Point fort
Identifiés grâce à leur ADN, des champignons changent de nom

Les mycologues effectuent depuis cinq ans un travail de fourmi pour mieux déterminer et classifier les milliers d’espèces de champignons du pays. Ils parviennent à les différencier en analysant leurs critères génétiques.

Identifiés grâce à leur ADN, des champignons changent de nom

Coup de tonnerre dans le monde de la mycologie! Considéré comme toxique depuis des décennies, le bolet blafard fait son grand retour dans les assiettes suisses. L’an dernier, le conseil central de l’Association suisse des organes officiels de contrôle des champignons (Vapko) a signé le retour en grâce de cette espèce au nom parlant, moins prisé que son cousin bordelais. «C’est extrêmement rare qu’une espèce passe de la case toxique à la case comestible», reconnaît Jean-Michel Froidevaux, président de la section romande de la Vapko. Cette décision n’a pas été prise à la légère.

Un cas unique
Il a fallu réaliser un travail de fond pour que le Suillelus luridus (anciennement appelé Boletus luridus) soit réhabilité auprès des pontes de la mycologie. «Le bolet blafard était considéré comme étant d’une comestibilité douteuse, mais, en cherchant bien, je n’ai pas trouvé de données médicales précises le prouvant, détaille Katharina Schenk-Jäger, toxicologue pour l’Union suisse des sociétés mycologiques, à qui l’on doit ce retournement de situation. D’autres espèces comme le bolet à pied rouge se mangeaient s’ils étaient bien cuits, la chaleur détruisant leurs toxines thermolabiles.» La toxicologue a donc recommandé un changement de statut pour ce spécimen, apprécié en Allemagne, soulignant toutefois qu’il ne peut être consommé qu’après avoir passé 20 minutes au minimum au fond d’une casserole.

Des distinctions plus précises
Le bolet blafard n’est pas le seul à changer de catégorie dans les manuels de mycologie. Depuis cinq ans, ce domaine est en pleine évolution. «Un nouvel outil pour le classement des espèces est devenu incontournable, l’ADN, explique le biologiste Vincent Fatton. Jusqu’ici, on répartissait les champignons seulement selon leurs critères macroscopiques, comme la couleur de leur chapeau, et microscopiques, comme la forme leurs spores, par exemple.»

En analysant leur ADN, les spécialistes ont alors remarqué qu’il existait des différences significatives entre les différentes sortes de bolets en Europe. Classés jusqu’à présent dans quinze genres différents, ils sont désormais répartis dans 33 genres distincts. «Les nouvelles classifications entraînent des modifications de leur nom, mais aussi la découverte de nouvelles espèces», se réjouit Vincent Fatton, soulignant que ces analyses concernent tous les champignons, quelle que soit leur famille ou leur genre, sans exception. En Suisse, il existe entre 15′000 et 20‘000 espèces différentes, peut-être davantage, les outils scientifiques affinant petit à petit leur détermination. «L’ADN nous permet de prendre du recul, de remarquer si plusieurs espèces ne sont en réalité qu’une seule, ou si une nouvelle se niche parmi d’autres, déjà connues», ajoute le spécialiste.

Des siècles de connaissances
Les mycologues se basent en effet sur des documents de référence — des herbiers fongiques notamment— datant parfois de plus de deux siècles. «Les pères de la mycologie moderne ont décidé vers 1820 de conserver un exemplaire séché de chaque espèce trouvée, répertoriée avec sa description précise», note Vincent Fatton. Et dès qu’un champignon inédit est découvert, une recherche bibliographique débute. «Les experts effectuent un véritable travail de fourmi, remontant dans les archives jusqu’aux années 1750, afin d’être certains qu’il s’agit d’une nouveauté et non pas d’une espèce déjà décrite.» Ces données actualisées figureront dans les manuels de mycologie destinés au grand public et seront également transmises aux contrôleurs de la Vapko.

Nombre record d’intoxications
Tous les cinq ans, ces mycologues amateurs doivent suivre une formation continue, afin de mettre à jour leurs connaissances. «Le réseau suisse des contrôleurs est remarquable, salue Katharina Schenk-Jäger. Cet organe officiel permet d’éviter de nombreuses intoxications.» Il poursuit cette mission depuis plus d’un siècle. La Confédération avait demandé, à la fin de la Première Guerre mondiale, la création d’un organe de contrôle afin d’enrayer un pic d’empoisonnements involontaires, la population se servant allègrement dans la forêt en ignorant les risques liés à la cueillette. Il fut mis en place sur l’initiative de Hans Schinz, alors directeur du Jardin botanique de Zurich, avec l’aide des clubs de mycologie.

Cent ans plus tard, la Vapko et les clubs de mycologies sont toujours bien vivants, les amateurs de champignons semblent être toujours plus nombreux, un engouement qui va de pair avec une hausse massive des téléphones à la centrale de ToxInfo. «L’an dernier, on a eu un nombre record d’appels provenant des cantons de Vaud et Genève, où il y a aussi eu des poussées de champignons impressionnantes. On a eu presque 800 téléphones pour des intoxications liées aux champignons en un an, note Katharina Schenk-Jäger. L’année 2020 est plus calme, mais la saison vient juste de commencer.» Le grand ménage effectué par les mycologues pourrait à terme simplifier la cueillette dans les bois. Les champignonneurs pourront peut-être même à l’avenir déguster de nouveaux spécimens dont la toxicité aura été réévaluée, comme le montre le cas, pour l’heure unique, du bolet blafard.

+ D’infos www.vapko.ch; en détail dans le «Bulletin suisse de Mycologie» 01/2019.

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Guillaume Perret/Lundi 13

Une cueillette sans impact

Chaque canton à ses propres restrictions concernant la récolte des champignons, sauf ceux de Neuchâtel et du Valais où rien n’est précisé. Elle est limitée à 2 kilos par personne dans le Jura, à Genève, Berne et Fribourg, canton où il est par ailleurs interdit d’en cueillir de 20 h à 7 h du matin. Sur le territoire vaudois, elle doit se faire uniquement pour «la consommation familiale» et 60 espèces rares ne peuvent être prélevées. Une récente étude de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) montre toutefois que la cueillette n’a aucune influence sur la poussée des champignons, selon l’analyse des récoltes des trente dernières années. «La protection du biotope en a en revanche, c’est certain», commente la toxicologue Katharina Schenk-Jäger.

Sources d'intoxication multiples

Quelles sont les espèces de champignons responsables du plus grand nombre d’intoxications? Difficile à dire, selon les experts, qui ont analysé les appels passés au numéro 145 de la centrale Tox Info, de 2010 à 2016. «Il en ressort que les espèces les plus mentionnées lors de ces appels sont le bolet (cèpe de Bordeaux), le champignon de Paris et la morille, constate la toxicologue Katharina Schenk-Jäger. Mais dans les rapports médicaux, les espèces causant des intoxications impliquant un traitement médical sont le bolet satan, le clitocybe nébuleux et l’amanite phalloïde.»

+ d’infos Tox Info Suisse est atteignable au numéro d’urgence 145.