Reportage
La famille Germain peut enfin éclairer sa région grâce au fumier

Après dix ans de casse-tête administratif, une installation de biogaz agricole a pu être créée à Saint-George, sur La Côte (VD). Mais ce type d’infrastructure est menacé par un projet de loi, alerte la faîtière Ökostrom Schweiz.

La famille Germain peut enfin éclairer sa région grâce au fumier

La petite route sinueuse qui mène à la ferme Germain, à Saint-George (VD), n’a jamais été aussi empruntée. Depuis un an et demi, une vingtaine d’agriculteurs, propriétaires de manèges et employés du parc animalier de la région y transitent chaque semaine pour apporter le fumier de leurs bovins et chevaux, ainsi que leurs déchets de paille. Après avoir franchi le pont-bascule servant à peser les quantités, ils déchargent le tout à côté des déchets verts provenant de dix-sept communes et du fumier du domaine qui compte cinquante vaches laitières. D’ici à quelques semaines, cette matière organique permettra de fournir électricité et chaleur à 320 ménages tout en produisant de l’engrais, grâce à une installation de biogaz. Celle-ci a été inaugurée il y a quelques mois, après dix ans de travail acharné et de casse-tête administratif.

Parcours du combattant
Tout a commencé en 2012, lorsque Philippe Germain a appris que le Canton souhaitait subventionner les énergies renouvelables à hauteur de 100 millions de francs et cherchait des projets pilotes. «À cette époque, la législation venait de changer et il n’était plus possible de composter le fumier sur les terres. Il fallait se réinventer, expose l’agriculteur. J’avais aussi envie de valoriser cette matière précieuse et d’avoir un revenu complémentaire. Cela a été bien reçu. Il n’y a eu aucune opposition à l’enquête publique.»

Après de nombreuses études validant la faisabilité du projet, des fonds supplémentaires ont été nécessaires pour la construction, à hauteur de 4,6 millions de francs. «Les subventions ne suffisaient pas et je n’avais pas les moyens de m’en sortir seul. Il a fallu créer une SA, puis une autre afin d’obtenir de l’argent du fonds agricole. Les procédures étaient très complexes. J’ai galéré, raconte celui qui est aussi député au Grand Conseil. Heureusement, j’ai eu le soutien de la banque, de la Société électrique des forces de l’Aubonne et de paysans du coin.» En parallèle, le Vaudois a été l’un des derniers entrepreneurs à pouvoir profiter de la RPC (rétribution à prix coûtant), un mécanisme fédéral garantissant un prix stable sur la vente de l’électricité pendant vingt ans, qui a récemment expiré au profit d’un nouveau système de subventions (lire l’encadré ci-dessous). Les démarches auraient-elles été plus simples aujourd’hui? «C’est difficile à dire. Mais ce qui est sûr, c’est que nous étions trop en avance pour l’époque. De nos jours, il serait plus facile d’aller frapper à la bonne porte. Même si ces prochaines années seront compliquées financièrement, nos infrastructures sont rentables et j’en suis fier.»

Cercle vertueux de la matière
En Suisse, seule une petite dizaine d’installations de biogaz agricole fonctionne comme celle de Saint-George. On les qualifie de «discontinues par voie solide», car elles assimilent de la matière sèche volumineuse, et non pas du liquide tel que du lisier. Cet après-midi, un tas de 600 m² de déchets fraîchement arrivés attend justement d’être valorisé. Tous les dix jours, ces derniers sont mélangés et défibrés au broyeur puis entreposés durant quarante jours dans de grands garages appelés digesteurs. «Il faut imaginer un environnement étanche sans oxygène, dans lequel des grilles récoltent par gravité le liquide contenu dans ces intrants, appelé percolat. Ce dernier est chauffé à 40°C, pompé puis aspergé en boucle afin d’accélérer la décomposition», détaille Cédric Germain, le fils de Philippe, qui pilote l’installation à distance grâce à son smartphone.

Ce processus de méthanisation génère du biogaz, qui est essentiellement composé de méthane et de dioxyde de carbone. Une fois collectée et brûlée dans un gros moteur thermique, cette énergie renouvelable générera de l’électricité qui sera réutilisée par le système et les bâtiments sur place. Le surplus, environ un million de kWh, sera injecté dans le réseau de la région. L’eau chaude produite grâce à la chaleur du moteur servira, quant à elle, à chauffer les digesteurs et la maison, à sécher le foin et à alimenter le réseau de chauffage à distance du village voisin de Longirod.

Une fois ce processus terminé, il en résulte un résidu solide appelé digestat. Cet engrais bio hautement fertilisant et inodore est évacué des garages puis stocké en attendant de retourner aux champs. «Je l’ai justement épandu ce matin sur nos parcelles comme apport d’engrais de printemps. Les autres agriculteurs en récupèrent également une quantité équivalente aux déchets déposés, précise le trentenaire, qui reprendra cette année les rênes du domaine. Ce cercle vertueux permet de régler la question du stockage du fumier, tout en produisant de l’énergie au lieu de dégager des polluants dans le sol et l’atmosphère. Je suis ravi que notre ferme puisse y contribuer.»

Texte(s): Lila Erard
Photo(s): Olivier Vogelsang

Le jura pionnier

La production de biogaz agricole est particulièrement importante dans le Jura, qui compte quatre nouvelles installations depuis 2020. Mise en service le mois dernier à Courtemelon et exploitée par trois paysans, EcoBioVal fait figure de pionnière puisqu’il s’agit de la première structure à injecter du biométhane – du biogaz épuré – dans le réseau de gaz en Romandie. Le but est de produire 8GWh par an afin de remplacer le gaz naturel importé. À Puidoux (VD), l’agriculteur Georges Martin utilise également cette énergie renouvelable pour faire fonctionner les véhicules de sa ferme.

Vote décisif le 9 juin prochain

En Suisse, il existe plus de 120 installations de biogaz agricole. La plupart ont pu voir le jour grâce au système RPC (rétribution à prix coûtant), introduit par la Confédération en 2009 pour encourager la production d’électricité renouvelable. Dans ce cadre, une taxe financée par les consommateurs permettait de racheter cette énergie à un prix préférentiel, afin de couvrir les coûts de fabrication. Toutefois, plus aucun nouveau projet n’est admis via ce système depuis fin 2022. Si une solution transitoire a été mise en place, les futures conditions ont été dévoilées la semaine dernière, dans le cadre de l’ordonnance sur l’encouragement de la production d’électricité (OEneR). Celle-ci pourrait entrer en vigueur en 2025, en fonction de l’issue de la votation du 9 juin prochain sur la modification de la loi sur l’approvisionnement en électricité. Pour Ökostrom Schweiz, l’association faitière des biogaz agricoles, la proposition du Conseil fédéral induit des perspectives mauvaises pour les installations existantes. «Leur taux de rétribution serait nettement réduit. Ainsi, leur rentabilité ne serait plus assurée et elles seraient menacées de disparition, comme celle de la famille Germain», met en garde Melanie Gysler, responsable du bureau romand. Pour les nouvelles infrastructures, les conditions sont aussi inquiétantes. «Bien que les tarifs prévus soient similaires à ceux de la RPC, l’inflation n’est pas prise en compte. Pourtant, les coûts d’exploitation ont augmenté d’environ 20% entre 2019 et 2023. Nous rejetons clairement le projet sous cette forme.»