Reportage
La pêche sur glace compte toujours plus de mordus

Cette activité hivernale qu’on croyait réservée aux froides contrées du globe se pratique également sur certains plans d’eau de notre pays. Reportage à l’Oeschinensee, au-dessus de Kandersteg (BE).

La pêche sur glace compte toujours plus de mordus

Au premier coup d’œil, le décor évoque l’Alaska ou l’immensité des plaines sibériennes. Dans un paysage enneigé, au détour d’une forêt de vieux résineux surgit un lac figé par le froid. Seuls les sommets alentour nous rappellent que nous sommes bel et bien en Suisse. Dans les Alpes bernoises plus précisément, sur l’Oeschinensee, situé à 1580 mètres d’altitude. D’un bleu cristallin en été, ce plan d’eau se transforme chaque hiver en une mer de glace sur laquelle viennent se promener de nombreux curieux. Fait plus insolite, les lieux sont également occupés de janvier à mars par des amateurs de pêche sur glace. Une pratique popularisée dans cette station familiale par Daniel Kilian-Egli, un passionné depuis plusieurs années.

Alimenté par une pisciculture
Après une montée en cabine depuis Kandersteg(BE), il faut marcher dans la neige une trentaine de minutes pour atteindre l’Oeschinensee. Quelques dizaines de mètres avant le rivage, un voyant vert sur un panneau signale que le lac est accessible à pied sur toute sa surface. «Les normes de la SUVA exigent au minimum 14 centimètres d’épaisseur de glace et le Canton réalise des carottages hebdomadaires pour garantir la sécurité des lieux», explique Daniel Kilian-Egli alors que nous entamons notre avancée sur la surface gelée. Des marques de trous refermés témoignent de ces précédentes incursions. «Cette année, le lac est accessible depuis le 16 janvier et j’ai déjà réalisé cinq ou six sorties», ajoute le sexagénaire. Le plan d’eau est approvisionné plusieurs fois par année en poissons élevés dans la pisciculture de Kandersteg, située à quelques kilomètres de là (lire l’encadré ci-dessous). Leur pêche est réglementée et nécessite un permis autorisant à prélever au maximum six spécimens par détenteur.

Arrivés à une vingtaine de mètres du rivage, notre guide stoppe sa luge transportant son matériel et sort sa tarière manuelle, l’instrument qui permet de perforer la glace, épaisse d’une vingtaine de centimètres ce jour-là. Puis le pêcheur prépare sa canne, fixe l’appât sur l’hameçon et fait dérouler son fil jusqu’au fond du lac. «Sa profondeur maximale est d’une cinquantaine de mètres, mais ici le fond se situe à une dizaine de mètres environ. Les poissons se déplaçant en bancs, le but est de commencer tout en bas, puis de remonter gentiment l’hameçon par paliers», raconte Daniel Kilian-Egli.

La chance semble de notre côté ce matin: moins de cinq minutes après avoir plongé l’appât, voilà qu’un poids se fait sentir sur la canne. Le pêcheur remonte doucement son fil, jusqu’à voir surgir dans le trou un magnifique salmonidé aux couleurs chatoyantes. L’omble chevalier canadien affiche une taille d’une trentaine de centimètres, largement au-dessus des 22 centimètres réglementaires. «Mon record était un individu d’une cinquantaine de centimètres. Mais l’un de mes amis en a sorti un mesurant 83 centimètres pour un poids de 10,5 kilos. C’était très impressionnant», témoigne Daniel Kilian-Egli en décrochant sa prise. Sitôt le poisson sorti de l’eau, le pêcheur lui assène un coup sec sur la tête afin de l’étourdir, puis coupe son artère, garantissant une mise à mort rapide et sans souffrance de l’animal.

Une centaine d’amateurs
En Suisse, la pêche sur glace est pratiquée dans une dizaine de lacs, situés pour la plupart en Suisse alémanique. Daniel Kilian-Egli s’est initié à cette activité il y a douze ans. «J’ai commencé un peu par hasard dans le canton de Glaris et j’ai tout de suite croché. J’avais ma licence de pêche depuis plusieurs années et je me suis donc lancé ici à l’Oeschinensee en 2014. Les lieux étaient déjà fréquentés par les pêcheurs l’été, j’ai prolongé cette activité en hiver. La première année, j’étais tout seul. Puis des connaissances ont commencé à venir avec moi. Cela m’a donné l’idée de développer cette offre et aujourd’hui, j’accompagne une centaine de personnes chaque saison», raconte cet informaticien indépendant. Daniel Kilian-Egli demande 100 francs par personne. Les participants peuvent repartir avec leurs poissons, vidés sur place et prêts à être cuisinés. L’homme précise toutefois: «La plupart du temps, la pêche s’avère fructueuse, mais il arrive que nous rentrions bredouilles. Comme je le dis à mes clients, je propose avant tout de vivre une expérience.» Sans aucune garantie au bout de l’hameçon, donc, mais avec la promesse de passer une journée dans un décor givré totalement dépaysant.

+ d’infos www.icefishing.ch

Texte(s): Aurélie Jaquet
Photo(s): Pierre-Yves Massot

Pratique ancienne

Appelée parfois aussi «pêche blanche», la pêche sur la glace est une technique utilisée depuis plusieurs siècles dans les régions où les plans d’eau gèlent. Cette pratique remonterait à l’Antiquité, où les peuples autochtones et nordiques utilisaient la glace comme une ressource naturelle lors des longs mois d’hiver. En Amérique du Nord, cette tradition aurait été transmise aux colons par les Amérindiens, plus particulièrement les Algonquins, dans le courant du XVIIe siècle. Aujourd’hui, les régions qui y recourent le plus sont la Russie, le Canada, les États-Unis et la Scandinavie.