Point fort
De plus en plus de Suisses partent découvrir le monde à vélo

Ce week-end, l’événement Festivélo a réuni à Lausanne les amateurs de voyage à bicyclette. L’occasion de voir comment cette pratique a évolué et pourquoi elle séduit tout particulièrement les Helvètes.

De plus en plus de Suisses partent découvrir le monde à vélo

Ils ont entre 20 et 70 ans, viennent des quatre coins du pays et sont issus de tous les univers, mais ils ont un point en commun: toutes et tous sont des adeptes du voyage à vélo. Et on ne parle pas de la virée du dimanche, mais de l’expédition au long cours. Plus discrets que les adeptes de compétition, plus modestes que les chasseurs de records, les cyclotouristes suisses forment une grande famille qui, depuis quelques années, possède son festival (voir l’encadré ci-dessous).

 

Globe-trotters en selle

«Vous nous entendez? On a trouvé une connexion internet!» Morgane et Jean-David L’Hoste-Lehnherr sont en ce moment à 1600 kilomètres de la Suisse, dans la ville moldave d’Edinet. «Nous sommes partis de Lausanne à l’été 2020 pour la Géorgie, et sommes maintenant sur le chemin du retour.» Sur leurs vélos, quelques dizaines de kilos de bagages et beaucoup d’eau, afin de résister à la canicule du Caucase. Dans la remorque, leur fille Mirabelle, qui avait 4 mois au moment de leur départ, et du matériel de cirque pour présenter un spectacle en chemin. «Il y a près de dix ans, nous avions pédalé jusqu’à Katmandou, au Népal, et nous nous étions juré de reprendre la route quand nous aurions un enfant, confie Morgane. C’est une fantastique manière de passer tous ensemble ces premiers moments en famille.»

Des histoires comme celle que vit en ce moment la famille L’Hoste-Lehnherr, il y en a des centaines, autant que de voyageurs. Celle de la Neuchâteloise Joëlle Huguenin, qui traverse l’Afrique avec ses balles de jonglage dans ses sacoches. Celle de Paul Letainturier, documentant en direct dans des capsules vidéo son voyage jusqu’en Équateur à vélo et à la voile. Celle des Béchet, cette famille fribourgeoise qui traverse l’Asie, de Tbilissi à Katmandou, avec ses deux filles. Celle de Nicolas Richoz, qui vient de publier un ouvrage consacré à ses pérégrinations sportives dans les Alpes, ou encore le documentaire ramené par le Veveysan Fabien Favre de sa croisade en Europe contre le plastique jetable.

 

Pionnier inspirant

Il faut dire que le cyclotourisme a beau exister depuis plus d’un siècle, il ne prend pas la moindre ride. Et d’autant moins en Suisse, où les aventuriers qui préfèrent travailler du mollet que de payer un billet d’avion sont nombreux. Ils échappent aux statistiques, mais la plupart d’entre eux remarquent avoir croisé une proportion étonnante de leurs compatriotes aux quatre coins du monde: au fil de leurs récits, les Helvètes arrivent en tête des nationalités rencontrées en selle, suivis des Allemands, Belges et Hollandais.

Cette popularité n’étonne pas Claude Marthaler, connu pour avoir effectué un tour du monde en sept ans dans les années 1990: «Les Suisses ont toujours voyagé parce qu’ils ont les moyens financiers de le faire, analyse-t-il. Nous avons aussi de grands écrivains-voyageurs, dont les récits ont sans nul doute éveillé des vocations.» Parmi eux, Claude Marthaler lui-même, unanimement cité comme une inspiration chez les cyclistes helvétiques, qui sont nombreux à le contacter pour lui demander des conseils pratiques. Le bourlingueur constate d’ailleurs que si la pratique n’a pas changé, elle est bien mieux acceptée aujourd’hui: «On valorise de plus en plus le voyage dans notre société. Dans les années 1970, tu partais parce que tu étais un rebelle. La situation s’est inversée: désormais, c’est une ligne qui fait bonne impression sur un CV!»

 

Une nouvelle génération

Le pionnier du cyclotourisme ne s’y trompe pas: la discipline a évolué, et pas seulement parce que les vélos se perfectionnent. La caractéristique de la nouvelle génération de voyageurs empruntant ce mode de déplacement? Ils et elles ont souvent une autre justification que la seule envie de voir le monde. Réaliser un documentaire, sensibiliser le grand public à une problématique environnementale, lever des fonds pour une cause ou une association, il y en a pour tous les goûts. «C’est une manière de rentabiliser son voyage, financièrement ou symboliquement, estime Claude Marthaler. Cela ôte un peu de spontanéité et de liberté, mais cela n’enlève rien à la valeur du voyage. Peu importe où tu pars, tu réalises vite que le vélo est un outil magique qui te permet d’avoir une autre expérience du monde.»

Sur ce point, tous les témoignages se rejoignent: «On n’en revient pas tout à fait le même qu’avant de partir, sourit Paul Letainturier. En six mois, j’ai vécu le quotidien avec une intensité folle.» Leurs conseils pour qui sentirait l’appel du large? «Il ne faut pas trop réfléchir, confie Claude Marthaler. Mes conseils ne valent pas ce que tu apprendras sur la route!»

Texte(s): Clément Grandjean
Photo(s): DR

Le cyclotourisme monte sur scène

Quand on revient de mois ou d’années à pédaler sur les routes du monde, on a des milliers d’histoires à raconter. C’est pour les faire entendre qu’a vu le jour l’événement Festivélo, dont la quatrième édition s’est déroulée à Lausanne. Conférences, diaporamas, projections et expositions étaient complétés par un programme de workshops destinés à répondre aux questions pratiques du public, qui a également pu y voir de près une série de vélos de voyageurs.

Questions à Lucas Meylan, président de Pro Vélo Lausanne

Le succès du voyage à vélo ne faiblit pas. Comment expliquer cet engouement constant?

C’est difficile à dire, mais je pense que sa simplicité y est pour beaucoup: un vélo est un objet qui se prête à de multiples usages, des déplacements quotidiens aux voyages plus lointains, en passant par l’escapade d’un week-end. Il permet aussi de progresser à une vitesse agréable, en percevant tout ce qui nous entoure, est un vecteur de rencontres et de discussions…

Les Suisses en sont particulièrement friands, d’ailleurs…

Oui, peut-être parce que notre pays est situé au carrefour de plusieurs routes cyclistes, comme la ViaRhôna, l’axe Atlantique-mer Noire ou la véloroute du Rhin. Beaucoup de voyageurs passent par la Suisse, qui est aussi plutôt tolérante en matière de bivouac.

Connue pour son engagement en faveur d’aménagements cyclables en ville, Pro Vélo s’engage-t-elle aussi pour les voyages au long cours?

Les aménagements et les formations sont nos actions les plus visibles, mais nous sommes attachés à la culture du vélo. Nous organisons des soirées «cyclovoyageurs» pour donner l’occasion aux adeptes ou aux curieux d’échanger expériences et astuces pratiques.