Terroir
De nobles champignons occupent une ancienne scierie

Shiitaké, hydne hérisson, pholiote adipeuse ou pleurote rose: du côté de Pompaples (VD), le biologiste Juan Carlos Floyd Sarria cultive onze espèces européennes ou asiatiques qui ont déjà trouvé leur clientèle.

De nobles champignons occupent une ancienne scierie

Accolée aux silos à grains, l’ancienne scierie du Moulin Bornu, à Pompaples (VD), ne paie pas de mine. Ses boiseries et ses locaux vétustes ont pourtant trouvé une nouvelle jeunesse en se muant en laboratoire destiné à la culture de champignons nobles. «La myciculture se déroule dans des conditions de température et d’humidité bien contrôlées et en milieu très aseptisé, pour éviter la prolifération de moisissures. J’ai choisi cet endroit par défi, parce que si je parviens à faire pousser mes champignons ici, je réussirai partout!» rigole Juan Carlos Floyd Sarria, le maître des lieux.

Mycélium sous haute sécurité
Bien lui en a pris: nichée au cœur du bâtiment où l’on pénètre sans chaussures, la salle de fructification s’ouvre sur des alignements de champignons prolifiques, aux couleurs et aux géométries surréalistes. Les pleurotes roses, blancs ou jaunes, hydnes hérissons, pholiotes adipeuses et autres originalités savoureuses s’arracheront samedi au marché de Lausanne.

Pour arriver à un tel résultat, Juan Carlos Floyd Sarria a investi en deux ans des milliers d’heures d’expérimentation. Car l’objectif du biologiste est ambitieux: «Je tiens à maîtriser toutes les étapes du processus, des clones du mycélium aux champignons prêts à cueillir, en utilisant des substrats de culture locaux et bios, et si possible du matériel low tech ou de récupération.» Ses anciens collègues de l’EPFL l’ont compris et lui ont offert de quoi assurer des conditions d’hygiène et de stérilité irréprochables: verreries scientifiques, flux laminaires, agitateur magnétique, lampes UV-C…

Si la mise en culture des clones est réalisée dans un laboratoire de mycologie de l’Agroscope de Changins (VD), le reste se passe à Pompaples. «La première étape consiste à cultiver le mycélium dans un petit bioréacteur contenant de l’eau, de l’extrait de malt et quelques protéines. Je prépare un ou deux bocaux par espèce et les conserve au frigo: c’est la saison d’hiver du champignon. J’inocule ensuite ce liquide dans des sacs remplis de grains de seigle bio, stérilisés au préalable. Dans la chambre d’incubation, le mycélium va se croire en été et se répandre jusqu’au cœur des grains, qui se couvrent peu à peu de blanc», explique notre myciculteur. Chacune de ces étapes de croissance prend déjà trois semaines.

Une production expérimentale
Les grains parcheminés sont ensuite incorporés dans des sacs remplis cette fois d’un mélange stérile de sciure de feuillus, de son et d’eau. C’est là, dans la chambre de fructification réglée à une température d’automne, que les champignons gavés de lignine et de cellulose déploieront peu à peu leurs magnifiques chapeaux, villosités ou crinières. Il ne restera qu’à les cueillir délicatement et à les écouler rapidement.

Le producteur propose onze espèces européennes ou asiatiques sur les marchés de Lausanne et de Morges (VD), fournit quelques restaurants, transforme ses surplus en préparations originales ou les conditionne sous forme déshydratée, et vend aussi des kits de culture. En parallèle, Juan Carlos Floyd Sarria poursuit ses expériences culturales avec des espèces médicinales comme le reishi, très utilisé en Chine.

«Pour l’instant, mon entreprise est en phase pilote, je fais plein d’essais et apprends de mes erreurs. La constance est assez difficile, car les champignons peuvent être capricieux! Ma production atteint seulement 250 kg par mois et il faut la vendre rapidement puisque ces espèces ne se conservent pas longtemps. Cela n’a pas été facile au début; les gens sont curieux, mais se méfient des champignons qu’ils ne connaissent pas. J’ai dû faire des dizaines de marchés pour acquérir une clientèle», souligne-t-il.

Heureusement, la note d’agrume des pleurotes jaunes et la texture originale de l’hydne hérisson, qui se prépare en steak, ont fini par séduire. Au point qu’aujourd’hui, Juan Carlos Floyd Sarria songe à chercher d’autres locaux ainsi que des partenaires tout aussi passionnés afin de lancer une production plus importante. Avec un regret déjà: celui d’avoir à quitter sa vieille scierie et les forêts moussues qui l’environnent.

Texte(s): Aino Adriaens
Photo(s): Antoine Lavorel

Une excellente source de protéines

La culture des champignons exotiques et européens peu connus (dits «nobles») occupe un marché de niche en Suisse, notamment parce que ces espèces fragiles ne se conservent pas longtemps. Elle est souvent le fait de passionnés qui travaillent à petite échelle et écoulent leur production sur les marchés. Les végans et les végétariens en sont particulièrement friands, car les champignons sont une bonne source de protéines, ont des effets bénéfiques sur l’organisme et s’apprêtent de mille façons. Des spécimens sauvages tels que morilles, pleurotes et cèpes sont également vendus de façon saisonnière sur les marchés, mais ils sont la plupart du temps importés depuis l’est de l’Europe.

Le producteur: Juan Carlos Floyd Sarria

Formé en zoologie et biochimie à l’Université de Lausanne, Juan Carlos Floyd Sarria a commencé par étudier les lynx du Jura, les migrations de batraciens et l’écologie des insectes. Il passe ensuite à la biologie moléculaire dans le cadre des neurosciences, puis se spécialise en microscopie et traitement d’images scientifiques. Avec la crise de la quarantaine, il voyage quelques années en Chine avant d’explorer divers métiers. Comme les champignons le fascinent depuis longtemps, il décide de s’y intéresser: en janvier 2021, il clone un premier spécimen dans son garage. L’entreprise Floyd Fungi naîtra une année plus tard.