs et des partenaires commerciaux. Un catalogue de 90 mesures contraignantes a ainsi été mis au point afin de créer une réglementation uniforme destinée à toutes les fermes. Le commerce s’est engagé à indemniser équitablement la production pour ses charges additionnelles avec un supplément de prix de 6 centimes par kilo.
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