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Des cochons désherbent le vignoble romand

Des porcs de la race néo-zélandaise kunekune sont actuellement testés chez quatre producteurs. Grâce à leur morphologie particulière, ces herbivores attachants mangent les racines des plantes indésirables, mais pas le raisin.

Des cochons désherbent le vignoble romand

Gras et rond. La signification du mot kunekune en maori décrit parfaitement les silhouettes potelées se baladant ce matin sur le vignoble d’Ollon (VD). Il y a quelques mois, le domaine de l’Abbaye de Salaz a adopté trois cochons de cette race domestique originaire de Nouvelle-Zélande. «Au début, ils était deux fois moins gros et on pouvait les porter, mais ils ont rapidement pris du poids. Ils sont très attachants et débarquent tout de suite quand on les appelle, comme des animaux de compagnie», raconte Janine Huber en câlinant ses protégés nommés Colette, Hone – guerrier en maori –, et 17. «Celle-là, on ne lui a pas encore trouvé de nom», sourit la productrice, qui cultive maïs, blé et une dizaine de cépages sur quatre hectares, avec son frère et son cousin.

C’est à la suite d’une séance avec l’Institut de recherche de l’agriculture biologique FiBL que la Vaudoise a sauté le pas. Car, au-delà de leur caractère amical, ces mammifères herbivores jouent un rôle précieux d’écodésherbeur. «Ils pourraient avoir la capacité de contrôler l’enherbement des vignes toute l’année, là où l’entretien de la couverture végétale sans herbicide est très contraignant, notamment dans les parcelles difficilement mécanisables en pente ou en terrasse», explique David Marchand, en charge de ce projet pilote inédit au sein du FiBL, qui a permis l’achat des cochons pour quatre exploitations romandes. Janine Huber confirme: «Passer la débroussailleuse plusieurs fois dans la saison est très pénible, notamment à cause des vibrations. Sans compter que la combinaison tient chaud en été. Je souhaitais trouver une alternative.»

Gare à l’intoxication

Aujourd’hui, les deux femelles tachetées et le mâle brun ont pris leurs quartiers entre 140 rangs de mondeuse et de merlot. «Quand je les ai observé pour la première fois, j’ai été surprise en bien. On aurait dit qu’ils avaient suivi un cours de désherbage!» Pour cause, les kunekune tondent l’herbe tout en déterrant les racines, ce qui permet de diminuer la concurrence avec la vigne. Grâce à leur groin rentré, ils ne retournent pas la terre comme certaines races qui cherchent les vers, mais grattent sous les rangs, permettant d’aérer les sols tout en le fertilisant grâce à leurs déjections. Enfin, ces animaux ne mangent pas les raisins à la belle saison, en raison de leur nuque raide et de leur petite taille. «C’est génial. Par contre, ils n’arrivent pas toujours à suivre en été car l’herbe pousse vite, surtout en cette année humide. En ce moment, ils sont donc plus rigolos qu’utiles», tempère la vigneronne, en gratouillant le ventre de Colette, qui couine de plaisir.

En outre, ces porcs poilus nécessitent peu d’infrastructure, si ce n’est une clôture électrifiée, une cabane pour passer la nuit, ainsi qu’un point d’eau. Si aucun prédateur comme le lynx ne les a attaqués, une mésaventure a tout de même eu lieu le mois dernier. «Une femelle s’est probablement intoxiquée avec une plante nommée le navet du diable. J’ai cru qu’elle allait y passer. Une lourde intervention vétérinaire a été nécessaire. Il est important de les surveiller.»

Mieux que les moutons

Justement, à Mont-sur-Rolle (VD), le domaine de La Grande Vigne est également suivi de près dans le cadre du projet, qui durera trois ans. Mais avant d’adopter ses deux cochons Peppa et Georges, Eric Meylan utilisait des moutons pour désherber ses parchets. «J’ai dû abandonner car ils mangeaient les engrais verts que je semais, notamment les légumineuses, ainsi que les grappes. Ce n’est pas le cas des kunekune», raconte le vigneron bio. De plus, le mouton est très sensible à certains traitements, comme le cuivre. Il est donc difficile de le mettre sur les parcelles en été, complète le spécialiste David Marchand. «Au contraire, les cochons le supportent bien. Mais il est quand même recommandé de les déplacer au moment de l’application.» Pour le producteur, cela demande beaucoup d’organisation. «Je n’ai pas le temps de les changer de parcelle tous les trois jours, donc en ce moment, je les ai mis dans un pâturage. C’est dommage.»

Tous s’accordent à le dire: pour remplacer totalement le travail humain, quelques bêtes ne suffisent pas. «Il en faudrait au moins une toutes les deux ou trois rangées durant la belle saison, estime Janine Huber. C’est énorme!» Eric Meylan, lui, envisage de les utiliser uniquement dans des cépages résistants, qui ne nécessitent pas de traitement. D’ici un ou deux ans, le Vaudois s’en procurera davantage. Car le kunekune, assure-t-il, est aussi un atout marketing de choix, notamment lors d’évènements ou de dégustations sur place. «Ça donne une image sympa du domaine, les gens adorent et les médias parlent de nous.» Au point, un jour, d’en proposer de la viande? «Apparemment, elle est assez bonne. Mais bon, on s’attache…»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Cédric Raccio

Quasi-éteints au XXe siècle 

Si le kunekune est originaire de Nouvelle-Zélande, ses ancêtres viennent probablement d’Asie et auraient débarqué sur l’île au début du XIXe siècle par l’intermédiaire de baleiniers et de marchands. Pendant des décennies, ce porc domestique a été presque exclusivement élevé dans les communautés maories, pour leur viande et comme animal de compagnie. À tel point que, dans les années 1970, on estime qu’il ne restait plus que cinquante individus de race pure dans le pays. Des élevages de conservation ont alors été créées sur plusieurs continents. Depuis, ces animaux poilus et trapus se sont multipliés. En France, les vignerons les utilisent de plus en plus pour désherber leur vignoble, comme en Champagne. Côté suisse, le projet du FiBL est inédit. Plusieurs élevages existent toutefois dans le pays depuis plusieurs années, comme dans le canton de Saint-Gall. Jusqu’à présent, ces mammifères étaient uniquement vendus à des privés, puisque, légalement, ils sont considérés comme des animaux domestiques. Leur prix d’achat s’élève à 400 francs par tête.

Autres leviers

Si, en Suisse, l’écopâturage des vignobles est effectué par des moutons, des cochons et, dans une moindre mesure, des oies, le FiBL mène diverses recherches pour gérer l’enherbement sans herbicide, tout en s’adaptant au réchauffement climatique. Parmi les pistes prometteuses, des porte-greffes méditerranéens, moins sensibles à la sécheresse, permettent une augmentation de la couverture végétale, tout en préservant la quantité et la qualité de récolte. Différents couverts permanents ou temporaires à haute biodiversité peuvent aussi être utilisés, comme des semis composés en partie de brome des toits, limitant le travail de fauche et le développement de plantes indésirables. «Ces développements actuels sont cruciaux pour le secteur, afin de préserver le patrimoine viticole en terrasse. Dans ce contexte, l’utilisation du kunekune n’est pas une révolution, mais peut aider», estime David Marchand, conseiller et chercheur en viticulture biologique au FiBL.