Les saveurs du pays, patrimoine gustatif protégé depuis un quart de siècle

Depuis vingt-cinq ans, l’Association suisse des AOP-IGP œuvre à la promotion de produits helvétiques issus d’un savoir-faire ancestral et au fort ancrage régional.
12 septembre 2024 Marjorie Spart
La saucisse aux choux et le saucisson vaudois bénéficient tous deux d'une appellation d'origine protégée (AOP).
© AOP-IGP

Lorsque l’on évoque les produits AOP-IGP avec Alain Farine, son regard s’illumine et les mots s’enchaînent avec enthousiasme. Il faut dire que les appellations d’origine protégée et indications géographiques protégées occupent une grande place dans sa vie: depuis dix-sept ans, il dirige l’Association suisse des AOP-IGP qui regroupe la majeure partie des filières enregistrées sous ces sigles d’excellence.

«Il s’agit de produits à forte valeur ajoutée, au goût inimitable et qui méritent d’être sauvegardés. Ils sont issus de savoir-faire traditionnels et font partie de notre patrimoine; c’est très motivant de les soutenir et de les promouvoir», résume-t-il avec passion.

23 filières ensemble

L’Association suisse des AOP-IGP célèbre, cette année, son 25e anniversaire. Elle regroupe 23 filières AOP, essentiellement des produits laitiers, mais également boulangers, des eaux-de-vie et des légumes, ainsi que 14 IGP, tous des produits carnés. Seules quatre AOP et IGP enregistrées à l’Office fédéral de l’agriculture ne sont pas membres de l’association.
Lors de sa création en 1999, elle avait pour objectif de fédérer les filières AOP et IGP, mais aussi de faire connaître ces deux nouvelles appellations, nées de la réforme agricole suisse menée au milieu des années 1990.
«Au vu de la baisse des prix des produits agricoles et de l’ouverture du marché international, la Confédération a dû trouver un nouveau moyen de soutenir la branche et ses denrées à forte valeur ajoutée. Ce qu’elle a fait par le biais de l’ordonnance sur les AOP et IGP, entrée en vigueur en 1997», explique Alain Farine.

Un fromage précurseur

Le L’Étivaz est le premier produit alimentaire à avoir obtenu l’AOP. C’était en 1999. «À la suite de la réforme agricole des années 1990, et de l’ouverture du marché suisse à la concurrence, nous avons voulu protéger le nom et créer de la valeur ajoutée pour notre fromage», explique Jacques Henchoz, président d’honneur de la Coopérative des producteurs de L’Étivaz.

Il a fallu sept ans pour élaborer un cahier des charges qui convienne à toute la filière. Des démarches entreprises avant même que l’ordonnance sur les AOP-IGP ne soit inscrite dans la loi. «On était bien conscient qu’il fallait sauvegarder notre fromage et le savoir-faire qui l’entoure, souligne Jacques Henchoz. Et nous avons offert une perspective pour les jeunes producteurs découragés par la chute du prix du lait et créé de l’emploi, via la coopérative notamment.»

Grâce à son AOP, toute la filière est valorisée: le lait nécessaire à la fabrication de cette pâte dure se vend plus cher, tout comme le fromage désormais protégé. Ce label a offert des perspectives aux producteurs de lait d’alpage de la région, tout en pérennisant un savoir-faire et un goût ancré dans les Alpes vaudoises. Et elle a permis de booster les ventes.

Notoriété à renforcer

Ces deux appellations sont donc gérées par la Confédération, «mais c’est notre association qui met à disposition le logo ad hoc avec la croix suisse». Pour qu’un produit puisse être enregistré comme AOP, il doit entretenir un lien étroit avec une région, un goût et un savoir-faire traditionnel.
Il faut ainsi que l’entier du processus de fabrication se fasse dans une même zone géographique. Pour les IGP, une étape au moins doit être effectuée dans la zone de provenance. En un quart de siècle, cette mission de promotion des filières enregistrées n’a que peu changé. «C’est vrai, tout le monde ne connaît pas encore ces appellations, surtout du côté de la Suisse alémanique», glisse le directeur.

Attrait des bonnes choses

Et de souligner qu’en Romandie, à l’image des pays latins qui ont commencé à protéger leurs produits contre la concurrence, il règne une véritable culture gastronomique. En clair, «on aime les bonnes choses», confie Alain Farine dans un sourire.

L’autre atout qui facilite la reconnaissance de ces sigles en Suisse romande est que chaque canton romand possède au moins une AOP ou IGP. A contrario, les cantons alémaniques les plus peuplés, comme Zurich, Bâle ou Argovie, n’en ont aucune. «Nous avons donc encore une grande marge de progression en matière de notoriété.»

Pour ce faire, l’association mène des campagnes publicitaires thématiques, distribue du matériel promotionnel et participe à de nombreuses foires. «Le premier critère d’achat, pour un consommateur, c’est le goût! Vient ensuite l’origine des denrées. C’est pourquoi il est primordial de les faire déguster», souligne Alain Farine.

Succès populaire

Le foisonnement des labels régionaux ne brouille-t-il pas aussi les pistes auprès des consommateurs? «C’est vrai que cela complique notre travail de communication. C’est à nous de bien expliquer que les produits AOP et IGP sont garants d’une tradition culinaire régionale fondée sur un savoir-faire unique et typique d’un lieu.»

L’association effectue aussi un suivi du marché, par le biais de différentes études, afin d’évaluer la notoriété des AOP et IGP dans la population. «Notre dernière étude montre que nous avons gagné 10points de notoriété (à 60%) en Suisse alémanique», se réjouit-il.

Au cœur de la politique

Un autre pan d’activité est le travail de lobbying politique. À l’origine, le président du comité de l’association était issu du sérail agricole. Au fil du temps, des politiciens ont pris le relais. «Les intérêts des produits à haute valeur ajoutée doivent être défendus dans les discussions sur la politique agricole ainsi que sur le marché, en Suisse et à l’exportation. La reconnaissance mutuelle des AOP et IGP entre la Suisse et l’Union européenne, entrée en vigueur en 2011, a été une étape importante pour nous», relève Alain Farine.

Plus récemment, en 2021, une autre victoire a été remportée avec l’adhésion de la Suisse à l’Acte de Genève, qui offre une reconnaissance volontaire multilatérale des AOP et IGP entre États membres de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Les produits du terroir qui ont un lien fort avec leur région et un savoir-faire ont déjà fait les démarches de protection.

Quant à l’avenir de l’association, Alain Farine ne croit pas à une forte extension. «On arrive à une certaine saturation des filières enregistrées. Les produits du terroir qui ont un lien fort avec leur région et un savoir-faire ont déjà fait les démarches de protection.»

Initiative de la base

Au cours de ses vingt-cinq ans d’existence, l’association a parfois tenté de pousser certaines filières à rejoindre les AOP ou IGP. Mais sans grand succès. «Si la démarche n’émane pas des producteurs eux-mêmes, c’est difficile de les fédérer. Un enregistrement est un travail de longue haleine qui nécessite une volonté commune et une bonne entente entre les membres de la filière jusqu’à l’obtention de l’appellation.

Concernant les défis de l’association elle-même, Alain Farine précise: «Il s’agit d’une part de progresser sur le plan de la notoriété et de la compréhension des deux signes de qualité AOP et IGP en Suisse alémanique, ceci dans un contexte de diminution annoncée des soutiens étatiques à la promotion des produits agricoles. D’autre part, nous nous devons d’être vigilants face à l’évolution des pratiques sur le marché suisse et à l’international, notamment dans le cadre d’accords commerciaux touchant la propriété intellectuelle, afin de garantir un bon niveau de protection de nos AOP et IGP.»

+ d’infos www.aop-igp.ch

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