Interview
Cyril Dion: «En sauvant les autres espèces, les humains se sauveront également»

Après "Demain", le militant écologiste Cyril Dion revient avec "Animal", un documentaire sur deux adolescents qui s’engagent contre la sixième extinction de masse des espèces. À voir en salles dès mercredi prochain.

Cyril Dion: «En sauvant les autres espèces, les humains se sauveront également»

Il y a six ans, il présentait sur grand écran des initiatives prometteuses dans les domaines de l’agriculture, l’énergie, l’économie et l’éducation, afin d’agir face à l’urgence climatique. Intitulé Demain, son premier film remportait le César du meilleur documentaire. Le 1er décembre, Cyril Dion revient sur le devant de la scène avec Animal, dans lequel il suit deux adolescents partant à la rencontre de scientifiques, activistes, politiques, éleveurs et maraîchers tentant de lutter contre la sixième extinction de masse des espèces. De passage à Genève, le militant écologiste français présente ce parcours initiatique poignant et porteur d’espoir.

Pourquoi parler de cette thématique à travers le prisme des jeunes?

➤ Parce que l’adolescence est un âge fort, où la candeur et la révolte prennent le pas sur la rationalisation. Cette génération a une certaine gravité. Elle craint pour son avenir et a peur que le monde ne devienne invivable. J’ai été très touché par les grèves pour le climat ces dernières années, qui ont permis de secouer l’opinion. J’ai eu envie d’accompagner ces deux militants dans leur questionnement, tout en montrant que l’horizon n’est pas complètement bouché. Il est possible d’emprunter un autre chemin. Le but de ce film est de chercher lequel, ensemble.

Pollution, destruction des habitats, surexploitation… La cause animale n’est de loin pas la seule thématique explorée dans ce documentaire. Pourquoi ce titre? 

À travers ce terme volontairement ambigu, je voulais montrer qu’il est primordial que les êtres humains renouent avec leur animalité. Actuellement, nous considérons les autres formes de vie sur Terre uniquement comme des ressources exploitables, ce qui perturbe grandement l’équilibre. 60% des populations d’animaux sauvages vertébrés et 80% des insectes volants en Europe ont disparu ces quarante dernières années. À titre de comparaison, le dernier phénomène de cette ampleur était l’extinction des dinosaures… Nous devons mener des actions concrètes pour protéger cette biodiversité en déclin. Mais pas que. Toute notre société, guidée par la croissance économique, doit être repensée, car elle n’est pas compatible avec le respect du vivant. Ce film montre qu’il faut changer nos priorités, car nous avons besoin des autres espèces pour survivre. L’homme, lui aussi, est un animal.

Votre film évoque justement le loup, dans le Jura suisse. En quoi les conflits avec cet animal sont-ils symptomatiques de notre relation avec le vivant?

Ce mammifère a été diabolisé dans notre culture et considéré comme dangereux. Aujourd’hui, beaucoup veulent s’en débarrasser, sans même s’intéresser à son rôle dans l’écosystème. Pourtant, une cohabitation est possible. Chaque jour, des biologistes tentent de mieux comprendre son comportement, son mode de vie et les raisons pour lesquelles il attaque les troupeaux, afin que les éleveurs et les bergers puissent mettre en place des protections efficaces et adaptées. Rentrer en communication avec ce voisin permettra de mieux vivre ensemble.

L’élevage industriel et l’agriculture intensive sont aussi pointés du doigt. Quel modèle agricole est souhaitable?

Les biologistes s’accordent sur une chose: il faut une grande biodiversité pour avoir un écosystème durable, et donc des rendements plus stables. Actuellement, c’est l’inverse. L’industrialisation conduit à une simplification extrême des milieux, pour produire plus vite et moins cher. Les prédateurs naturels, comme les canards pour les limaces et les oiseaux pour les insectes, ont été remplacés par des pesticides chimiques bouleversant l’équilibre. Nous devons revenir à des pratiques agronomiques plus respectueuses de l’environnement, afin de réensauvager la nature. L’impulsion viendra de paysans pionniers et de la pression populaire. Cela devra aussi s’accompagner de changements structurels. Il est nécessaire de subventionner les agriculteurs dans leur transition écologique.

Quel est le rôle de l’être l’humain dans ce système global?

Cette question m’a beaucoup travaillé pendant l’écriture du film. Notre destin sur Terre est-il uniquement de détruire ce qui nous entoure? Heureusement, non! À la ferme permacole du Bec Hellouin, en Normandie (F), nous avons découvert que nous pouvions aussi enrichir le vivant, en attirant davantage de faune, flore et pollinisateurs grâce à une agriculture régénératrice. C’est une perspective géniale! Cela pourrait devenir le nouvel objectif de notre société: réparer la Terre. L’humanité est à un tournant, c’est à elle de décider.

Après sa sortie, Demain avait suscité une prise de conscience et encouragé la création de nombreux projets. En Suisse, un Demain Genève avait même vu le jour. Espérez-vous un impact similaire?

Je crois beaucoup au pouvoir du cinéma. À travers un film, les spectateurs peuvent expérimenter la douleur, la colère et la joie. C’est un média pluriel qui parle à l’intellect et aux émotions. Et dans «émouvoir», il y a «mouvoir». Le cinéma incite donc à passer à l’action. De plus, c’est une activité collective qui fait naître des conversations et des débats au sortir des salles. Mon plus grand souhait serait que ce documentaire bouleverse notre perception de ce qu’est l’écologie et qu’il réveille un élan profond. Celui de défendre la vie.

Gagnez 2 x 20 places à une projection du film à Lausanne et à Fribourg en présence du réalisateur, suivi d’un débat animé par notre journaliste Lila Erard. Pour participer, cliquez ici.

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): DR

Le combat d’une génération

Animal suit deux militants de 16 ans, l’Anglaise Bella Lack, engagée pour la défense des animaux sauvages, et le Français Vipulan Puvaneswaran, activiste pour le climat. Au cours de ce voyage géographique et intime aux quatre coins du monde, ils auront l’occasion de rencontrer le spécialiste suisse du loup Jean-Marc Landry, l’économiste français Laurent Éloi, l’activiste indien Afroz Shah ou encore l’ethnologue Jane Goodall, figure de la protection des chimpanzés. Leur but: comprendre notre relation au monde vivant.

Bio express

Avant de s’engager en faveur de l’écologie, l’ex-comédien français était coordinateur de projets pour la Fondation Hommes de Parole, qui a organisé, entre autres, des congrès israélo-palestiniens pour la paix. En 2007, il participe à la création du Mouvement Colibris avec l’écologiste Pierre Rabhi, puis cofonde le magazine «Kaizen», consacré au développement durable. En plus d’un roman et d’un recueil de poésie, celui qui est aussi écrivain a publié l’ouvrage engagé «Petit manuel de résistance contemporaine», en 2018.