Reportage
Des vignerons chablaisiens trouvent le moyen de voir l’avenir en vert

Avec Yvorne Grandeur Nature, la commune vaudoise est la première à instaurer un cahier des charges environnemental et durable exigeant, valable pour l’ensemble de son appellation.

Des vignerons chablaisiens trouvent le moyen de voir l’avenir en vert

«Yvorne passe au bio», titrait la presse quotidienne au début de l’été à la suite de la conférence de presse de la toute jeune association Yvorne Grandeur Nature (YGN), au cours de laquelle cette dernière annonçait la signature d’un cahier des charges de développement durable par «l’immense majorité» des producteurs de l’appellation – soixante à ce jour, représentant 86% de ses 150 hectares.

Un raccourci un poil désinvolte: si l’AOC Yvorne améliore bien de façon conséquente ses standards culturaux en matière de respect de l’environnement et de la biodiversité, il n’est pas question pour l’heure de reconversion à la culture biologique telle que la définit la loi. Même si celle-ci n’est pas totalement exclue, comme l’admet Jean-Daniel Suardet, vice-président de l’association et responsable technique des vignes du groupe Schenk, propriétaire par le biais de sa société Obrist d’un des fleurons de l’appellation, le Domaine Maison Blanche. «L’idée est de parvenir à une certification, qui constituerait la meilleure caution commerciale de la démarche. Mais le principe de globalité de l’Ordonnance sur le bio complique les choses: Obrist, par exemple, aurait dû passer toutes ses parcelles au bio, y compris celles situées hors d’Yvorne. Et la diminution de productivité inévitable aurait fait hésiter beaucoup de vignerons. Or, l’évolution de toute l’appellation est au centre du concept.» Un label créé pour l’occasion, toutefois, pourrait couronner la démarche.

Enherbement et gestion des eaux
Imaginée il y a quatre ans par Philippe Gex, du Domaine de la Pierre latine, et son propriétaire André Hofmann, YGN veut transformer les 500 parcelles en modèle de développement viticole durable, et en valoriser commercialement la formule. Après avoir fait procéder à un état des lieux de la biodiversité dans le vignoble (voir l’encadré), les initiants du projet se sont tournés vers la Haute école Changins pour élaborer un cahier des charges adapté à la variété du vignoble chablaisien – et basé sur les règlements de Bio Suisse, Demeter, IP-Suisse et Vinatura.

Concrètement, les signataires s’engagent à respecter une charte comprenant 22 points pour chacun desquels 3 types de mesures progressives sont proposées: base, intermédiaires, avancées. L’accent est mis sur l’enherbement, la gestion des sols, la fertilisation, la gestion hydrique (irrigation et protection des eaux), la protection de la vigne, la biodiversité, l’encépagement résistant et la collaboration avec la HES Changins pour un suivi scientifique sur toute la durée du projet – soit cinq ans.

Dans un vignoble où le label bio faisait figure d’exception, cet engagement représente un véritable défi. «L’enherbement devient ainsi le principe de base, avec comme objectif de créer de l’humus, de lutter contre l’érosion et de faciliter le travail des sols, mais il crée de la concurrence en matière d’eau et d’azote, à laquelle le chasselas est très sensible», note ainsi Jean-Daniel Suardet.

Passer à des cépages résistants
Autre challenge, l’interdiction de produits de synthèse dès la floraison, qui diminue d’autant l’empreinte chimique dans l’environnement et la bouteille. «C’est l’une des pierres d’achoppement du projet, admet le Vuargniéran. L’année 2022 sera l’année test: on aura un premier bilan dès août, avec les plans de traitement de chacun. En espérant que ce sera convaincant pour ceux qui hésitent encore!» Une analyse ultérieure des vins, en laboratoire, pourrait aussi appuyer l’argumentaire.

Le remplacement d’une partie du
vignoble par des cépages résistants, prévu dans le cahier des charges à hauteur de 5% de la surface totale (soit 7 hectares) devrait favoriser cette évolution. Divico et divona ont déjà fait leur apparition à Yvorne, certes de façon relativement confidentielle dans une commune où les vignerons gagnent leur vie à 85% avec le chasselas, comme le rappelle Jean-Daniel Suardet. «Certains d’entre nous sont prêts à faire des concessions sur la typicité des cépages, mais pas sur la qualité, remarque-t-il. Le développement de nouvelles variétés de chasselas résistantes, obtenues par les techniques génétiques, serait évidemment un grand atout pour nous.»

Collectivité bénéfique
La globalité du projet pourrait là aussi faciliter les choses. Elle est en tout cas un avantage potentiel non négligeable pour ce qui est de la gestion des eaux, souligne le vigneron: «Notre cahier des charges comporte une station de lavage commune, intégrée à la future STEP d’Yvorne, dont le financement pourrait être assuré par un automate à jetons.»

Même chose pour la biodiversité: «Être ensemble nous offre une grande flexibilité pour ramener de la faune et de la flore dans les parchets. On peut positionner les îlots qui les favorisent (murs, tas de bois, etc.) de façon à ne pas impacter à l’excès les producteurs tout en obtenant un maximum d’efficience, explique Jean-Daniel Suardet. Et notre biologiste-conseil validera chaque mesure prise en fonction de ce principe.»

Soutenu par la Fondation Mava, le projet Yvorne Grandeur Nature comprend un certain nombre de mesures donnant droit à des paiements directs; son financement est établi à 1,3 million de francs sur cinq ans. «On s’inscrit dans la durée, pour instaurer une véritable dynamique et pouvoir mesurer concrètement les avancées en matière de biodiversité», conclut Jean-Daniel Suardet.

Texte(s): Blaise Guignard
Photo(s): Blaise Guignard

Un projet soutenu par la recherche

La caution scientifique est au cœur du projet Yvorne Grandeur Nature. Sa base en est l’inventaire de la biodiversité confié au bureau spécialisé BEB, à Aigle. «Nous avons procédé à un état des lieux en 2019, pour identifier les valeurs présentes et les zones de déficit, avec le concours de spécialistes en ornithologie, en reptiles, en botanique et en entomologie, explique le biologiste Raymond Delarze. Cela nous a permis de constater une diminution générale de la biodiversité à mesure qu’on va vers le centre du vignoble, mais nous a aussi réservé quelques bonnes surprises, avec des espèces spécifiques qu’on ne s’attendait pas à voir.» La collaboration étroite avec la HES Changins constitue l’autre pôle essentiel du volet scientifique d’YGN. Serena Fantasia, la chercheuse de l’institut qui a rédigé son cahier des charges, est désormais affectée à 100% à son suivi sur le terrain; deux travaux de bachelor, pour l’heure, sont en outre en cours sur le site. «Nos étudiants sont très demandeurs en matière de biodiversité, de développement durable, de réduction de produits phytosanitaires et autres, remarque Conrad Briguet, directeur de la HES. Cette expérience in situ permet d’acquérir l’expérience nécessaire pour leur apporter les réponses souhaitées.»

+ d’infos changins.ch/yvorne-grandeur-nature