Reportage
David Brunner sillonne le pays à la recherche de trésors enfouis

Améthystes, agates, lazulites et autres pierres semi-précieuses se cachent dans les recoins de notre pays. Des minéraux que cet artisan valaisan s’attelle à dénicher et à tailler. Reportage au bord de l’Allondon (GE).

David Brunner sillonne le pays à la recherche de trésors enfouis

«Une smaragdite! J’étais presque certain d’en trouver ici, mais celle-ci est d’un vert absolument parfait», s’exclame David Brunner en faisant scintiller le minéral aux reflets émeraude sous les rayons du soleil. Nous sommes au bord de l’Allondon, dans la campagne genevoise. Sous nos pieds, une plage recouverte à première vue de simples galets. Et pourtant, certains d’entre eux se révèlent être de véritables trésors pour qui sait les reconnaître. David Brunner est de ceux-là. Le Valaisan de 39 ans est un chercheur de pierres, qui sillonne la Suisse en quête des minéraux les plus spectaculaires: radiolarites, argilites à malachite, ardoises à pyrites, jades, améthystes du Jura, rhodonites. «Nul besoin de partir au Pakistan ou dans le Yukon pour dénicher ces pépites. Elles se trouvent juste là, sous notre nez», raconte dans un sourire ce lapidaire passionné.

Ramenés par le glacier du Rhône
Chapeau en feutre sur la tête, sa chienne Fifille le suivant comme son ombre, l’homme scrute la rive. «À chaque nouveau terrain, il faut habituer son œil au décor, quadriller le paysage pour voir ressortir les merveilles qui s’y cachent. L’Allondon regorge de minéraux du Valais, qui ont été ramenés par le glacier du Rhône, des gabbros de l’Allalin, des éclogites avec des grenats», poursuit David Brunner avant de s’interrompre. L’homme a repéré quelque chose un peu plus loin. Il prend le caillou dans sa main et l’humidifie avec sa langue – un truc de chercheur de pierres, paraît-il, pour faire ressortir les couleurs. «C’est une serpentine, une classique des rivières. On la reconnaît à sa teinte vert foncé. Mais je ne vais pas la prendre, car j’en ai déjà suffisamment chez moi qui attendent d’être taillées», indique-t-il.

Dans son atelier de Montreux (VD), David Brunner s’attelle ensuite à sublimer ses trouvailles. Il leur donne leur forme et les polit à l’aide d’une meule aux roues diamantées. Certaines sont vendues telles quelles, d’autres sont perforées afin de pouvoir être montées en pendentifs et autres bijoux. Des créations que le Valaisan vend en ligne et sur les marchés. Depuis quelque temps, l’artiste s’essaie également à la sculpture et a terminé parmi les finalistes de la dernière Swiss Art Expo de Zurich en août 2023.

Sa plus belle trouvaille
Maraîcher de formation, David Brunner a toujours nourri une passion pour les cailloux, comme il dit. «Quand j’étais gamin, ma maman bossait à la buvette du glacier du Trient. Avec mon petit frère, on partait déjà crapahuter dans les environs pour chercher des cristaux», se souvient le Valaisan. Il y a quelques années, un ami l’emmène à Grindelwald (BE) pour dénicher des ardoises à pyrites. «En cassant ces pierres brutes au burin, on voit apparaître des petits points dorés scintillants, c’est magnifique!» Il se renseigne sur internet, découvre le travail des tailleurs alémaniques et se lance à son tour. «Je tiens à mettre en avant le côté local et la traçabilité de mes minéraux sur un marché souvent opaque quant à la provenance et aux conditions d’extraction des pierres de l’étranger», dit David Brunner.

L’hiver, il se consacre aux rivières du Plateau, de Genève à Soleure, et profite de la belle saison pour marcher en altitude, principalement entre Zermatt et Saas Fee, deux sites réputés pour la richesse de leurs gisements, mais aussi dans l’Oberland bernois, connu notamment pour son magnifique marbre du Simmental.

Sa plus belle trouvaille jusqu’ici? De la lazulite du Stockhorn, un minéral rare déniché à Zermatt en 2022. «Le filon était officiellement épuisé depuis cinquante ans. Mais à force de chercher encore et encore, j’ai repéré un jour du bleu derrière un caillou. Je n’y croyais pas. À l’aide de mon marteau et de mon burin, j’ai réussi à extraire de gros nodules que j’ai redescendus dans mon sac à dos lors de plusieurs expéditions menées tout au long de l’année 2023. C’était un trésor inespéré, la découverte de ma vie», s’exclame David Brunner non sans une certaine émotion.

La magie du métier
Cet après-midi au bord de l’Allondon, il découvre encore une belle jadéite de Saas Fee grande comme la paume de sa main. Cet été, il partira à la recherche d’uvarovites, «un grenat vert fluo mélangé à du schiste sériciteux grisâtre qui offre un contraste sublime». Le Valaisan aimerait bien trouver aussi une albite noire au Tessin et, pourquoi pas, quelques cyanites au détour d’un chemin. «C’est le côté magique de ce métier, on ne sait jamais sur quel caillou on va tomber. Car oui, pour moi, cela reste des cailloux. Ils deviennent des pierres une fois que je les ai taillés. Il ne faut pas que ça fasse trop sérieux, quand même», lâche-t-il avec humour.

+ d’infos David Brunner tiendra un stand ce samedi 11 mai au Marché artisanal du Landeron (NE) et partage ses découvertes sur son compte Instagram @swiss.gemstones

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi 13

Des sols riches en gisements

Un minéral doit répondre à deux critères pour prétendre au statut de pierre précieuse: être translucide et plus dur que le quartz. «On considère généralement le reste des pierres ornementales comme semi-précieuses et la Suisse en héberge une très grande diversité», explique Edwin Gnos, minéralogiste, géologue et conservateur au Musée d’histoire naturelle de Genève. «Les minéraux se forment lorsqu’une roche contient certains éléments chimiques en abondance. La lazulite, par exemple, est produite grâce à la présence de magnésium, d’aluminium et de phosphore», poursuit le spécialiste genevois. Les gisements de pierres semi-précieuses sont typiques des régions composées de roche cristalline métamorphique, comme les Alpes. On les trouve aussi à certains endroits du Plateau, où ils ont été transportés et dispersés par le glacier du Rhône. «La vallée de Binn est également très riche en minéraux, car la région est dotée de nombreuses fissures alpines renfermant du quartz, du rose de fer et de l’arsenic», complète Edwin Gnos. La Suisse compte même quelques pierres précieuses, comme des rubis, des tourmalines et des aigues- marines.

À chaque région sa législation

En Suisse, les règlementations en matière de prospection et d’extraction des minéraux diffèrent selon les cantons et les communes. Si certains sites sont libres d’accès, d’autres nécessitent parfois une patente, font l’objet de certaines restrictions, voire d’une interdiction totale. Il convient donc de bien se renseigner sur les conditions en vigueur avant tout projet de recherche sur un lieu.