Les biotopes locaux s'allient à la luxuriance tropicale
Il y a peut-être des palmiers à Montreux (VD), mais c’est bien dans le Seeland que la flore et la forêt tropicales s’épanouissent avec le plus de bonheur… Sous les coupoles du Papiliorama vivent ainsi deux milieux reproduits à l’identique: un jardin luxuriant où les lépidoptères ne manquent de rien et un coin de jungle où l’enchevêtrement des arbres ne laisse filtrer que peu de lumière. Exactement comme dans la vraie, que l’institution soigne d’ailleurs également à distance (voir l’encadré).
Des besoins spécifiques
À la fois vitrine et soutien de cette biodiversité lointaine, le jardin zoologique de Chiètres (FR) nécessite lui aussi une attention soutenue. Chaque milieu a ses spécificités. «Lorsque le Papiliorama était encore installé à Marin, dans le canton de Neuchâtel, le jardin et la jungle étaient sous une seule serre, raconte Caspar Bijleveld. Ça ne fonctionnait pas très bien, car les papillons ont besoin de lumière et de fleurs. Or la jungle étouffe inévitablement l’une et les autres. Lorsque nous avons déménagé ici (ndlr: à la suite de l’incendie accidentel du site), nous avons séparé les deux milieux.»
C’est ainsi que sous la serre «Jungle Trek», quelque 170 arbres d’une vingtaine d’espèces font assaut de vigueur. «En fait, il s’agit d’une vraie forêt bélizienne, obtenue grâce aux graines ramenées dans le cadre de notre engagement dans ce pays», explique celui qui dirige l’institution depuis 2001. À la différence de son modèle, la jungle du Seeland doit composer avec un milieu clos et des possibilités d’expansion limitées. «On taille les arbres pour qu’ils développent leur couronne à la bonne hauteur. Ce sont en quelque sorte des bonsaïs géants», relève Caspar Bijleveld. En tout, plus de cent variétés végétales foisonnent ici; les scientifiques y ont même identifié deux espèces qu’ils ne soupçonnaient pas appartenir à la forêt bélizienne.
Changement de décor avec le jardin tropical semi-sauvage aménagé sous une serre orientée plein sud, bâtie en amphithéâtre pour répartir la lumière dans tout l’espace. «Le toit est fait d’un matériau qui laisse passer 100% du rayonnement ultraviolet. C’est important pour les papillons, dont la vision est basée essentiellement sur le spectre UV», note encore le directeur. De fait, tout ici est prévu pour le confort et la survie d’un bon millier d’espèces de lépidoptères, à commencer par les plantes – 120 espèces environ, soigneusement entretenues par l’horticultrice Rachel Munier. Son job: assurer la floraison, rabattre celles qui sont trop exubérantes, maintenir et renouveler l’ensemble.
«Il faut garder une densité suffisante pour que les larves puissent s’en nourrir», souligne la jeune femme, originaire de la Côte vaudoise. Ça tombe bien: préparer des semis avec les graines récoltées ici et faire des boutures est une des activités qu’elle préfère. Car le recours à des plantes venues d’ailleurs est l’exception: «Tout ce qui rentre au Papiliorama est garanti sans traitement! Autrefois, on pouvait se fournir dans le commerce, mais les néonicotinoïdes ont changé la donne: les papillons ne survivent pas à des plantes traitées avec cette catégorie d’insecticide.»
Du Seeland au Bélize, le même combat
«L’objectif du Papiliorama est de sensibiliser le public à la biodiversité tropicale sans le bombarder de messages, explique son directeur. Si les gens sortent en se disant «c’est beau», 50% du boulot est déjà fait.» Depuis trente ans, le Papiliorama protège directement (au travers d’une fondation sœur et grâce aux dons des visiteurs) quelque 235 km2 de forêt au Bélize, pays situé en Amérique centrale, où 2,5% de sa surface totale disparaît chaque année. Une mission accomplie par le truchement d’une ONG que le Papiliorama a créée sur place et qui travaille en partenariat avec le Gouvernement bélizien.
«On est très pragmatiques, souligne le biologiste. Là-bas, les gens parlent de l’approche suisse! Il y a très peu de conflits, mais il faut accepter les compromis.» Une philosophie d’action qui vaut à la petite organisation d’être citée en exemple d’efficacité en dépit de sa dimension et de ses moyens plutôt modestes. «On l’ignore généralement, mais à l’échelle mondiale, les jardins zoologiques sont les troisièmes contributeurs de la conservation de la nature», rappelle Caspar Bijleveld.
+ D’infos
www.csfi.bz
Traitements proscrits
Autre souci: éviter les plantes naturellement toxiques. «Au final, on privilégie le petit nombre de celles qui sont bonnes pour les papillons et fleurissent souvent», résume Rachel. Asclépias, pentas et lantanas se retrouvent ainsi partout, savamment éparpillés comme autant de minijardins – pour le confort des petites bêtes et pour le plaisir des yeux des bipèdes. Les produits phytosanitaires sont évidemment quasiment tous proscrits. «On lutte contre les ravageurs avec des insectes auxiliaires, et aussi de petites grenouilles originaires de Cuba, fournies par le Zoo de Leipzig (D), indique Caspar Bijleveld. La clé, c’est un milieu équilibré, auquel on se contente de donner un coup de pouce par de l’engrais au printemps.»Dans quelques mois, les tropiques auront encore grignoté quelques centaines de mètres carrés à Chiètres, avec l’édification d’une nouvelle serre de service (cadeau d’une horticultrice alémanique) dans laquelle les quatre jardiniers du site disposeront d’un espace réservé à la multiplication. Et en 2022, une nouvelle coupole devrait voir le jour, consacrée à la canopée.
La nature dans le parking
La biodiversité tropicale n’est pas la seule qui compte. En 2008, le Papiliorama a créé une zone humide à l’extérieur, où plusieurs biotopes régionaux ont été renaturés. Jardinier naturel formé à Wädenswil (ZH), Michael Känel en est le responsable; en collaboration avec le Jardin botanique de Fribourg, il y a favorisé la plantation de Sanguisorba officinalis, la grande pimprenelle, dans un but précis: «C’est la plante hôte exclusive de deux espèces très menacées de papillons, les azurés. On essaie de créer un couloir entre deux populations, à Sugiez (FR) et à Täuffelen (BE); le projet est monitoré par un biologiste d’Ins (BE).»
Il chouchoute cette biodiversité locale jusque dans ses expressions les plus modestes. Par exemple sur un toit végétalisé grâce aux foins riches en graines fournis par un paysan de la région. «On y a trouvé environ 2000 spécimens d’une espèce sur liste rouge», relève Michael Känel. Ou même sur le grand parking des visiteurs. «Il accueille autant de nature que de voitures. On y a planté une vingtaine d’espèces d’arbres, et les haies comptent à peu près tous les arbustes du Plateau et autant de plantes vivaces.»
En chiffres
Jardin à papillons (1200 m2):
- 120 espèces de plantes tropicales.
- 1200 espèces de papillons.
Jungle Trek (1200 m2):
- 170 espèces de plantes originaires du Bélize.
- 20 espèces d’arbres de la forêt tropicale bélizienne.
Wild Seeland (2,5 hectares)
- Environ 300 espèces végétales et autant d’espèces animales).
+ D’infos
papiliorama.ch
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