Reportage
Grâce à la technologie, des salades poussent sans terre

À Perly (GE), Jeremy Blondin s’est lancé dans la culture aéroponique, faisant pousser ses batavias et laitues pommées sans terre ni terreau. Une manière de réduire la consommation d’eau et les maladies.

Grâce à la technologie, des salades poussent sans terre

La feuille robuste, généreuse, croquante. Sous le soleil de mars chauffant les toits de la serre, ces batavias, feuilles de chêne et laitues pommées ressemblent à n’importe quelles salades. Elles ont toutefois une particularité: leurs racines n’ont jamais connu le contact de la terre. «Si celles-ci sont blanches, c’est bon signe, la plante est en bonne santé», relève Jeremy Blondin, inspectant cette longue barbe tombant sous une laitue façon ZZ Top.

Bouc au menton et tatouages, le maraîcher de 38 ans cultive son look rock tout en gardant les pieds bien sur terre lorsqu’il s’agit de superviser la culture des tomates, salades et pommes sur les 8hectares du Domaine des Mattines à Perly (GE). Le fatalisme face aux difficultés du monde paysan, très peu pour lui. Directeur de cette entreprise familiale, Jeremy Blondin porte au contraire un regard confiant vers l’avenir.

Avec cette conviction: le futur de l’agriculture passe par la technologie. Depuis 2020, il cultive sur 500m2 des salades par aéroponie. Une technique hors-sol par laquelle les plantes reçoivent l’eau et les nutriments nécessaires par vaporisation des racines. Avant cela, il s’est essayé à l’hydroponie, technique qui fonctionne par immersion. Pas concluant, à l’entendre. «Le système n’offrait pas assez de place aux racines. Mal oxygénées, les salades étaient trop petites.»

Arrosage ciblé
L’idée de changer de pratique lui vient en visitant une serre aéroponique en France, où il observe des résultats nettement meilleurs. Avec la société CleanGreens Solutions, il aménage une serre prototype. «Notre idée était de vérifier et valider la théorie du système», dit-il en ouvrant la porte de cette saladerie ultratechnologique, où poussent en permanence entre 5000 et 6000laitues, qu’il écoule par la vente directe et l’Union maraîchère de Genève.

Sur le sol de cette serre à toiture vitrée s’étirent des structures en métal au plan incliné, formant des vagues qui augmentent la surface de production de 20 à 30%. Ces modules sont surplombés de lampes LED au spectre variable. Sur chaque pan, percé de trous à intervalles réguliers, les plantes poussent dans une motte de laine de roche. «Cette motte n’est qu’un support, précise le maraîcher. Le cœur du dispositif se trouve en dessous.» En effet, sous le champ de plaques, l’environnement est obscur (pour éviter les algues) et humide. Deux robots munis de buses vont et viennent sous les racines, giclant une solution d’eau et de nutriments (azote, calcium, potassium…). «Seules les racines sont arrosées et toute l’eau est réutilisée», précise le maraîcher. L’efficience hydrique est l’un des grands avantages du système. «On utilise moins de 10 litres par kilo de salade produit, alors qu’il faut compter environ 200 litres par kilo en pleine terre. En extérieur, on profite bien sûr de la pluie, ce qui est hautement variable, d’autant plus avec l’évolution climatique et les épisodes de sécheresse que nous connaissons.»

Moins de maladies
Sous serre, en revanche, tous les paramètres sont maîtrisables. Et le système aéroponique permet d’aller encore plus loin. Pas de terre, pas de mauvaises herbes, donc pas de concurrence énergétique. L’absence de terreau empêche aussi les maladies liées aux parasites se reproduisant dans les sols. Depuis qu’il s’est lancé, Jeremy Blondin produit douze mois sur douze sans produits phytosanitaires. «C’est de la médecine chinoise, dit-il. Nous faisons tout pour que les plantes ne tombent pas malades. Nous nettoyons les supports après chaque série de culture, nous protégeons les salades des insectes et faisons tout pour éviter que les oiseaux, souvent porteurs de parasites, n’entrent dans les serres.»

Toutefois, Jeremy Blondin reconnaît qu’aujourd’hui, son système tient davantage du «potager de luxe» que d’une culture rentable. Question de taille et de configuration. Son installation n’est pas représentative de la manière la plus efficiente d’utiliser la technologie de CleanGreens Solutions. «Dans une perspective expérimentale, nous avons cherché un compromis pour l’installer dans l’une de nos serres existantes, sur deux lignes de culture au lieu d’une, avec chacune un robot d’irrigation.»

L’énergie, nerf de la culture
Si le Genevois observe que la productivité à l’hectare est importante, il lui faudrait augmenter la surface pour que cela soit rentable. Et il ne pourra le faire qu’à condition de trouver une source d’énergie renouvelable, le système ayant besoin d’électricité et de gaz pour le chauffage. Un point essentiel, car la politique énergétique de l’Union maraîchère suisse vise 80% de renouvelable d’ici à 2030 et 100% d’ici à 2040.

Pour autant, Jeremy Blondin ne regrette pas de s’être lancé, convaincu que l’aéroponie a de l’avenir face aux contraintes toujours plus grandes pour les maraîchers. Cette technologie permettrait, selon lui, de récolter dix à vingt fois plus qu’en plein champ. «En produisant localement des volumes importants, on réduit l’impact environnemental lié au transport et à l’importation.»

Texte(s): Pierre Köstinger
Photo(s): Nicolas Righetti/Lundi 13

Vers une complète autonomisation

Basée à Molondin (VD), la société CleanGreens Solutions a vu le jour en 2013. Elle emploie aujourd’hui 26 collaborateurs. En Suisse, sa technologie d’aéroponie mobile permet de produire des salades sur son domaine et sur celui de Jeremy Blondin à Perly (GE), mais aussi en France sur deux exploitations (bientôt trois) ainsi qu’au Koweït dans le désert. Avec ses partenaires, l’entreprise ne cesse de s’améliorer. «Nous travaillons à l’autonomisation complète du système, de la graine à la récolte», note son directeur Bruno Cheval. Côté prix, il n’articule pas de chiffre, mais indique qu’il faut tabler sur 2500 et 3000 m2 de culture pour des effets d’échelle intéressants. «Notre technologie s’adresse surtout à des producteurs qui ont une grande capacité de vente.»

Comment ça marche?

Greenova, l’installation aéroponique développée par CleanGreens Solutions, se démarque par sa flexibilité. Au lieu de buses immobiles sous les lignes de culture, le robot d’irrigation se déplace et gicle les racines suivant les paramètres (fréquence, quantité…) programmables par le biais d’une application. «Avec un système fixe, il faut entre 2500 et 3000 buses pour 1000 m2 de culture là où nous couvrons la même surface avec seulement 72 buses», explique Bruno Cheval, directeur général de CleanGreens Solutions. Jeremy Blondin a opté pour deux lignes de culture, chacune mesurant 4 m de large pour environ 30 de long, mais le système développé par la start-up permet à un robot de travailler une ligne de culture de 12,8 m de large pour 80 à 90 de long. Chaque module est posé sur un rail et se déplace par un bras de poussée à mesure qu’avance la culture.

+ d’infos www.cleangreens-aeroponics.com