Reportage
Comment les éleveurs font-ils face à la grippe aviaire?

Circulant toujours en Europe, le virus H5N1 touche également la Suisse où des mesures préventives ont été imposées par la Confédération jusqu’à la mi-mars. Une situation préoccupante qui oblige les aviculteurs à s’adapter.

Comment les éleveurs font-ils face à la grippe aviaire?

Un verger désert, des poules enfermées et un panneau «Interdit d’entrer» sur la porte du poulailler.
À Blessens (FR), l’éleveur Joël Charrière est confronté à une crise, comme tous les autres aviculteurs du pays. En effet, la grippe aviaire a touché une dizaine d’oiseaux outre-Sarine et un premier cas a été détecté en Romandie, dans la région de La Côte (VD), ce mardi 28 février. Un chiffre encore négligeable, toutefois, «la situation reste préoccupante sur notre territoire et nous devons la prendre au sérieux», insiste Aviforum, le centre suisse de compétences de l’aviculture. Dans le reste de l’Europe, la Plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale a enregistré depuis le 1er août dernier environ 1300 foyers dans plus de 25 pays. En France, 3,3 millions de volailles d’élevage ont été abattues depuis août 2022. Et le virus continue de se propager rapidement sur une grande partie du continent, se déplaçant actuellement le long des axes migratoires en direction de l’Afrique, précise l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). C’est pourquoi les autorités helvétiques ont décidé, par précaution, de prolonger les mesures préventives jusqu’au 15 mars. Depuis fin novembre, les éleveurs de volailles, professionnels comme amateurs, sont ainsi soumis à de nombreuses restrictions afin d’éviter tout contact avec les oiseaux sauvages en raison du risque de contamination. Les animaux ne peuvent sortir en plein air que si l’exploitation est munie de clôtures et de filets. L’interaction entre les aviculteurs et leurs bêtes doit aussi être limitée au strict minimum et les poules doivent être séparées des canards.

Peur d’une hécatombe
La situation actuelle n’est pourtant pas totalement nouvelle. «Chaque année, nous sommes confrontés à des recommandations de la part de l’OSAV lors des périodes de migration. En revanche, ce sont les plus strictes depuis une dizaine d’années», confirme Joël Charrière. Le Fribourgeois, professionnel depuis 2010, a donc dû laisser ses 15 000 poules pondeuses à l’intérieur. Elles peuvent néanmoins accéder au jardin d’hiver puisqu’il est protégé par un grillage. L’agriculteur a par ailleurs mis en place, il y a quelques années, un sas d’hygiène et de désinfection à l’entrée du bâtiment. À Soral (GE), Léo Dupraz est soumis au même régime de sécurité et garde ses

600 pondeuses dans ses deux poulaillers. «Je suis attristé d’enfermer ainsi mes bêtes. J’ai dû installer des bouchons de liège suspendus au plafond pour les divertir et ainsi empêcher qu’elles ne deviennent trop agressives et se blessent entre elles.» Bien qu’il respecte la prolongation du confinement, il espère qu’elle ne s’éternisera pas à cause du nouveau cas détecté dans le canton de Vaud. «Je pense que l’OSAV doit, comme l’an dernier, imposer des mesures aux élevages les plus à risque, notamment ceux proches des cours d’eau où les oiseaux migrateurs passent l’hiver», estime le Genevois.

Les deux aviculteurs s’accordent pourtant à dire que le confinement reste la solution la plus fiable pour endiguer l’épizootie, car si un cas est avéré dans une exploitation, la totalité du cheptel doit être abattue. Une situation traumatisante qui engendrerait également de grosses pertes économiques. «Vivre une hécatombe comme dans les élevages en France me fait peur. Perdre tout un lot de poules ainsi qu’une année de production serait catastrophique», s’inquiète Joël Charrière.

Impact économique incertain
Ce contexte a-t-il une incidence sur les ventes de volailles et d’œufs? Aviforum n’en a pour l’instant pas observé. «Il est trop tôt pour constater une hausse ou une baisse du prix dans notre pays, de même qu’une possible incidence sur le marché étranger. Nous en saurons davantage après le 15 mars, quand les restrictions auront pris fin», indique la faîtière. Même son de cloche chez nos deux aviculteurs. Ayant chacun un espace de vente en libre-service à la ferme, ils ont noté que leurs clients semblent plus préoccupés par le bien-être des poules enfermées que par l’épizootie actuelle. Certains acheteurs profitent toutefois de la crise en cours pour tenter de négocier les prix, jugeant que les œufs ne sont plus produits en plein air. L’éleveur genevois a en outre observé une augmentation des besoins en nourriture et en eau de ses pondeuses, qui provoquera certainement une hausse des coûts de production si les restrictions perdurent.

L’année 2022 a ceci de particulier qu’il n’y a pas eu de pause estivale. «Auparavant, les contaminations avaient seulement lieu durant les périodes de migration. Mais depuis l’été passé, le virus circule en continu», témoigne Joël Charrière. C’est une première historique qui fait craindre une possible transformation de la maladie en endémie sur le continent. Cela s’explique notamment par une modification de la biologie du virus H5N1, qui touche davantage d’espèces d’oiseaux et se propage donc plus facilement, note l’OSAV. Selon les autorités sanitaires européennes, 50 millions de volatiles ont déjà été infectés et abattus depuis le milieu de l’année 2022.

Aussi critique soit-elle, la situation n’est toutefois pas connue de tous, spécialement chez les aviculteurs amateurs, dont certains n’appliquent pas les restrictions, regrette Léo Dupraz. «Je vois des poules dehors, en contact direct avec les oiseaux sauvages.» Et ce sont particulièrement les élevages de loisir qui inquiètent les autorités, car ils sont difficilement contrôlables. «Il est important que tous les détenteurs de volailles s’enregistrent et respectent les mesures, même les exploitations ne comptant que quelques animaux», insiste l’OSAV. «La situation sanitaire est évaluée en permanence et les dispositions seront adaptées à partir de la deuxième moitié de mars», et ce, tant que le virus circulera chez les espèces sauvages, conclut l’Office fédéral.

Texte(s): Mathilde Jaccard
Photo(s): Pierre-Yves Massot

En dates

1997: Première apparition chez l’humain, à Hong-Kong, du sous-type hautement pathogène H5N1. Au même moment, une épizootie se déclare dans des élevages de poulets, provoquant le décès de six bêtes.

2003: Réapparition du sous-type en Chine qui devient, dès lors, endémique.

2004: Confirmation du danger de transmission du H5N1 à l’humain.

2005: Le virus s’étend à la Russie, puis atteint l’Europe de l’Ouest et l’Afrique.

2006: Premiers cas en Suisse, avec 32 oiseaux sauvages infectés sur le lac de Constance et le Léman.

Peu de risques pour l’humain

Bien que de nombreux laboratoires européens travaillent à l’élaboration d’un vaccin contre la grippe aviaire, les résultats sont encore loin d’être probants. «Les dernières études ont montré que malgré une vaccination, les animaux pouvaient tomber malades. Le virus peut donc se propager alors qu’on les croit protégés. Une situation qu’il faut à tout prix éviter», précise l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). De toute manière, le vaccin contre le H5N1 est interdit en Europe pour les volailles d’élevage. Il en va d’ailleurs de même pour d’autres pathologies: «En Suisse, par exemple, on n’est même pas autorisé à vacciner les poules contre la salmonellose», précise Aviforum.

Quant au risque de transmission de la grippe aviaire à l’humain, il est faible selon l’OMS, bien que la situation reste sous surveillance. Il existe des cas de contamination, principalement liés à une proximité accrue avec des volailles malades. L’OSAV confirme toutefois la possibilité que les virus influenza A mutent. Des cas isolés de transmission entre oiseau et mammifère ont été enregistrés ces derniers mois, chez un groupe d’otaries au Royaume-Uni et dans un élevage de visons en Espagne. Mais selon les scientifiques, il faudrait davantage de contaminations entre mammifères pour craindre une épidémie humaine à large échelle.