Reportage
La consigne sur les bouteilles en verre signe son grand retour

Réutiliser ses bouteilles de vin, de lait ou de bière plutôt que de les jeter: cette pratique séduit de nouveau les producteurs et les consommateurs. Un projet pilote en ce sens vient d’être lancé dans le canton de Vaud.

La consigne sur les bouteilles en verre signe son grand retour

C’est une pratique qui était chère à nos grands-parents, et qui avait peu à peu disparu avant d’être remise au goût du jour. Désormais, nombre de bouteilles et bocaux en verre sont de nouveau consignés. Depuis le 1er juin, des autocollants colorés sont ainsi apparus sur ces contenants, vendus dans une vingtaine de commerces autour des communes de Nyon, Gland et Lausanne, faisant partie du projet pilote «ça Vaud l’retour». Le but de cette opération? Promouvoir l’économie circulaire en créant une filière de réutilisation, à l’échelle locale d’abord, puis cantonale et, idéalement, nationale par la suite (lire l’encadré). «Si on veut que cela fonctionne, il faut que le système soit harmonisé, simple aussi bien pour les producteurs, les commerçants que pour les consommateurs», résume Hervé Le Pezennec, fondateur du Réseau Consignes.

Une marque de fabrique
Des laiteries du pied du Jura, des vignerons, des producteurs de jus de fruits et des brasseurs notamment ont rejoint le mouvement, en récupérant leurs contenants pour les laver ou en mettant à disposition leur machine, comme celle de l’association Réseau Consignes à Gimel (VD). À Puidoux, la brasserie Dr Gab’s nettoie ses propres bouteilles depuis 2001, ce qui lui permet d’en réemployer déjà 25%. À Féchy (VD), la cave de La Crausaz en a même fait une tradition familiale depuis plus de huitante ans. «Avant, je disais qu’on était les derniers à utiliser les consignes. Aujourd’hui, je dis que

nous sommes les premiers à le faire. C’est même devenu un argument marketing», relève Alain Bettems, ne quittant pas des yeux les flacons défilant devant lui. Pas moins de 2400 unités sont nettoyées à l’heure – 300’000 au total chaque année – puis remplies de chasselas ou de garanoir, directement dans ses locaux. «On procède à une trentaine de mises en bouteille par an, ce qui nous permet de réutiliser rapidement les contenants sans avoir à les stocker longtemps, dit-il. Ils deviennent inutilisables seulement lorsqu’ils se cassent.»

Grâce à ce système, sa cave réemploie 80% des bouteilles, n’en achetant que 20% de nouvelles. Il perçoit 40 centimes de consigne à l’unité. «La taxe recyclage, de 6 centimes, permet de financer en partie le lavage, note le vigneron. Cela s’avère plus rentable qu’en racheter, d’autant plus que les prix des bouteilles neuves ont flambé à la suite notamment de la guerre en Ukraine, où les verreries sont nombreuses. C’est également bien plus respectueux pour l’environnement que de les recycler.»

Initiatives multiples
Convaincu par le concept, il a rejoint le projet pilote, proposant ses services à ses collègues. La mise en place de ce système se révèle toutefois complexe sur le terrain. «À Féchy par exemple, il y a quatorze vignerons et autant de bouteilles différentes, constate Alain Bettems. Chacun choisit son modèle afin de se différencier. Instaurer des consignes uniformes, dans des contenants identiques, risque de prendre du temps.»

Sa consœur Laura Paccot, du domaine La Colombe situé dans le même village, a rejoint la démarche, en participant également à un projet similaire lancé avec sept autres vignerons vaudois, «Bottle Back». «On a choisi de standardiser les bouteilles entre nous, mais sans toutefois y mettre de consigne, explique-t-elle. Les gens ont déjà l’habitude de jeter les verres dans une benne. On aimerait désormais qu’ils les placent dans des harasses pour nous les ramener sans contrainte financière.» Elle espère que d’autres producteurs suivront le mouvement dès l’an prochain.

L’importance de l’étiquette
Le lavage des récipients doit toutefois s’anticiper, afin qu’il ne bute pas sur un petit bout de papier: l’étiquette. «Il faut qu’elle s’enlève facilement. Une vraie réflexion doit donc se faire sur le choix de la colle utilisée», détaille Hervé Le Pezennec. Pour sa part, Alain Bettems en privilégie une à base de caséine. Une fois mouillée, l’étiquette s’ôte facilement. «Quant aux autocollants, ils sont presque impossibles à enlever. Ce serait dommage de ne pas pouvoir réemployer une bouteille à cause de cela, car tant qu’elle n’est pas abîmée, elle est réutilisable à l’infini», souligne le vigneron.

Alain Bettems tient les comptes de ses consignes dans un fichier, les déduisant au fil des commandes. Le système développé dans le projet «ça Vaud l’retour» prévoit quant à lui le paiement d’une consigne, restituée dans les commerces partenaires. «Si on parvient à réutiliser 40 000 contenants en six mois, notre objectif sera atteint, ajoute Hervé Le Pezennec. On veut montrer que ce projet est faisable.» Il a déjà lancé une démarche similaire à Genève il y a deux ans, l’opération «J’la ramène», et souhaite se déployer sur l’ensemble de la Suisse romande avec un système unique. Après les particuliers, il espère aussi rallier les restaurateurs à la cause. «Il faut que la réutilisation devienne la norme», conclut-il.

+ d’infos www.reseauconsignes.ch; www.cavaudlretour.ch

Texte(s): Céline Duruz
Photo(s): Olivier Vogelsang

Réflexion à l’échelle nationale

Selon la fondation pour le développement durable Sanu Durabilitas, le taux de recyclage des emballages en verre en Suisse avoisine les 94%. Elle nuance toutefois, car «ce pourcentage désigne en réalité leur taux de collecte. Les deux tiers des récipients récupérés sont exportés, un tiers est recyclé en bouteilles ou décyclé en tant que matériel de construction.» Actuellement, seule une infime partie de ce verre est réutilisé, souvent à l’échelon local par des particuliers. Sanu Durabilitas espère inverser la tendance avec son projet auREverre, pour doper le réemploi à l’échelle suisse. Le 28 août au Palais des Congrès de Bienne (BE), elle organisera une table ronde sur ce thème, réunissant les acteurs du secteur des boissons helvétiques, mais aussi des scientifiques et des porteurs de projets ayant abouti à l’étranger.

+ d’infos www.sanudurabilitas.ch; inscription sur www.aureverre.ch

En chiffres

  • 40 kilos de verre jetés annuellement par chaque Suisse.
  • 1600°C, soit la température à laquelle il faut chauffer du sable de quartz, de la soude et de la chaux pour créer du verre, ce qui nécessite beaucoup d’énergie.
  • 331′721 tonnes de bouteilles en verre pour boissons vendues en 2021, selon Vetroswiss.
  • 314’060 tonnes de verre ont été recyclées en 2021.
  • 1,2% des contenants sont actuellement réutilisés.