Décryptage
Des clôtures virtuelles vont-elles remplacer les piquets et les fils?

Une nouvelle technologie, testée par l’Agroscope, permet aux vaches de paître dans un secteur déterminé par leur éleveur, sans qu’il ait besoin de le piqueter. Il les gère grâce à un smartphone et des colliers spécifiques.

Des clôtures virtuelles vont-elles remplacer les piquets et les fils?

Imaginez des prés sans barrière où des vaches pâturent en toute liberté. En Europe, ce nouveau mode de détention des troupeaux se développe peu à peu. La liberté des bovins est en réalité toute relative: ces animaux sont gardés par des clôtures virtuelles, et donc totalement invisibles. Ce système novateur a intrigué les chercheurs de l’Agroscope à Posieux (FR), qui ont décidé de le mettre à l’épreuve sur le terrain pendant trois ans.

Le concept est simple: l’éleveur détermine du bout des doigts sur l’écran de son smartphone la parcelle sur laquelle il veut placer ses bêtes. Il les équipe d’un collier GPS, ressemblant à une cloche, qui leur permet de se balader librement dans le périmètre établi et qui les avertit lorsqu’elles flirtent avec les limites de l’enclos. «Ce dispositif, pouvant aussi être utilisé pour les moutons et les chèvres, a beaucoup de potentiel, se réjouit Massimiliano Probo, chef du groupe de recherche des systèmes pastoraux pour l’Agroscope. Ne pas avoir à poser des piquets est à la fois un gain de temps et de main-d’œuvre pour les agriculteurs.»

Le contrôle des vaches est assuré par ce collier high-tech d’un kilo et demi, alimenté par de petits panneaux solaires lui garantissant des mois d’autonomie. Quand l’animal s’approche trop près des limites fixées par le paysan, le système émet un son aigu, indiquant au bovin qu’il doit changer de direction. S’il poursuit son chemin, il reçoit alors une décharge électrique d’une intensité toutefois plus faible que celle d’une clôture standard (ndlr: 0,2 joule par impulsion contre 4,5 pour un fil traditionnel). «L’alerte est donnée trois fois à la vache puis le collier se désactive, précise Massimiliano Probo. Cela permet à la bête de fuir en cas de danger ou d’éviter qu’elle ne panique. L’éleveur reçoit alors une alerte sur son téléphone, avec les coordonnées GPS pour la retrouver. Il peut ainsi la récupérer rapidement.»

Apprentissage rapide
Pendant des mois, les chercheurs ont testé ce dispositif en plaine et sur un alpage, avec des cheptels de vingt à trente sujets d’âges variés. «On a constaté qu’il faut en moyenne trois jours à une vache pour comprendre comment le système fonctionne, poursuit Massimiliano Probo. Le comportement du troupeau est un peu différent au début, les bêtes, surprises par les petites décharges reçues, meuglant plus. Ensuite, les clôtures virtuelles ne les stressent pas davantage que les traditionnels fils.»

Le fait que l’impulsion électrique soit transmise par une chaîne entourant leur cou et non sur leur museau, plus sensible, favoriserait même leur bien-être. Cependant, l’Ordonnance sur la protection des animaux interdit pour l’heure l’usage de ce type de collier (lire l’encadré ci-dessous). Les scientifiques ont donc testé cette technologie sur les bovins de l’Agroscope de Posieux. «On l’a utilisée pour séparer des pâtures extensives qui étaient clôturées physiquement sur leur pourtour afin d’assurer la sécurité de nos vaches, précise Massimiliano Probo. Les résultats, que l’on doit encore étudier de près, sont satisfaisants, même si le prix de ce système est encore trop élevé pour rivaliser avec des clôtures classiques (ndlr: lire l’encadré ci-contre).»

Limite du réseau
Toutes les pâtures ne pourront pas recourir à un tel dispositif, la couverture des réseaux de télécommunication, inégale sur l’ensemble du territoire, étant primordiale à son bon fonctionnement. Les colliers transmettent les informations en temps réel à une application installée sur un smartphone. «Si le terrain est couvert par la 5G, il n’y a pas de problème, continue le chercheur. On ne peut toutefois pas employer ces clôtures virtuelles partout, il faut prendre la topologie des lieux en considération. Avec une précision de positionnement de 4 mètres, selon l’emplacement du satellite qui envoie les données, le système s’avère efficace dans des prés extensifs. Il peut montrer ses limites s’il faut faire transiter des animaux par des passages étroits.»

L’absence d’enclos a déjà fait des heureux: l’été dernier, des cerfs en ont profité pour paître sereinement à côté de génisses dans les Préalpes. La cohabitation avec les randonneurs pourrait, en revanche, s’avérer plus compliquée, si ce mode de détention venait à se généraliser. «Des panneaux devront être fixés pour leur rappeler le comportement à adopter en présence des troupeaux», reconnaît le chercheur, qui préconise d’utiliser ce système pour délimiter les parcelles, en conservant toutefois un enclos physique plus large, pour contenir le bétail en cas de dysfonctionnement technique.

+ d’infos www.agroscope.admin.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Johann Marmy/Patricia Fuchs

Colliers coûteux

L’Agroscope a choisi de tester le système norvégien Nofence. La firme, présente en Angleterre, en Espagne et aux États-Unis, estime que son produit améliore le bien-être des animaux et restaure la fertilité des sols pâturés. Trois autres technologies similaires existent pour ce marché novateur. Une concurrence qui pourrait faire baisser les prix. «Le coût d’un dispositif est de 360fr., auxquels il faut ajouter l’abonnement pour l’application. Le total se monte à près de 400fr. par bête. C’est trop pour qu’il devienne populaire», estime Massimiliano Probo, chef du groupe de recherche des systèmes pastoraux pour l’Agroscope.

+ d’infos www.nofence.no

Des tests qui pourraient changer la loi

Il est interdit de recourir à des dispositifs à impulsion électrique sur toutes les bêtes depuis exactement dix ans, conformément à l’article 16 de l’Ordonnance sur la protection des animaux. «Avant 2014, ce texte ne s’appliquait qu’aux chiens. Il a ensuite été élargi parce que ces clôtures étaient de plus en plus utilisées pour d’autres espèces, comme les chats, et leur vente se développait sur internet», rappelle Sarah Camenisch, porte-parole à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. L’OSAV se montre toutefois ouvert à la discussion et suit les recherches de l’Agroscope. Il recevra les scientifiques ayant mené cette étude ces prochains mois. «Des expériences supplémentaires ont été menées sur la base du présent rapport. Elles analysent, entre autres et de manière approfondie, les effets des colliers électriques sur les vaches. Les résultats sont pertinents pour l’évaluation des conséquences des clôtures virtuelles sur le bien-être des animaux, estime Sarah Camenisch. Une fois l’ensemble de l’étude terminée, l’OSAV examinera les faits scientifiques et si une adaptation de l’Ordonnance sur la protection des animaux est indiquée.»