Portrait
«Le tracteur acheté grâce au journal est le pilier de notre ferme en Gambie»

En cette année d’anniversaire, nous partons à la rencontre de lecteurs qui ont vécu une histoire inattendue avec Terre&Nature. Cette semaine, Musa Touray, médecin à Épalinges (VD) et dans un hôpital en Afrique de l’Ouest.

«Le tracteur acheté grâce au journal est le pilier de notre ferme en Gambie»
Quelques tableaux rapportés d’Afrique de l’Ouest égaient les murs aseptisés de la salle de consultation. Au-dessus de son bureau, comme tous ses confrères, Musa Touray a accroché ses diplômes. Blouse blanche et baskets aux pieds, le médecin de 58 ans nous reçoit en fin de journée dans son cabinet d’Épalinges pour évoquer son histoire inattendue avec Terre&Nature. Un lien qui s’est tissé entre la Suisse et la Gambie, pays d’origine de Musa Touray, où ce dernier a créé en 1998 une exploitation agricole nommée Kankanba Farm. Cette ferme associative est née dans la continuité du Bijilo Medical Center, un hôpital fondé par le médecin, qui a pour mission depuis près de trente ans d’offrir des soins aux personnes sans ressources financières. «J’avais envie de développer en parallèle un projet agricole pour la population locale, qui serve également à fournir les cuisines de l’hôpital. Avec le chef du village de Sanyang, nous avons déniché une parcelle de 22 hectares et la production s’est développée au fil du temps.» Petite bande de terre enclavée dans le Sénégal et bordée à l’ouest par l’océan Atlantique, la Gambie compte 2,5 millions d’habitants seulement, mais neuf langues différentes. En mandinka, «Kankanba» signifie ainsi «le grand jardin».
Des petites annonces fructueuses
Pendant plusieurs années, Musa Touray partage son temps entre son pays natal et la Suisse, où vivent son épouse et leurs enfants. «Un jour, alors que nous nous baladions en Lavaux, nous avons rencontré une viticultrice à qui j’ai parlé de notre ferme. Nous avions besoin de quelqu’un capable de former les employés, car la Gambie ne dispose pas d’école d’agriculture. Cette personne m’a suggéré de publier une petite annonce dans votre journal.» Une dizaine de personnes répondent à l’appel et, après quelques entretiens, un agriculteur romand s’envole pour Banjul, la capitale. Il y restera six mois et y installera deux serres, dénichées elles aussi dans Terre&Nature, pour développer les cultures horticoles.
Quelques années plus tôt, une autre petite annonce avait déjà permis à l’association d’acquérir un tracteur Massey Ferguson, acheté à Fey, au cœur du Gros-de-Vaud, pour travailler les parcelles de la Kankanba Farm. L’engin est conduit à Bâle, puis transporté par bateau jusqu’en Gambie. «Près de vingt ans plus tard, ce tracteur tourne toujours dans les champs de Sanyang. C’est même le pilier de notre ferme», sourit Musa Touray. L’exploitation agricole emploie actuellement huit salariés et peut compter sur l’aide d’une cinquantaine de jeunes de la région pour des travaux ponctuels. On y pratique la culture maraîchère et fruitière, l’élevage, la pisciculture et même l’apiculture. «L’année dernière, la production de tomates s’est élevée à 5,2 tonnes», s’enthousiasme le quinquagénaire, qui se rend deux ou trois fois par année en Gambie pour œuvrer à l’hôpital et à la ferme. «Le centre médical dispose d’une cinquantaine de lits, d’un bloc opératoire, d’une salle d’accouchement, d’un service de radiologie et d’une maternité. Il a d’ailleurs été désigné meilleur hôpital du pays», se réjouit Musa Touray. Car l’homme, auteur de plus d’une trentaine de publications scientifiques, est avant tout médecin. Une vocation née à l’âge de 6 ans, au contact de sa tante, aveugle, qu’il accompagnait chaque jour chercher de l’eau dans le fleuve Gambie. «Mes parents vivaient au Mali, c’est elle qui m’a élevé. Nous étions très proches. Enfant, je rêvais d’être médecin pour pouvoir un jour soigner ses yeux…»
Appenzellois d’adoption
C’est à 17 ans qu’il quitte la Gambie pour la Libye, où vit l’un de ses cousins, avant de rejoindre Hambourg. La faculté de médecine étant réservée aux citoyens allemands, Musa Touray opte alors pour la biologie. «Par la suite, mon professeur de l’époque a décroché un poste à Berne et a eu la possibilité d’emmener avec lui quelques étudiants. C’est comme ça que je suis arrivé en Suisse.» Il y rencontre sa future épouse, une infirmière d’origine appenzelloise qui travaille dans le même laboratoire que lui, et avec qui il fondera une famille nombreuse. «Grâce à elle, je suis devenu Appenzellois moi aussi. J’ai même reçu de mes beaux-parents une boucle d’oreille avec une petite vache typique de ce canton, mais je l’enlève quand je viens au cabinet», lâche-t-il en riant.Mais revenons à son parcours. Après son doctorat en biologie, Musa Touray poursuit ses études avec un postdoctorat au National Institutes of Health, dans le Maryland, aux États-Unis. «Ma recherche portait sur le développement d’un moustique transgénique destiné à dépeupler l’Anopheles gambiae, transmetteur de la malaria.» Alors qu’il se rend avec des collègues au Mali pour prélever des insectes, des habitants viennent le voir pour lui demander des soins. «Avec nos blouses blanches, ils nous avaient pris pour des médecins. Cela a ravivé mon envie de faire ce métier», se remémore le quinquagénaire. De retour en Suisse, Musa Touray quitte alors Berne pour Lausanne, où il entreprend ses études de médecine, avec une spécialisation en médecine interne générale. Et réalise, trente ans plus tard, son rêve d’enfant.
+ d’infos www.kankanbafarm.org et www.mandioufoundation.ch
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Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): François Wavre/ Lundi13

Son univers

Sa rubrique préférée
Les petites annonces: «Bien entendu! Parce qu’on y trouve de tout.»

Un plat
La raclette. «Dans ma famille, on en raffole. Je me souviens de la première que m’a fait manger mon épouse après notre rencontre.»

Un livre
«Things Fall Apart», de Chinua Achebe. «Un roman qui raconte comment l’arrivée des Britanniques a bouleversé la culture nigériane.»

Un artiste
Bob Marley. «Je l’adore. Il paraît que ma famille m’entend souvent chanter I Shot The Sheriff sous la douche.»