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Grâce à la lavande, la famille Chèvre voit la vie en bleu

À Mettembert (JU), les vaches de Simon et Aurélie Chèvre côtoient un champ de lavande. Arrivées à floraison, les fleurs sont récoltées puis distillées en Valais pour délivrer leur précieuse huile essentielle.

Grâce à la lavande, la famille Chèvre voit la vie en bleu

C’est une culture qui ne passe pas inaperçue. Sa couleur attire le regard des automobilistes à l’entrée de Mettembert, non loin de Delémont (JU). Mais ce sont surtout les senteurs qui s’en échappent qui la rendent particulièrement attirante. En plein mois de juillet, la lavande d’Aurélie Chèvre embaume les environs, ravissant des centaines d’abeilles et de papillons venus virevolter dans les massifs.

Dans quelques jours, la lavandicultrice récoltera ses précieuses fleurs mauves, protégées par une clôture pour éviter les incursions de sangliers, afin d’en extraire leur huile essentielle. Pour l’heure, elle désherbe les plants, entre deux averses, observant les sommités florales qui s’ouvrent peu à peu, avec dix jours de retard. «Cette année, on passe des heures à enlever les mauvaises herbes à la main, constate-t-elle. Comme cette culture est bio, on n’utilise aucun intrant. Heureusement, la lavande, qui n’apprécie pas d’avoir les racines dans l’eau, semble tenir le coup, même si une partie des feuilles est piquée. On verra après la cueillette si on a besoin de la soigner.» Fleuriste de formation, Aurélie Chèvre s’est lancée dans cette culture particulière en 2020, sur une petite parcelle du domaine communautaire de la Ferme des Trois C, géré par son mari Simon et le cousin de celui-ci, Gaël Monnerat. «J’ai eu un déclic en regardant une émission sur la vanille de Magadascar, pollinisée à la main, se souvient la trentenaire. Je trouvais ça fou, beau aussi. Je me suis dit que moi aussi, je deviendrais bien cultivatrice de fleurs.»

Quiproquo horticole

Ses recherches la mènent jusqu’à la lavande, une plante qu’elle aime travailler en bouquet, qui a aussi des propriétés antiseptiques, désinfectantes, calmantes et antispasmodiques reconnues depuis l’Antiquité. Avec son mari, elle se rend en Ardèche pour visiter une lavanderaie, qu’ils traversent à bord d’un petit train. «C’était immense! On s’est dit que c’était réalisable à notre échelle. On a commandé 4900plantons à un horticulteur jurassien en 2020 et on les a placés sur un demi-hectare à 600 m d’altitude, exposé plein sud, en 2021, détaille-t-elle. Avant, on y fauchait l’herbe une fois et ensuite tout était roussi. C’est un terrain ultradrainant, idéal pour des plantes méditerranéennes comme la lavande.»

Leurs débuts n’ont toutefois pas été tout roses ni même mauves. Lorsque les premières fleurs éclosent, Aurélie Chèvre se rend compte qu’il ne s’agit pas de vraie lavande (Lavanda officinalis) comme prévu, mais de lavandin (Lavandula hybrida), une plante très présente dans le sud de la France mais qui a moins la cote. Impossible de revenir en arrière comme la mise en place de cette culture à la longévité d’une dizaine d’années était déjà faite. «Le lavandin a  finalement beaucoup de propriétés similaires à la lavande et surtout, nous sommes les seuls à en cultiver en Suisse, ce qui nous démarque», poursuit-elle.

L’essence de la plante

Au mois de juillet, lorsque la floraison touche à sa fin, Aurélie prélève les sommités florales à l’aide d’une petite récolteuse spécifique. Elle achemine ensuite les belles fleurs violettes à Icogne(VS), dans la distillerie L’Essencier de la famille Mayor. «L’an dernier, on a pu extraire huit litres d’huile essentielle de lavandin de 500 kg de fleurs, c’était merveilleux, ajoute Aurélie Chèvre. J’ai presque tout vendu, il faut dire que l’on a bénéficié d’une publicité extraordinaire.»

L’audace du couple a en effet été récompensée par l’agroPrix 2023. Les Chèvre ont en plus reçu celui des lecteurs, montrant l’engouement national pour leur culture de niche. Les visites du domaine s’enchaînent, comme les demandes pour façonner son propre bouquet de lavande ou pour venir déguster une fondue bleue entre les lignes mauves. Autant d’activités qu’Aurélie développe sur son lopin de terre photogénique (lire l’encadré ci-dessous). Elle s’en réjouit, même si la floraison de sa lavanderaie coïncide avec les moissons ou encore les foins, rythmant l’été de sa famille.

«Cette production répond aux défis que nous lance le réchauffement climatique. Autant travailler avec la nature que contre elle, conclut l’agricultrice, en coupant avec sa serpe de longues tiges qui serviront à l’atelier qu’elle organise le lendemain. Je ne pense pas qu’une telle culture aurait eu sa place dans le Jura il y a encore vingt ans. Petite, j’ai connu des hivers froids et des étés mouillés. Aujourd’hui, on souffre clairement de manque d’eau, une ressource dont ces plantes n’ont pas besoin. Autant en tirer parti!» Jamais à court d’idées, elle envisage déjà d’agrandir l’espace occupé par le lavandin pour y planter, cette fois, de la lavande vraie.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Nicolas de Nève

Une diversification haute en couleur

Aurélie Chèvre, qui s’est aussi formée en herboristerie, a aménagé son atelier au rez-de-chaussée de la maison familiale pour mettre son lavandin en valeur. Elle l’utilise pour aromatiser une confiture de lait ou pour confectionner des sels de bain, sirops et hydrolats. Elle organise également des ateliers afin de faire connaître l’huile essentielle de lavandin et d’enseigner comment concocter des remèdes simples, tandis que d’autres séances sont consacrées à la confection florale. Mais l’activité phare de l’été reste la dégustation d’une fondue aromatisée à la belle fleur en plein milieu de ses bosquets, lorsqu’ils sont en floraison à la mi-juillet. Pour faire profiter au maximum de la beauté des lieux, l’entreprise Fenaison Bleue propose aussi aux futurs mariés une décoration florale naturelle ou encore de se prendre en photo dans le cadre idyllique de la lavanderaie.

En chiffres

  • En 2023, 500 kg de fleurs ont donné 8 litres d’huile essentielle de lavandin.
  • Culture de 44 ares à 600 m d’altitude sur un terrain naturellement drainé.
  • 4900 plants mis en terre en 2021, espacés de 60 cm chacun.
  • La Ferme communautaire des Trois C, ce sont aussi 50 vaches laitières pour le gruyère, des porcs à l’engrais, la réalisation de travaux pour tiers et 80 hectares, d’herbages et de céréales notamment.