Le temple du goût des Alpes

Le Culinarium Alpinum de Stans (NW), c’est un ancien couvent devenu centre de compétences en matière de patrimoine alimentaire alpin. Entre restaurant et jardin comestible, visite guidée d’un site où l’on s’inspire du passé pour construire l’avenir.
12 septembre 2024 Clément Grandjean
Au Culinarium Alpinum, on applique systématiquement le principe des circuits d'approvisionnement courts.
© Clément Grandjean
Au Culinarium Alpinum, on applique systématiquement le principe des circuits d'approvisionnement courts.
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Au Culinarium Alpinum, on applique systématiquement le principe des circuits d'approvisionnement courts.
© Clément Grandjean
Au Culinarium Alpinum, on applique systématiquement le principe des circuits d'approvisionnement courts.
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Au Culinarium Alpinum, on applique systématiquement le principe des circuits d'approvisionnement courts.
© Clément Grandjean
Au Culinarium Alpinum, on applique systématiquement le principe des circuits d'approvisionnement courts.
© Clément Grandjean
Au Culinarium Alpinum, on applique systématiquement le principe des circuits d'approvisionnement courts.
© Clément Grandjean

Comme si les cloches n’attendaient que ce signal, elles se mettent à sonner à la volée lorsqu’un premier rayon de soleil touche le sommet de l’église de Stans. Une douce lumière baigne les murs blancs des bâtiments historiques autour desquels serpentent les ruelles pavées. Semblant veiller sur la petite bourgade nichée à deux pas du lac des Quatre-Cantons, la silhouette trapue de l’ancien cloître capucin s’étend sur le flanc de la colline.

La sobriété de l’édifice du XVIe siècle contraste avec la végétation foisonnante qui l’entoure. Il faut dire que vingt ans après le départ des derniers moines, le couvent connaît une seconde jeunesse en tant que centre de compétences destiné au patrimoine culinaire des Alpes. Portée par l’auteur et historien de l’alimentation zurichois Dominik Flammer, l’idée a abouti à la création de la fondation KEDA, pour «Kulinarisches Erbe der Alpen», et à la transformation du cloître en un lieu d’échange incontournable à l’échelle européenne.

Winkelried et le potager

Ce n’est pas à l’entrée du vénérable cloître que nous avons rendez-vous en ce matin de fin d’été, mais un peu plus bas, face au monument dédié au héros local, Arnold Winkelried. Les cloches n’ont pas fini de résonner que Peter Durrer arrive sur son vélo. «On va commencer par un passage au jardin, ça vous convient?»

Panier en osier à la main, nous voilà dans un grand potager en pente parsemé de plants de tomates anciennes et de fleurs comestibles, à récolter ciboulette, estragon et thym citronné. «Il faut cueillir les plantes aromatiques tôt. Les saveurs sont beaucoup plus intenses lorsque les feuilles sont encore fraîches.»

14/20 au GaultMillau

À le voir penché dans la verdure, sécateur en main et sueur au front, on en oublierait presque que Peter Durrer est le directeur du Culinarium Alpinum. Après avoir occupé des postes de premier plan dans des palaces de tout le pays, il n’a pas résisté à l’envie de se confronter au défi de l’ultralocal dans ce lieu chargé d’histoire qui accueille désormais un hôtel et un restaurant auréolé de 14 points au Gault&Millau.

«Je n’ai jamais compris pourquoi un établissement gastronomique devrait à tout prix proposer des crevettes et des aliments exotiques, alors qu’on a tant de trésors devant notre porte, dit-il. En prêtant attention à la provenance et à la saisonnalité, on voit les produits à leur juste valeur.» Il s’interrompt pour croquer une graine de coriandre: «Goûtez ça. Fantastique, non?»

L’objectif de la fondation est de documenter et de conserver les savoir-faire alimentaires de l’arc alpin.

Caverne aux trésors

Le soleil chauffe déjà la façade du cloître lorsque nous déposons la récolte en cuisine, mais une agréable fraîcheur règne dans les longs couloirs silencieux. Escaliers de pierre, cours intérieures et sculptures de saints portent la mémoire de siècles de recueillement.

Peter Durrer pousse une porte en bois, nous guide dans un passage dérobé qui mène à une cave voûtée. L’odeur ne trompe pas: ces imposantes meules qui couvrent une paroi sont des pièces de sbrinz. Fabriquées sur les alpages environnants, elles vieillissent ici, soigneusement entretenues par le fromager du village.

Enrayer la disparition des savoirs

Un autre couloir, une autre porte et on découvre la caverne aux trésors du Culinarium Alpinum: une petite pièce allongée où, dans la lumière d’un soupirail, des centaines de bocaux abritent les conserves, sirops et préparations lactofermentées qui permettent à l’équipe du restaurant de servir toute l’année des délices locaux. «Notre rôle est de montrer que c’est possible, durable et économiquement viable, même à l’échelle d’un hôtel et d’un restaurant, de consommer local.»

Aussi cultive-t-on les circuits courts au quotidien: les agriculteurs viennent directement livrer leurs produits à la cuisine, et il n’est pas rare que l’équipe modifie ses plans en fonction des arrivages ou des aléas météorologiques. «Je crois que nos cuisiniers ne pourraient plus travailler dans un restaurant traditionnel, confie Peter Durrer. C’est passionnant d’interpréter au quotidien ces produits de manière créative.»

Concours pour les produits alpins

ALP’24, c’est le nom d’un concours réservé aux produits artisanaux de l’arc alpin, dont la première édition aura lieu début novembre à Stans. Lancé par la fondation KEDA, ce concours ouvert aux artisans de sept pays et à cinq catégories de produits, des fromages aux alcools, prend exemple sur le Concours suisse des produits du terroir. L’objectif? Faire connaître les merveilles du terroir alpin et mettre en réseau ses acteurs au-delà des frontières. Remise des prix, forum et marché au Culinarium Alpinum de Stans du 8 au 10 novembre.

Pas le temps de flâner. Un passage par l’église du couvent et par la cuisine professionnelle où sont proposés des cours et des ateliers consacrés à la préparation de spécialités alpines, à la confection de saucisses ou de pain au levain, et nous retrouvons la longue terrasse baignée de lumière. Autour des tables se croisent paysans du coin et épicuriens venus de l’étranger. Provoquer cette rencontre entre des mondes à première vue si différents, c’est l’une des missions de la fondation KEDA, organe créé en 2019 pour développer le Culinarium Alpinum.

«L’objectif de la fondation est de documenter et de conserver les savoir-faire alimentaires de l’arc alpin, résume Marie Pfammatter, responsable de projets agricoles au sein de la structure. Compétences et connaissances disparaissent au fil des générations. Or, elles ont une grande valeur, aussi bien d’un point de vue patrimonial que parce qu’elles pourraient constituer des clés pour assurer notre subsistance à l’avenir.»

Un jardin qui se mange

Rassembler, préserver et transmettre un savoir qui s’étiole, la tâche est titanesque. Elle implique de mettre en réseau agriculteurs et producteurs avec le monde de la gastronomie, de l’hôtellerie et du tourisme. D’autant que la fondation entend mener cette mission à une échelle internationale.

Car la chaîne des Alpes a beau couvrir plus de 1200 km, de la France à l’Autriche en passant par l’Allemagne ou la Slovénie, on y retrouve mille traditions uniques et proches à la fois. Des points communs qui touchent à des pratiques, comme la transhumance estivale sur les alpages, ou à des produits – difficile de ne pas penser à la ressemblance entre sbrinz et parmesan.

Pour l’heure, c’est à l’échelle locale que les premiers projets voient le jour. «L’un d’eux consiste à revaloriser la production de céréales et de légumes dans la région, détaille Marie Pfammatter. Si l’économie locale repose aujourd’hui largement sur la production animale, ce n’était pas le cas il y a encore cinquante ans. On pratiquait alors une agriculture beaucoup plus diversifiée.»

Liens avec les agriculteurs

La mission implique d’établir une relation de confiance avec les agriculteurs de la région. Des échanges riches en surprises: c’est au hasard d’une rencontre que l’équipe a entendu parler du Nidwalder Edelsaft, étonnant vin mousseux de pommes dont la recette, partagée oralement, avait bien failli disparaître.

La visite n’est pas terminée. On suit l’ingénieure agronome sur les sentiers qui sinuent dans le grand jardin du couvent. Ce n’est pas un simple espace vert: chaque plante, chaque fruit est comestible. «Ce lieu a deux fonctions, montrer qu’un jardin peut être beau et nourricier à la fois, et remettre au goût du jour des espèces oubliées parce que jugées trop peu productives, à l’instar du cognassier ou du néflier.» Les variétés d’antan côtoient des arbres greffés dans le cadre de tests qui montrent que, là aussi, passé et présent s’entremêlent volontiers.

Séjour hors du temps

Vous avez toujours rêvé de dormir dans un cloître? Pour prolonger l’expérience après un repas au Culinarium Alpinum, un séjour dans l’une des 14 chambres de l’établissement s’impose. Sobrement rénovées dans le respect du bâtiment patrimonial, elles offrent un aperçu, certes incomparablement plus confortable, de ce que pouvait être la vie des moines capucins. Sans oublier un exceptionnel buffet de petit-déjeuner, entièrement composé de spécialités locales.

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