Reportage
Des Suisses œuvrent à la sauvegarde du grand ara vert au Costa Rica

En danger d’extinction, l’espèce compterait 5000 à 10000 individus en Amérique latine. Des organisations soutenues par des Helvètes passionnés se mobilisent pour empêcher sa disparition.

Des Suisses œuvrent à la sauvegarde du grand ara vert au Costa Rica

Ce 30 septembre, c’est l’effervescence sur le service de messagerie WhatsApp. On se présente, on se souhaite bonne chance et on s’envoie des photographies de la jungle. Les premières vidéos avec des silhouettes d’oiseaux en plein vol et des cris stridents dans les arbres emplissent peu à peu le fil de conversation. Plus de 80 biologistes professionnels et amateurs se préparent au grand recensement du week-end. Ils décompteront durant deux jours, depuis cinq pays différents d’Amérique latine, tous les grands aras verts se trouvant dans leur périmètre. C’est que ces volatiles de 79 cm de long au plumage verdoyant, aussi appelés «aras de Buffon», sont en danger d’extinction. Des approximations fixent leur nombre entre 5000 et 10000 individus environ, dans une zone s’étendant du Honduras à la Colombie. «L’espèce a vu son habitat diminuer drastiquement dans les années 1980 et 1990», explique le Vaudois Olivier Chassot (lire l’encadré ci-dessous). La capture illégale, dont font l’objet ces animaux de la famille des psittacidés, communément appelés perroquets, a également joué un rôle.

Lieu prisé des scientifiques
Ce qui représente, à ce jour, le plus large recensement international d’aras de Buffon revient à une organisation mise sur pied par des Suisses: Refugio Lapa Verde (ou Refuge de l’ara de Buffon, en français). Cette réserve naturelle, située à Puerto Viejo de Sarapiquí, au nord-est du Costa Rica, a été créée par le Saint-Gallois Steffen Tolle, à l’origine de la fondation Ecovida luttant pour la préservation de la biodiversité. «Grâce à plusieurs legs de clients de la banque dans laquelle je travaillais, nous avons pu acheter 1825 hectares de terrain, qui servaient autrefois à l’agriculture et l’exploitation forestière.»

Le fonctionnement de la réserve est financé par Ecovida et, à hauteur d’environ 10%, par l’État costaricien. Son budget annuel avoisine les 150000 dollars. Le lieu accueille des projets scientifiques, d’éducation à l’environnement et de collaboration avec les populations avoisinantes. Le personnel est composé de douze employés, dont cinq biologistes de métier, auxquels s’ajoutent de nombreux bénévoles.

Aujourd’hui, le domaine du Refugio Lapa Verde est constitué d’une forêt tropicale humide densément boisée. De nombreux arbres plantés lors de l’ouverture en 2006 et appréciés des aras donnent déjà des fruits. «Quand les jeunes commencent à se disperser, à partir de juin ou juillet, ils ont besoin de lieux pour se reposer et manger», affirme David Romero Serrano, biologiste et coordinateur de projets à la réserve.

Un arbre protégé
Parmi les espèces végétales indispensables au bien-être des perroquets, on trouve l’amandier des montagnes. Près de neuf aras de Buffon sur dix nidifient dans les interstices de cet arbre, qui leur offre aussi leur nourriture préférée. «Il faut cependant attendre environ cent ans, avant qu’ils ne puissent y faire leur nid», relève David Romero Serrano. Dans sa pépinière, le Refugio Lapa Verde cultive nombre d’espèces favorables à l’oiseau. «Au départ utilisées pour la reforestation du site, nous les donnons désormais», raconte Randall Montoya Solano, autre biologiste de la réserve.

L’amandier des montagnes, autrefois présent en suffisance, a fait l’objet de coupes intensives en raison de sa résistance et de la belle couleur rosée de son bois. «Un tronc pouvait valoir jusqu’à 10000 francs», précise Olivier Chassot. Aujourd’hui, il est protégé par une loi costaricienne de 1996 et sa coupe peut se solder par un séjour en prison, tout comme la capture du perroquet. «Le but est de préserver tous les amandiers existants, car les aras de Buffon, une fois leur couple formé, reviennent toujours au même endroit pour y pondre leurs œufs, tous les deux à trois ans.»

Prendre de la hauteur
Sur la colline au centre de la réserve, un chemin en terre battue mène à une tour haute de 12 mètres. «Ce lieu est extraordinaire pour observer les oiseaux, note fièrement Randall Montoya Solano. Nous y faisons deux fois par année le décompte des rapaces qui migrent du nord vers le sud. Et ce week-end, nous nous occupons aussi des lapas verdes.»

En contrebas se déploie une jungle désormais protégée et reboisée, devant son existence à l’effort humain et financier des Costariciens, mais aussi de Suisses vivant à 10000 km de là. Une forêt qui abrite désormais plus de 350 espèces d’oiseaux, 40 d’amphibiens, 45 de chauves-souris, 55 de reptiles et 40 de mammifères moyens. «Nous y avons même aperçu un jaguar sur une caméra infrarouge, un animal qui avait quasiment disparu de la région, se souvient Steffen Tolle. C’est le signe que nos efforts payent!»

Texte(s): Blandine Guignier
Photo(s): Blandine Guignier/José Antonio Díaz/Macaw Recovery Network

Jusqu’à l’océan Atlantique

Le long de la côte Caraïbe, une réserve soutenue par l’ambassade de Suisse au Costa Rica a récemment aperçu pour la première fois des spécimens d’aras de Buffon sur son territoire. «C’est une preuve du succès du travail de restauration et de conservation du site, explique l’un des employés, le biologiste Juan Carlos Zúñiga. Ces oiseaux ont besoin de forêts relativement matures afin de satisfaire leurs besoins fondamentaux.» Il y a trente-cinq ans, il n’y avait pas d’amandiers des montagnes dans cette zone dévolue à l’agriculture. Aujourd’hui, ils permettent aux volatiles de se nourrir et peut-être bientôt d’y faire leur nid.

Questions à...

Olivier Chassot, spécialiste de l’ara de Buffon

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à cet oiseau?
Venu au Costa Rica pour apprendre l’espagnol, j’y ai rencontré mon épouse. J’ai commencé à travailler à ses côtés, en 1998, sur un projet de conservation de l’ara de Buffon. Les résultats préliminaires ont montré un déclin de 90% de l’aire de répartition historique de l’oiseau. Il nous est vite apparu qu’il fallait tout faire pour protéger cette espèce charismatique.

Qu’avez-vous constaté au cours de vos recherches?
Après sept ans d’études, nous avons réalisé que l’ara était très territorial: chaque couple en reproduction a besoin d’un périmètre de 550 hectares environ, sans juxtaposition. Pour atteindre une population viable de 50 couples, nous avons estimé qu’il fallait au moins 25000 hectares de terres protégés dans le nord du Costa Rica. Un corridor biologique San Juan-La Selva a été conçu en 2001. Et en 2005, l’État a décrété la création du refuge national de vie sauvage Maquenque d’une taille de plus de 50’000 hectares!

Le Costa Rica est-il le dernier bastion de l’espèce?
C’est l’un des derniers endroits où l’espèce peut se reproduire et être heureuse. Elle est désormais hors de danger ici. De 201 aras de Buffon en 1994 au nord du pays, nous sommes passés à 302 en 2010. Et les prochains recensements, comme celui qui a eu lieu fin septembre, devraient certainement montrer encore une augmentation.