Décryptage
Conséquence du réchauffement, il y a toujours plus de pollen dans l’air

Après le noisetier et le bouleau, la saison des graminées commence, provoquant quantité de rhumes des foins. Un problème accentué par des concentrations polliniques en constante hausse.  

Conséquence du réchauffement, il y a toujours plus de pollen dans l’air

Parmi les capteurs installés sur le toit du centre MétéoSuisse de Payerne (VD), deux nouveaux viennent révolutionner la mesure de la qualité de l’air. «Ces stations automatiques font partie du premier réseau mondial permettant d’identifier la concentration et le type de pollens présents en temps réel dans l’atmosphère. Une dizaine sont désormais à l’œuvre dans notre pays et huit autres seront opérationnelles l’an prochain», indique le biométéorologue Bernard Clot. Complétant les systèmes manuels plus anciens, ces appareils ultratechnologiques confirment une tendance qui préoccupe les milieux de la santé: la charge pollinique dans l’atmosphère ne cesse d’augmenter. «Pour le bouleau, par exemple, les quantités ont doublé depuis les années 1980», précise le spécialiste de MétéoSuisse.

Arbres aussi en cause
De telles doses d’allergènes ont bien sûr une incidence sur le nombre de personnes souffrant de ce qu’on appelle communément le rhume des foins. Les études épidémiologiques les plus récentes attestent que ces affections (rhinoconjonctivite, asthme, eczéma) ont quasiment triplé durant les trois dernières décennies. Et en remontant un peu plus loin dans le temps, les statistiques montrent qu’il y a un siècle, seul 1% de la population était concerné contre plus de 20% aujourd’hui dans notre pays et jusqu’à 40% en Europe.

Si cette hausse s’explique surtout par l’évolution de notre mode de vie (lire l’encadré), plusieurs facteurs liés à la gestion de notre environnement y contribuent également. Ainsi, alors que l’allergie aux graminées, connue depuis l’Antiquité, est toujours la plus répandue – 70% des cas –, le pollen des arbres n’est plus en reste. «Des espèces comme le frêne et le bouleau sont devenues plus abondantes au cours de ces cinquante dernières années, augmentant par conséquent les quantités de pollen présentes dans l’air», expose Bernard Clot.

À la multiplication des sources d’allergènes s’est ajoutée une composante aggravante: le changement climatique. Longtemps restreinte au printemps et à l’été, la période des floraisons s’étend désormais sur la quasi-totalité de l’année. Il n’est ainsi pas rare que les chatons de noisetier éclosent déjà fin décembre ou début janvier. S’ensuivent l’aulne, le frêne et le bouleau puis dès mai, les graminées – parmi lesquelles la fléole des prés, le dactyle, l’avoine et le seigle – pour finir avec d’autres herbacées, souvent jusqu’en octobre.

Plante invasive très allergène
Plus importante dans sa durée, l’exposition aux allergènes l’est aussi dans son intensité et sa diversité. «Les végétaux poussent d’autant mieux et abondamment que les concentrations de gaz carbonique sont élevées dans l’air. Le pollen est donc présent en plus grandes quantités dans l’atmosphère. Quant à la pollution et à la sécheresse, elles ont tendance à accroître son potentiel irritant», poursuit le biométéorologue.

Favorisées par le réchauffement, de nouvelles plantes invasives ont également gagné du terrain, dont certaines figurent parmi les plus allergènes. C’est le cas de l’ambroisie, astéracée originaire d’Amérique du Nord, qui fait l’objet d’une surveillance active en Suisse depuis les années 1990, particulièrement au Tessin et à Genève. Si, à force de lutte, la situation est sous contrôle dans notre pays, selon le Centre d’Allergie Suisse aha!, l’obligation d’arrachage n’en demeure pas moins, notamment dans les surfaces agricoles qu’elle colonise facilement.

La prévention s’améliore
Du côté des arbres, des mesures sont aussi prises dans le but d’éviter d’introduire des espèces allergisantes. L’aulne pourpre en fait notamment partie, qui fleurit un mois avant ses cousins indigènes, rallongeant la durée d’exposition aux pollens. Les services communaux des parcs et jardins ainsi que les forestiers sont rendus attentifs à cet aspect, d’autant que les températures de plus en plus clémentes s’avèrent propices à des essences méditerranéennes souvent prisées, dont «certaines posent déjà problème comme l’olivier et le cyprès, qui sont très allergènes», relève Bernard Clot.

Ces moyens visant à limiter les concentrations polliniques restent évidemment modestes au regard du problème global qu’est le changement climatique. Mais les nouvelles technologies permettent d’en atténuer les effets. «Jusqu’ici, les seuls outils de mesure de MétéoSuisse étaient les cylindres volumétriques, des systèmes manuels datant des années 1950, signale le spécialiste. Entre le captage et l’analyse du pollen au microscope, une dizaine de jours était nécessaire tandis qu’avec les appareils holographiques, on peut savoir à chaque instant quelles particules sont dans l’air. Et, en combinant ces données avec les prévisions météo, anticiper les vagues et pics d’allergènes.» À défaut de guérir, il vaut toujours mieux prévenir…

+ D’infos www.meteosuisse.admin.ch

Texte(s): Céline Prior
Photo(s): DR

Questions à...

Dr François Spertini, allergologue au CHUV

Les allergies sont en augmentation. À quoi cela tient-il?
Essentiellement à notre mode de vie, qui a changé depuis qu’une grande partie de la population a quitté le milieu rural pour se concentrer dans les villes. Environnement aseptisé et alimentation industrielle nous exposent beaucoup moins aux bactéries. Sous-stimulé, le système immunitaire réagit plus fortement à certaines molécules ou protéines. Le pollen en fait partie, et comme il y en a toujours davantage, les allergies se manifestent plus souvent ou s’aggravent.

Tout le monde sera-t-il à terme touché?
Non, seuls ceux qui y sont génétiquement prédisposés. Soit à peu près la proportion actuelle de personnes atteintes, assez stable ces dernières années. Mais cela n’en reste pas moins un problème de santé publique important, occasionnant des coûts annuels estimés, pour le seul rhume des foins, à plus de 5 milliards de francs.

De nouvelles thérapies sont-elles développées?
Trois axes se complètent: la réduction de l’exposition aux allergènes, la prise d’antihistaminiques ou de stéroïdes topiques et la désensibilisation. Cette dernière – par voie sous-cutanée et désormais aussi sublinguale – fonctionne bien, en particulier pour les affections respiratoires bien définies sur le plan des allergènes. Pour soigner leur forme la plus grave, l’asthme sévère, il existe de nouveaux médicaments dits biologiques, qui sont très efficaces.