La Sauvageonne fait souffler un air de forêt dans les jardins
Un vieux tilleul chemisé de lierre déverse son ombre sur le jardin. Ses fleurs viennent d’éclore. «De l’or jaune», s’enthousiasme Anne Aubry, qui profite de ce terrain inoccupé en ville de Delémont pour mener ses explorations végétales.
Amie des anciens locataires, elle a installé, il y a près de dix ans, de premières plantes dans ce jardin qu’elle a transformé partiellement en nurserie. La Commune, propriétaire des lieux trop vétustes pour être loués à nouveau, l’autorise à y développer son activité horticole sous l’appellation de «La Sauvageonne».
La beauté du détail
La parcelle est parsemée de petites serres, entre fruitiers sauvages et plates-bandes jonchées d’une multitude de pots où s’épanouit une végétation bigarrée. Silene dioica, Aquilegia vulgaris, Sanguisorba minor… Par déformation professionnelle, l’horticultrice désigne ses protégées – compagnon rouge, ancolie vulgaire, pimprenelle – de leur «nom de jeune fille», en latin. «Ainsi, on sait exactement de quoi il s’agit, contrairement au nom commun plus variable.»
La cultivatrice sélectionne ses compagnes en fonction de leur feuillage ou de la couleur de leurs fleurs. Elle sait en apprécier les menus détails, comme cette teinte rougeâtre à la base des feuilles, ou cette corolle en dentelle. «J’ai ma liste rêvée, dit-elle les yeux dans le vague. Mais ce qui me plaît n’est pas forcément partagé. Je songe à développer mes aromatiques, qui marchent bien.»
En chiffres
60 à 70 mètres carrés de culture de plantes vivaces, aromatiques et indigènes
435 mètres d’altitude
10 ans d’existence de La Sauvageonne
Plus de 100 espèces de plantes cultivées
Vente de plantons
Depuis 2017, en e!et, La Sauvageonne vend ses plantons au marché hebdomadaire de la ville. Et l’intérêt du public va croissant. «Les gens ont envie de forêt, constate la Delémontaine. Le marché est aussi un moment d’échange avec les habitués, les gens de passage et les curieux. Je discute plus que je ne vends.» Son activité accessoire a néanmoins gagné en reconnaissance. Un prix au concours «Vieille ville fleurie» a débouché sur une collaboration avec la municipalité: l’élaboration d’un jardin médicinal formé de sept alvéoles où poussent des plantes aux vertus thérapeutiques liées à sept parties du corps.
«Je ne suis pas herboriste, mais l’aspect sensibilisation me plaît. Et j’aime ramener la nature au centre de la ville.» Un cours de l’Université populaire ou des ateliers à Delémont’BD lui permettent de mettre à profit ses talents de vulgarisatrice. Et malgré le déménagement qui se profile en raison d’un projet de quartier, il lui arrive d’ouvrir les portes de son coin de paradis.
Plaisir des yeux… et du palais
«Les serres servent d’abri pour l’hivernage ou les spécimens les plus fragiles. En extérieur, les plants sont installés en fonction de l’ensoleillement, car à l’arrière de la maison, on manque de luminosité en hiver. Ils sont majoritairement en pot, en prévision de la vente. Quelques pieds mères poussent en pleine terre, notamment pour favoriser l’autosemis. L’ancolie, par exemple, se ressème toute seule.» De même que l’énorme angélique, qui dresse ses ombelles en surplomb de ce petit monde. «Ses tiges confites étaient l’une des premières confiseries, salive la jardinière. J’aime consommer certaines de mes cultures, en tisane ou en salade. Rien de tel que des beignets de consoude au St-Moret.»
Des fils courent au-dessus des allées pour y suspendre des voilages en cas de sécheresse. Le manque d’eau n’est toutefois pas le problème en ce début d’été. «Comme mes cultures sont hors-sol, elles souffrent peu de l’excès d’humidité, confie l’horticultrice, mais plutôt du manque de chaleur.» Le froid a anéanti ses boutures de verveine citronnée. Quant aux limaces, qui pullulent par ce temps pluvieux, Anne Aubry se résigne à vivre avec. «Je n’utilise aucun produit chimique. Or la chasse ne suffit pas toujours à empêcher les dégâts.»
Respect du terroir
Accepter pleinement la nature fait partie de la philosophie de l’horticultrice. Parfois, elle laisse quelques recoins se développer à leur guise, ce qui peut réserver de belles surprises. Son jardin est propice à la contemplation. Mais si la jeune femme admet être rêveuse, voire quelquefois désordonnée, l’huile de coude reste le carburant essentiel de son activité. Ici, tout s’effectue à la main, en témoigne, par exemple, la charrette à bras. Anne Aubry multiplie ses plantons par division et bouture, parfois par semis pour la régénération. Elle fabrique un terreau spécifique, mélange d’humus et de terre franche auquel elle ajoute des éléments pour l’adapter aux besoins de chaque espèce.
Comme Patricia Willi, pionnière de la culture sauvage chez qui elle a passé plusieurs mois, la Jurassienne est attentive aux spécificités locales des plantes indigènes. Alors qu’elle a débuté avec des petits sachets de graines venues d’un peu partout, le travail auprès de la Lucernoise, fondatrice de Wildstaudengärtnerei, l’a sensibilisée à l’importance de bien connaître les stations et la méthode de récolte. L’horticulture sauvage demande de la patience. Il faut d’ailleurs un à deux ans avant qu’un planton n’aboutisse sur l’étal du marché. Mais Anne apprécie justement de prendre son temps. Plonger les mains dans la terre et faire pousser l’a aidée à se retrouver. «C’est épanouissant», conclut-elle.
La jardinière
Après l’interruption de ses études au lycée, Anne Aubry trouve sa voie dans l’horticulture lors d’un stage aux Jardins de Courtemelon. Elle se lance alors dans un apprentissage au Jardin botanique de Neuchâtel. Sa formation achevée, et quelques années de travail plus tard, elle se fait rattraper par la réalité de l’emploi dans le Jura. Elle passe par une période de chômage et de petits boulots, déménageant au fil des expériences sa production horticole de balcon. Aujourd’hui, à 46 ans, elle travaille comme aide-concierge à temps partiel à la ville de Delémont, ce qui lui assure des revenus tout en lui permettant d’assouvir sa passion.
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