Reportage
«Je ne me lèverais pas chaque matin pour une autre race que l’Hérens»

Chaque mois, Terre&Nature met la relève à l’honneur. À côté de son travail, le Valaisan Guillaume Délèze s’occupe d’une trentaine de bovins, ainsi que de 7 hectares d’abricotiers avec son père.

«Je ne me lèverais pas chaque matin pour une autre race que l’Hérens»

À notre arrivée devant la maison de Guillaume Délèze à Fey (VS), nous sommes rapidement accueillis par la famille au complet: sa femme, Johanne, et ses deux filles, Lise, 3 ans, et Alice, 6 ans. Une joyeuse équipe, qui semble bien s’accommoder de l’activité, prenante, du père de famille. «Je n’ai pas vraiment eu le choix, lance son épouse, amusée. Quand j’ai rencontré Guillaume, j’ai dû accepter tout le package!» Un lot qui comprend une trentaine de vaches réparties en trois écuries et une stabulation libre autour de la demeure, ainsi que les 7 hectares d’abricotiers qu’il gère avec son père, desquels sont tirées une septantaine de liqueurs aux différents arômes, bien connues dans la région.

Gouverner avant de fromager
Si Guillaume Délèze s’adonne avec plaisir à la culture des fruitiers, ce sont avant tout les vaches qui l’animent. Mais pas n’importe lesquelles: «Je ne me lèverais pas chaque matin pour une autre race que l’hérens!» Avec un réveil qui sonne à 3h afin d’aller gouverner avant le travail, la motivation doit à coup sûr être au rendez-vous. Car le jeune homme, fromager de formation, conjugue son activité agricole avec sa fonction de responsable de production sur le site sierrois de la société Cremo.

«Je commence à 6h30 à la fromagerie, et termine vers 14h30. Cet horaire un peu décalé me permet d’être de retour à l’écurie vers 15h15, pour finir de m’occuper du bétail vers 17h30. C’est appréciable, car cela me laisse de longues soirées en famille, indique-t-il, reconnaissant. En revanche, à 20h30, je suis épuisé!» Un rythme difficile à tenir si l’on n’est pas convaincu. «De la passion ou de la folie, je ne sais pas trop ce que c’est… sûrement un peu des deux», lâche-t-il dans un sourire.

Au cœur de l’arène
Bien qu’impliqué dans la filière par son métier, le Valaisan de 34 ans ne produit pas de lait dans son exploitation, où la tétée des veaux est de mise. En effet, s’il élève des hérens, c’est surtout pour la corne, et par amour de la tradition. À l’étage inférieur de la maison, son carnotzet baptisé «Le chant des Reines» en témoigne. Sanctuaire de la race et des réussites familiales, la pièce est colorée. Il faut dire que Guillaume Délèze et son père, qui incarnent les deuxième et troisième générations à la tête de l’exploitation, ne comptent plus les sonnettes et couronnes fleuries qui y trônent, notamment celles de Tango, la vache de cœur du jeune agriculteur que toute la famille s’accorde à sortir pour la séance photo, parée de son plus beau licol. Reine de l’alpage de Novelly ces deux dernières années, elle fait la fierté de la maisonnée.

L’une des nombreuses images qui tapissent les murs interpelle: on y voit Guillaume Délèze à terre, sous deux vaches en pleine lutte. C’est que depuis l’âge de 21 ans, il officie aussi comme rabatteur. «Cette activité m’a toujours attiré: être aux premières loges, sentir les mouvements de l’animal, l’adrénaline… Il ne faut pas trop réfléchir aux risques.» Encore une fois, il semblerait que folie et passion s’entremêlent. L’éleveur sera d’ailleurs dans l’arène de Pra Bardy à la mi-mai, à l’occasion de Finale nationale de la race d’Hérens. Malgré la qualification de l’une de ses protégées,
Lisette, c’est sans elle qu’il fera acte de présence. «Je la préserve pour la saison d’alpage», confie-t-il.

Bientôt une nouvelle ferme?
L’avenir de cette forme d’élevage, le Nendard l’envisage avec une certaine difficulté. «Aujourd’hui, à moins d’avoir connu cela en famille et «attrapé le virus», les gens ne s’impliquent plus de la même manière, sept jours sur sept. La plupart des nouveaux propriétaires ont leurs bêtes en pension, ne s’en occupent pas au quotidien, et on ne les voit avec leurs vaches que lors des gros événements. Pour moi, ce n’est pas le vrai métier», déplore-t-il.

Et c’est sans compter la charge administrative, de plus en plus lourde, de même que les normes à respecter. Guillaume Délèze envisage d’ailleurs de construire une ferme, plus moderne. «Je n’aurai sûrement bientôt plus le choix. Ce sera aussi plus facile à gouverner que dans les trois écuries…» «…Et plus attractif pour les repreneurs», complète sa femme, touchant visiblement une corde sensible. Une quatrième génération lui succédera-t-elle? Cette question le hante déjà. «Évidemment, j’aimerais que l’une de mes filles au moins reprenne le flambeau, et ne pas voir s’en aller tout ce que mes ancêtres ont construit, ainsi que la future ferme. Je ne les forcerai jamais à m’emboîter le pas. Mais imaginer tout ça entre d’autres mains, c’est vraiment torturant». Il est bien sûr trop tôt pour le dire. Cependant, lorsque nous demandons à la petite Lise, en toute innocence, quel est son animal préféré, elle n’hésite pas une seconde: «Tango!»

Texte(s): Muriel Bornet
Photo(s): Muriel Bornet

Impliqué pour préserver les reines

Quand on l’interroge sur l’avenir des «dames noires», Guillaume Délèze a de la peine à établir des projections. «Les effectifs vont reculant, mais je ne crois pas à leur disparition. J’espère qu’il y aura toujours des fous comme moi pour continuer ce type d’élevage!» C’est notamment pour cette raison que le Nendard a intégré cette année différents comités, dont celui de l’association des Amis des reines du Valais, qui vise entre autres à la sauvegarde de la race d’Hérens, au soutien et à l’encouragement aux éleveurs. À une échelle plus personnelle, il vient aussi de rejoindre le comité de l’alpage de Novelly: «Depuis 1977, ma famille y place ses vaches. Il me tient donc à cœur de le voir perdurer».

En chiffres

  • 790 m, l’altitude de la ferme de Guillaume Délèze, à Fey (VS).
  • 33 têtes de bétail.
  • 3 écuries au sein de l’exploitation.
  • 1 stabulation libre.
  • 7 hectares d’abricotiers.